Des naufrages de migrants à la femme de Noé. Une figure tutélaire puisqu'aux temps anciens elle secondait Noé dans le sauvetage de la vie
Rencontre-débat : table ronde du 31 janvier 2019. Voir ci-dessous le programme de ces soirées
Suite à la soirée rencontre débat du 31 janvier, Véronique Soriano a donné le texte de son intervention. Le voici avec des photos de son œuvre.
« L'art sacré témoigne-t'il d'une expression spirituelle personnelle ? »
Je reprend chacun des termes de la question en commençant par la fin :
- En tant que peintre ma démarche est personnelle. Toute démarche d'artiste passe par sa personne.
- La peinture ou plutôt le fait de peindre est une expression spirituelle, une tension vers au-delà de soi, vers l'absolu quel que soit le nom qu'on donne à cette aspiration. Pour moi l'art, l'amour et l'absolu sont les points de contact de cette aspiration à l'infini. Trois « A » pour vivre. L'érotisme et la création artistique sont les voies du sacré.
- La peinture qui a pour but d'exprimer quelque chose de sacré (et l'acte lui-même participe du sacré) entretient sa relation au divin, à la transcendance, à Dieu.
Art sacré ?
Je ne sais pas si ma peinture est de l'art sacré, mais c'est une expression spirituelle personnelle. Pour moi quand je fais cette peinture, alors j'entrelace trois états :
- j'essaie de me mettre en état de vacuité, d'ouverture à l'imprévu, le « Tsimstoun » des Hébreux *, un retrait pour que quelque chose de nouveau se crée
- puis j'ai une démarche culturelle, peut-être intellectuelle. Par exemple que signifient pour moi les naufrages en Méditerranée ? Comment, comme peintre, en témoigner ? J'ai pensé que la Femme de Noé pourrait nous aider aujourd'hui à sauver ces naufragés sans trier ni prier. J'ai pensé à une figure tutélaire puisqu'aux temps anciens elle secondait Noé dans le sauvetage de la vie. C'est en prenant ce détour que je peux comme peintre aborder cette actualité. Cette femme de Noé, anonyme, est bien une figure biblique qui nous rejoint directement, un archétype du sauvetage que l'on peut évoquer ou même invoquer aujourd'hui.
- En méditant sur l'actualité, en peignant cette femme de Noé (il faut inventer son embarcation, trouver ses gestes, découvrir qu'elle peut commander aux éléments...)
- La peinture fait un travail cathartique : je me suis sentie sauveteuse, noyée, sauvée... La femme de Noé m'a sauvée de cette dépression hivernale.
Est-ce que tout l'art est sacré ?
Il me semble que l'art sacré se définirait par trois points (décidément ce nombre de 3...)
- Un thème, un titre : la femme de Noé ce n'est pas une ballade en mer...
- une intention : il s'agit d'actualiser un message spirituel, méditer l'actualité et la rapprocher d'un mythe.
- Un lieu peut-être : une église sacralise un tableau.
On peut se demander pourquoi l'Église ne met-elle pas ou si rarement des œuvres actuelles dans ses églises. Mais je crois que cela rejoint le thème de la prochaine fois.
Nous avons publié à compte d'auteur Marie Odile Mamet, calligraphe et hébraïsante, et moi, peintre, un livret sur « Femmes et Villes de la Bible » : en rêvant sur les textes bibliques et les mots qui les fondent, en laissant venir les tableaux, les sons et les sens qui y plongent, nous sommes entrées avec les Hébreux dans cette promesse : « tu n'oublieras pas les paroles que tes yeux ont vues » (Deutéronome.4,9).
Sacré - spirituel - art d'Église... voir ici.
* Le tsimtsoum (de l'hébreu צמצום, contraction) est un concept de la Kabbale. Il traite d'un processus précédant la création du monde selon la tradition juive. Ce concept dérive des enseignements de Isaac Louria (1534-1572), le Ari zal de l'école kabbalistique de Safed, et peut se résumer comme étant le phénomène de contraction de Dieu dans le but de permettre l'existence d'une réalité extérieure à lui. Wikipedia.