L’Europe croit se protéger en fermant ses frontières et transforme nombreux migrants en clandestins
À Lampedusa, malgré tout, la solidarité s’affiche : « Proteggere le personne, non i confini » (« Protéger les êtres humains, pas les frontières… »)
Ce ne sont les « sans-papiers » qui posent problème à notre conscience, mais tous migrants
Edmond est originaire de Russie. Il a quitté son pays avec son épouse et ses deux enfants, 7 ans et 13 ans, suite à de violentes menaces orchestrées, me semble-t-il, par des organisations mafieuses. Son commerce était en permanence racketté et comme il refusait de céder on menaça toute sa famille des pires maux, dont la destruction de sa boutique. Craignant le mort des siens, il choisit de fuir. La famille vit à Lyon depuis au moins trois ans.
Et voilà que sa demande d’asile est rejetée. Il a, comme tant d’autres, reçu une OQTF. Une obligation a quitté le territoire français. La structure qui l’a accompagné devra lui demander de quitter le logement qu’il occupe actuellement, un petit 30 m2, de type algéco. Les associations, comme Welcom, ne pourront répondre à ses demandes, car, souhaitant demeurer dans le cadre de la Loi, elles ne traitent qu’avec celles et ceux qui sont légalement présents sur le territoire français. Or Edmond, ne se sent pas de risquer la vie de sa famille en rentrant dans son pays d’origine. Vont-ils entrer en clandestinité ? Comment leur trouver un logement ? La structure qui les héberge actuellement aura-t-elle l’audace de les mettre à la rue comme l’exige la loi. Si oui, il y aura collaboration à la « fabrication de clandestins ». Ce que l’actualité de Vintimille montre ou a montré. Le refus d’ouvrir les frontières crée des clandestins.
Le Progrès/Daupnhiné du lundi 6 juillet montre une photo où l’on lit l’appel italien : « Protéger les êtres humains, pas les frontières ». On en est toujours loin.
Je vous invite à lire cet article. Un beau et triste témoignage. Beau par la générosité des Italiens. Triste par le refus des gouvernants, soutenus per de nombreux Européens, de mettre leur conscience au-dessus de leurs avantages matériels.
À Lampedusa, Pietro le héros
IMMIGRATION SUR LE ROCHER SICILIEN, LES CAUCHEMARS DU DOCTEUR BARTOLO : « JE REVOIS SANS ARRÊT LES MORTS »
Diriger le dispensaire de Lampedusa, c'est prendre en pleine figure l'universelle misère. « Ici, on soigne les habitants, les touristes et aussi les migrants. Depuis 1991, date du premier arrivage, j'en ai examiné 350000 », soupire Pietro Bartolo, au bord de la crise de nerfs. Chaque fois que débarque une nouvelle cargaison de désespérés, son téléphone sonne, il se précipite.
A 59 ans, Pietro Bartolo, médecin sauveteur a vu trop de souffrances. Il a passé des milliers de nuits, sur le port, à attendre les bateaux surchargés de pauvres diables secourus en mer. Et des milliers d'autres à faire des cauchemars : « Je revois sans arrêt les morts, surtout les enfants, on ne s'habitue jamais. » Hier encore, il a dû autopsier un cadavre ramené par les garde-côtes. Et partager le traumatisme de ces gamines d'Erythrée, violées par les passeurs pendant leur interminable périple. Quand donc finira son horrible routine?
La mère et le bébé dans le même cercueil
Le naufrage du 3 octobre 2013 l'a marqué au fer rouge : « Une femme a accouché pendant que le cargo coulait. J'ai placé la mère et le bébé dans le même cercueil, sans couper le cordon ». Trois cent soixante-six victimes à enterrer d'un coup, de quoi laisser la population en état de choc : « Tout le monde a eu droit à un suivi psychologique... sauf moi».
