Les sous-estimés de la culture chamboulent la superbe occidentale, alors que la Révolution industrielle connaît d’imprévues remises en cause
L’avènement promis d’un monde accompli n’apparaît pas de manière flagrante. Que manque-t-il à l’épanouissement attendu ? Quelles parts vitales ont été sacrifiées ?
L’Art et l’Homme en questions ; Afrique et Océanie, Art tribal
« L’Echo des Savanes »
Y a-t-il en chacun de nous quelque chose de primordial ?
« Primitif ! » plaisante Raymond Devos…
Les Impressionnistes et les Nabis imprègnent, de leurs couleurs audacieuses et de leurs questions perturbantes, la fin du XIXe siècle, ponctuant, avec éclat, le terme d’une ère artistique millénaire. Le grand bouleversement va suivre, provoqué par l’intrusion de cultures lointaines ; en premier temps, des civilisations de l’islam qui invitent l’Occident à élargir sa palette et à libérer sa sensualité ; puis, plus profondément, des peuples tribaux, méprisables tant leur degré d’évolution est aberrant. Pourtant, ce sont eux qui vont modifier durablement les modes de pensée et les pratiques artistiques.
Lorsque les œuvres d’Afrique et d’Océanie pénètrent notre continent, l’accueil est mitigé, allant des sarcasmes les plus acides aux éloges les plus exaltés. Dans les pas de Lévi-Strauss, les plus perspicaces – certains philosophes, écrivains, artistes – ouvrent de nouveaux chemins aux sciences humaines, revisitent les interrogations de toujours qui habitent les sociétés et les individus. En art, Expressionnistes, Fauves et Cubistes comptent parmi ceux qui saisissent le sens et l’apport des créations tribales.
Comment expliquer que les sous-estimés de la culture chamboulent, à ce point, la superbe occidentale ? Il faut se resituer en cet instant de l’Histoire où la Révolution industrielle connaît d’imprévues remises en cause ; l’avènement promis d’un monde accompli n’apparaît pas de manière flagrante. Que manque-t-il à l’épanouissement attendu ? Quelles parts vitales ont été sacrifiées ?
Alors, il n’est pas fortuit de constater que ces peuples, d’abord qualifiés de « primitifs », soient ensuite reconnus comme « premiers », puis « primordiaux » , c’est-à-dire porteurs de principes essentiels, inhérents à la condition humaine.
Je suis Habitat des vérités premières, Fertilité de la terre, Sang du troupeau et Fibres de la forêt, Rencontre de l’homme et de la femme, Chemin pour l’enfant, Mémoire de la tribu, Passage vers l’au-delà, Royaume des ancêtres, Force pour ici et Mystère pour là-bas, Signe pour conjurer les démons…Je suis le masque.
René Migniot
Avec perspicacité et humour, Alain-Michel Boyer évoque,la troublante force vitale,des masques d’Océanie…ou d’ailleurs.
Il est devenu sculpteur de masques.
Quand on a commencé, il n’y a pas de raison de s’arrêter. D’autant qu’il est installé sur une île du Pacifique, et que, sur cet espace de la planète, les hommes ont vite compris que les masques, aussitôt engendrés, deviennent eux-mêmes des forces surnaturelles, qui acquièrent une entière autonomie, puisqu’ils ont la faculté de s’engendrer les uns les autres, se multipliant presque comme des souris pour assurer la perpétuation de l’« espèce masque ».
Les masques, du coup, sont devenus des êtres vivants, vraiment vivants, et, à l’instar des animaux, il faudra les nourrir, leur donner du riz, de la viande, du sang de coq car, sinon, ils risqueraient de se venger.
Un conseil donc : quand vous voyez des masques, même dans une vitrine, méfiez-vous, on ne sait jamais comment ils vont se comporter, s’ils ne vont pas s’agiter comme un cheval devenu fou dans une remorque de transport sur l’autoroute, ou bien, ce n’est pas mieux, se multiplier.
Alain-Michel BOYER. Docteur en Sciences politiques et en Ethnologie. 2005