Pour que le monde créé soit, Dieu s’autolimite dans sa puissance. Néanmoins, il n’est pas absent de l’univers, car il le porte dans l’Être
Si le Sauveur divin est présent lui-même, de façon cachée, dans cette terre, alors elle devient celle qui porte son avenir et le nôtre, pense Moltmann. Mais, de quelle présence s’agit-il ?
En premier, je voudrais rappeler que si le Créateur n’était pas présent à sa création d’une façon permanente, celle-ci ne serait pas. Dieu, incréé, maintient continuellement l’Univers. Sans cette Providence, le monde ne peut exister. Dans le Credo, les chrétiens proclament que non seulement Dieu a créé le monde à partir de rien, en un radical commencement, mais qu’il créé en permanence, qu’il soutient sans cesse l’être de tout ce qui existe manifestant ainsi un attachement plein d’amour envers ses créatures.
Il faut dire également que tout être créé est entièrement libre. En l’absence d’autonomie, il ne serait que l’esclave d’un Dieu tout puissant. L’homme deviendrait une marionnette ne pouvant rien faire d’autre que d’accomplir la volonté divine. Dieu n’a pas voulu cette forme d’existence asservie. Pour exprimer cette réalité, les théologiens désormais parlent d’autolimitation de Dieu. Dans Laudato Si (§ 80) de l’évêque de Rome, François, nous lisons : « Dieu a voulu se limiter lui-même de quelque manière, en créant un monde qui a besoin de développement, où beaucoup de choses que nous considérons mauvaises, dangereuses ou sources de souffrances, font en réalité partie des douleurs de l’enfantement qui nous stimulent à collaborer avec le Créateur […] Cette présence divine, qui assure la permanence et le développement de tout être, “est la continuation de l’action créatrice”. L’Esprit de Dieu a rempli l’univers de potentialités qui permettent que, du sein même des choses, quelque chose de nouveau peut surgir : “La nature n’est rien d’autre que la connaissance d’un certain art, concrètement l’art divin inscrit dans les choses, et par lequel les choses elles-mêmes se meuvent vers une fin déterminée. Comme si l’artisan constructeur de navires pouvait accorder au bois de pouvoir se modifier de lui-même pour prendre la forme de navire”. »
Dire que la création est la conséquence d’un retirement de Dieu (Simone Weil) est juste dans la mesure où ce retirement n’est pas abandon ou retirement exclusif. Dieu n’est pas présent seulement à l’instant zéro de l’existence du cosmos. N’est-ce pas ce que voulait dire Pascal : « Je ne puis pardonner à Descartes : il aurait bien voulu, dans toute sa philosophie, pouvoir se passer de Dieu ; mais il n'a pu s'empêcher de lui faire donner une chiquenaude, pour mettre le monde en mouvement ; après cela, il n'a plus que faire de Dieu ».
Reprenons, dans l’œuvre de J. Moltamm (La venue de Dieu), « l'idée d'autolimitation de Dieu. Dans son omniprésence, Dieu aménage un espace pour sa création en retirant sa présence de cet espace originel. Dieu limite son éternité pour donner du temps et laisser du temps à sa création dans ce temps originel. Dieu limite son omniscience pour donner de la liberté à ses créatures. Ces autolimitations originelles de Dieu précèdent sa création ». En sortant de lui-même, il agit en créant « une réalité autre que lui. Ce n'est que si Dieu se retire, se limite et se concentre en lui-même qu'il peut appeler à l'existence quelque chose à côté et en dehors de lui qui n'est pas d'essence divine, et qui n'est donc ni éternel ni omniprésent »… « L'instant originel se situe, avant la création du monde et du temps, dans l'autodétermination de Dieu à être Créateur. De l'autolimitation de l'éternité de Dieu procède le “temps de la création”. Dans l'instant originel du décret créateur de Dieu sont disposées déjà toutes les possibilités que le Créateur veut déployer dans le temps de la création ». (p. 340)
Il est alors clair, cela étant dit, que le démon, le diable, le diviseur ne peut être le maitre de la terre. Que le mal soit présent en notre univers est une évidence, mais seul les partisans d’une fin du monde apocalyptique, mot employé dans le sens de catastrophe, parlent ainsi. C’est une vision manichéenne qui n’a plus court dans la théologie contemporaine. Même les Luthériens et Calvinistes actuellement ne disent plus, que, selon une mauvaise lecture d’Augustin, le monde étant totalement sous l’emprise du Malin, seul la grâce de Dieu, peut le délivrer de l’ornière diabolique. L’homme, selon les paroles de Saint Thomas, par lui-même est capable de Bien, de Vrai, de Dieu. Il n’est pas entièrement perverti par le péché comme le souhaiterait le néfaste séducteur. Satan n’est pas le maître du monde même si les plus ignobles péchés humains, leurs crimes envers leurs semblables et la nature inciteraient à le penser.
Pourquoi cela ? Tout simplement parce que Dieu, créant le monde ne l’abandonne pas à lui-même. « Et le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire, la gloire qu’il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité. (Jean 1, 14).
Je ne veux pas développer ce jour développer cette citation, bien qu’elle soit essentielle. Si je l’écris ici c’est pour me conduire vers une conclusion. Dieu abandonne si peu la Terre en la créant, que par son Fils, il se donne toutes les chances d’établir au milieu des hommes, de tout ce qui est vivant et même des minéraux (totale écologie, l’intégrale), sa demeure. « Avec mon Père, nous viendrons chez lui et nous nous ferons une demeure. » (Cf Jen 14 23).
Dieu habite sa Terre, son domaine. Tout l’Univers.