Le propre de l’homme n’est pas de ne pas être un animal, mais de faire en sorte qu’il soit insufflé pour devenir un vivant tourné vers Dieu
Claire Crespy-Cuerq, Demain, détail, bas relief de terre cuite, BASA 2015 Lyon Saint-Polycarpe - Photo Hugues Delescluse - tekoaphoto
1 Th 5, 23 : « Que le Dieu de la paix lui-même vous sanctifie tout entiers ; que votre esprit, votre âme et votre corps, soient tout entiers gardés sans reproche pour la venue de notre Seigneur Jésus Christ.
Emmanuel Falque explique à Élodie Maurot de La Croix : « nous ne sommes pas que corps et âme. Nous sommes aussi esprit, comme le dit saint Paul (1 Th 5, 23). Le pneuma, c’est le souffle qui tourne l’homme vers Dieu. Le propre de l’homme n’est pas de ne pas être un animal, mais de faire en sorte qu’il soit insufflé pour devenir un vivant tourné vers Dieu. L’homme est un être de transcendance, c’est-à-dire un être d’ouverture. Dans un sens philosophique, cette transcendance est une ouverture horizontale au monde. Dans un sens chrétien, c’est aussi une ouverture verticale, une ouverture à Dieu. Cette transcendance ne nous fait pas nous échapper du monde, mais elle nous fait vivre autrement dans le monde. »
Je me retrouve bien dans cette réflexion sur la transcendance de l’homme qui est tant horizontale que verticale. C’est ainsi que je comprends l’importance du sacré dans l’humain, comme j’ai eu l’occasion de l’exprimer à propos des biennale d’art sacré actuel.
L’homme est un être de transcendance
(article intégral)
Les débats sur l’animalité questionnent le christianisme et l’invite à revisiter ses sources.
Dans les débats actuels sur l’animal, comment les chrétiens peuvent-ils se positionner ?
Emmanuel Falque : C’est une question difficile, du point de vue philosophique et du point de vue éthique. Le danger serait de vouloir toujours s’en tenir à d’anciennes catégories. En philosophie, on a cessé de penser la distinction entre l’homme et l’animal comme une différence de « nature », ou une différence de « degré », ou une simple question d’infériorité ou de supériorité. Longtemps, la philosophie a cherché des critères permettant de distinguer définitivement l’homme de l’animal : la raison (Aristote), la pensée (Descartes), la liberté (Rousseau), le travail (Marx), le rire (Bergson)… On a ainsi multiplié à l’infini les critères de distinction sans vraiment y parvenir. On a ensuite cherché à établir une différence de degré entre l’homme et l’animal, avec l’idée que l’homme serait capable d’opérations que l’animal ne pourrait réaliser que partiellement.
Mais aujourd’hui, au moins en philosophie, on se pose différemment la question de l’animal. On s’interroge moins sur la différence entre l’homme et l’animal que sur leur différence d’accès au monde. On se demande comment l’animal voit le monde, comment il l’éprouve, comment il le sent, etc. C’est à partir de là que nous deviendrons peut-être capables de penser une communauté entre l’homme et l’animal.
En quoi ces débats questionnent-ils le christianisme ?
Emmanuel Falque : À partir du moment où l’on se préoccupe de l’animal et où l’on accepte qu’il y ait un lien entre l’homme et l’animal, on peut alors se poser la question de l’animalité en nous. Or, en théologie, la question de l’animalité a toujours été le lieu d’un grand oubli, à l’exception peut-être de saint François d’Assise ou du pape François.
D’où vient cet oubli ?
Emmanuel Falque : À mon avis, il vient d’une absence de distinction entre animalité et bestialité. Le mot « bête » ou « bestial » ne cesse pourtant d’apparaître dans la Bible. On le trouve au début de la Bible, par exemple avec la « bête qui te convoite » dans l’épisode de Caïn et Abel (Gn 4, 7) et aussi à la fin de la Bible, avec la « bête écarlate » de l’Apocalypse (Ap 17, 3). La bête, c’est le refus de l’animal. Et le bestial, c’est la possibilité pour l’homme de tomber en deçà de l’animal. « Qui fait l’ange fait la bête », rappelait Pascal. Seul l’homme est capable de devenir meilleur et donc de devenir pire. L’homme seul est capable de comportements – comme la pornographie, l’addiction, le génocide… – non pas infrahumains mais infra-animaux.
Qu’est-ce que la théologie peut dire de notre animalité ?
Emmanuel Falque : À mes yeux, le Christ n’est pas seulement venu pour nous diviniser. Il veut aussi rejoindre notre animalité et nous sauver de notre bestialité. Il veut les faire siennes pour les transformer en lui. « Tout ce qui n’est pas assumé n’est pas sauvé », disait Grégoire de Nazianze. Nous ne sommes pas que des consciences sans corps, comme le seraient les anges. Nous sommes aussi des corps sans conscience, comme le sont les animaux. Le propre du christianisme, c’est de partir de la corporéité, donc aussi de l’animalité, pour la convertir en humanité.
Dans la Genèse, on voit Yahvé Dieu prendre de la terre pour modeler Adam (Gn 2, 7). Et c’est la même terre avec laquelle il a modelé les animaux (Gn 1, 25). Avec les animaux, nous sommes faits de la même boue, nous avons une chair commune. C’est fondamental. Mais nous ne sommes pas que corps et âme. Nous sommes aussi esprit, comme le dit saint Paul (1 Th 5, 23). Le pneuma, c’est le souffle qui tourne l’homme vers Dieu. Le propre de l’homme n’est pas de ne pas être un animal, mais de faire en sorte qu’il soit insufflé pour devenir un vivant tourné vers Dieu. L’homme est un être de transcendance, c’est-à-dire un être d’ouverture. Dans un sens philosophique, cette transcendance est une ouverture horizontale au monde. Dans un sens chrétien, c’est aussi une ouverture verticale, une ouverture à Dieu. Cette transcendance ne nous fait pas nous échapper du monde, mais elle nous fait vivre autrement dans le monde.
Recueilli par Élodie Maurot