« Ni des délinquants, ni des terroristes»
Après la tragédie, on a pu croire que les choses allaient s'arranger. Mais non : « Les chefs d'État sont venus pleurer, le pape François a tenu un admirable discours... et puis plus rien. Les va-nu-pieds continuent d'arriver et de mourir sur notre rive ». De naître aussi, quelquefois, comme cette petite Nigériane dont la mère avait commencé à perdre les eaux dans la cale du navire, parmi 840 clandestins. Le docteur Bartolo, à l'origine gynécologue, se souvient avec émotion de l'accouchement improvisé en urgence, de la réanimation réussie du bébé. De la suite, surtout : « À deux heures du matin, exténué, je suis sorti la blouse en sang. Des dizaines de villageoises m'attendaient devant le dispensaire, les bras chargés de layettes... Vous voyez la générosité des gens d'ici ! » Elle contraste avec l'égoïsme des grandes nations : « 350 000 migrants en 24 ans, c'est dérisoire à l'échelle du continent... et gigantesque pour notre îlot. »
« Parfois même, ils rient... »
Le bouleversant "dottore" attend toujours, incrédule, un sursaut communautaire : « Bruxelles feint d'ignorer que ces Syriens, ces Somaliens, ces Irakiens qui débarquent ne font que fuir les atrocités de la guerre. Ce ne sont ni des délinquants, ni des terroristes islamistes ».
Au plus noir du malheur, jaillit parfois une heureuse étincelle. Avec cette Afghane ramenée par des pêcheurs : « Déclarée décédée, les poumons remplis d'eau et d'essence. On l'avait
déjà mise dans sa housse mortuaire. Je me suis rendu compte, in extremis, que son pouls battait encore un peu. Au bout d'une demi-heure, nous avons réussi à la ranimer. Aujourd'hui, elle va bien et réside en Suède. Elle s'appelle Ghebrat, c'est la plus grande satisfaction de ma vie. » Les miracles restent rares au dispensaire de Lampedusa, mais l'humanité omniprésente. Vers le bloc opératoire, derrière une porte joyeuse et colorée, trône la Ludoteca construite par des bénévoles de l'île. Une oasis de réconfort dans le désert des longs chagrins : « Pendant qu'on soigne les mères, les enfants jouent dans la salle. Parfois même, ils rient.
On leur passe des films, les regards s'illuminent, ils n'avaient jamais vu la télévision. »
Dans les douves de l'Europe forteresse, ainsi s'organise la solidarité envers les plus démunis. À hauteur d'homme, de manière presque artisanale, parce que le système européen ne fonctionne pas... Face à l'ampleur du cataclysme, un sentiment d'abandon finit par accabler la population insulaire. Jusqu'à Pietro le magnifique, pris entre découragement et colère : « Je me dis, certains jours, que je ferais aussi bien de m'installer ici comme fossoyeur».
A Lampedusa, Gilles Debernardi
Le Progrès du 6 juillet 2015, p. 4.
Voir également dans le quotidien La Croix au 25 janvier 2013 :
Extrait :
Ces ministres, ces parlementaires, ces commissaires européens qui s’indignent, où sont-ils quand nous devons accueillir à longueur d’année 800 migrants dans un espace prévu pour 250 ? Où sont-ils pour rappeler que la loi prévoit de ne rester que 72 heures maximum dans un CPTA alors que ces migrants y demeurent plusieurs mois ? Car c’est d’abord cela qui est indigne ! Ce traitement contre la gale – qui n’est pas obligatoire et qui consiste simplement à s’asperger le corps d’un produit inoffensif ! – doit se faire normalement dans l’intimité, mais comment cela est-il possible avec tant de personnes ? Et puis, l’Union européenne qui finance le CPTA de Lampedusa verse la même somme (34 € par personne et par jour) qu’il y ait 250 ou 800 migrants ! Comment alors les nourrir décemment ?C’est tout cela qui est indigne : laisser des hommes inactifs pendant des mois sur cette île qui devient comme une prison pour eux ! Car aucun ne veut rester ici ; ils veulent tous partir ailleurs en Europe.
… Car ces migrants qui fuient leur pays d’Afrique en guerre ne sont ni des délinquants, ni des terroristes islamistes – beaucoup sont chrétiens et meurent avec leur chapelet dans la bouche, comme on le constate en retrouvant leur corps. Ils veulent simplement trouver du travail et vivre en sécurité.
Et puis beaucoup, les Syriens notamment, souhaitent seulement attendre quelques années en Europe avant de retourner chez eux une fois la guerre terminée : à leur retour, grâce à leur expérience européenne, ils pourront aider à la reconstruction de leur pays. Au lieu de cela, nous continuons de les obliger à partir en clandestin et à prendre des risques énormes pour venir ici.