Pour les contemporains du Concile, ceux formés en 1960- 1970 (80), l’événement est devenu mythique - un secret étouffé par l’Église ?
Suite au synode "Amazonie", il me semble important de lire cette page.
Qu’est-ce que le Pacte des catacombes ?
Le 16 novembre 1965, moins d’un mois avant la clôture du Concile Vatican II, une quarantaine de pères conciliaires célèbrent l’Eucharistie dans les catacombes de Sainte Domitille, à Rome. À l’issue de la messe, ils signent un document par lequel ils s’engagent à une vie de pauvreté. Un acte méconnu, mais qui a profondément contribué à modeler le visage de l’Église post-conciliaire.
Adélaïde Patrignani – Cité du Vatican
“Pacte pour une Église servante et pauvre”, c’est le sous-titre de ce document signé par 42 pères conciliaires, il y a près de 55 ans. Les signataires s’engagent à vivre les 13 points de ce texte1 qui pourraient être résumés par un mot : pauvreté. Il s’agit de changer de style de vie, en renonçant à tout privilège ou signe de richesse, de servir les pauvres, soulager la souffrance, lutter pour la justice, de gouverner de manière plus coopérative… On peut lire par exemple « nous renonçons pour toujours à l'apparence et à la réalité de richesse spécialement dans les habits (étoffes riches et couleurs voyantes), les insignes en matière précieuse : ces insignes doivent être en effet évangéliques ».
Adhérents
Aussi appelé le “Schéma XIV” (allusion aux 13 “schémas” préparatoires des grands textes du Concile), le Pacte est largement diffusé parmi les pères conciliaires le 7 décembre 1965, la veille de la clôture officielle du Concile Vatican II. Au total, environ 500 d’entre eux y adhèrent. Les 42 signataires de départ, longtemps restés discrets, sont en majorité des évêques latino-américains. Dom Helder Camara, archevêque de Recife, est l’un des huit Brésiliens. Figure aussi Mgr Leonidas Proaño, évêque équatorien connu pour sa défense des paysans, et le bienheureux Mgr Enrique Angelelli, évêque argentin tué pendant la dictature militaire. Mais on trouve aussi des prélats européens, parmi lesquels les Français Mgr Guy-Marie Riobé, évêque d’Orléans, Mgr Gérard Huyghe, évêque d’Arras, Mgr Adrien Gand, évêque auxiliaire du cardinal Liénart à Lille, ainsi que Mgr Georges Mercier, évêque de Laghouat au Sahara, et Mgr Georges Hakim, évêque melkite de Nazareth, futur patriarche Maximos V.
Origines
L’histoire de la rédaction du Pacte des catacombes s’inscrit sur une période longue, au moins antérieure au Concile, lorsque la vision d’une Église pauvre germait déjà dans l’esprit du Pape Jean XXIII. Ainsi, le 11 septembre 1962, le Souverain Pontife italien affirmait: « en face des pays sous-développés, l’Église se présente telle qu’elle est et veut être : l’Église de tous et particulièrement l’Église des pauvres » (Message-radio à tous les fidèles chrétiens à un mois du Concile œcuménique Vatican II).
L’impulsion semble toutefois être donnée par Dom Helder Camara. C’est d’ailleurs lui qui présente à la presse le manifeste spirituel, avant qu’il ne soit publié en janvier 1966 par les “Informations catholiques internationales”. Il s’agit aussi du fruit d’un travail collectif, auquel ont participé le père Paul Gauthier, venu au Concile comme expert de Mgr Georges Hakim, et Mgr Grégoire Haddad, évêque grec-melkite de Beyrouth, surnommé “l’Abbé Pierre de l’Orient”.
Postérité
Le Pacte des catacombes est peu connu, mais son influence a été forte dans l’Église après le Concile Vatican, notamment en Amérique Latine. Le père Joseph Comblin a considéré cet événement comme l’apparition d’un « nouveau franciscanisme » dans cette région du monde. Il fait aussi partie des initiatives qui ont influencé la Théologie de la libération.
Plus généralement, en suivant les 13 points de ce texte, des centaines d’évêques catholiques se sont efforcés de suivre la voie de la pauvreté évangélique, entraînant aussi les Églises locales qui leur étaient confiées sur ce chemin. Leurs successeurs ont souvent choisi de poursuivre dans ce sillage. Aujourd’hui, le pape François, qui étudiait la théologie à Buenos Aires à la fin du Concile, incarne au plus haut niveau de l’Église, et depuis le début de son pontificat, l’esprit du Pacte des catacombes. Le 16 mars 2013, trois jours après son élection, il affirmait devant la presse : « Ah, comme je voudrais une Église pauvre et pour les pauvres ! ». Il n’a cessé, depuis, de traduire cette volonté en paroles et en actes.
1/ Le « Pacte des catacombes»
Le 16 novembre 1965, peu avant la clôture de Vatican Il, une quarantaine d'évêques, dont les noms ne sont pas connus, se réunirent dans la Catacombe de St Domitilla et signèrent un pacte concernant la richesse, les pompes et les cérémonies dans l'Église catholique. Le 7 décembre 1965, la veille de la clôture officielle du Concile Vatican Il, ils diffusèrent parmi leurs confrères, ce qu'ils appelèrent le « Schéma XIV», allusion aux 13« schémas» préparatoires des grands textes, lignes directrices que la Curie avait distribuées aux « Pères conciliaires» avant les Assemblées délibératives.
Nous, évêques réunis au Concile Vatican ; ayant été éclairés sur les déficiences de notre vie de pauvreté selon l'Évangile; encouragés les uns par les autres, dans une démarche où chacun de nous voudrait éviter la singularité et la présomption; unis à tous nos frères dans l'Episcopat; comptant surtout sur la force et la grâce de Notre Seigneur Jésus-Christ, sur la prière des fidèles et des prêtres de nos diocèses respectifs; nous plaçant par la pensée et la prière, devant la Trinité, devant l'Église du Christ, devant les prêtres et les fidèles de nos diocèses, dans l'humilité et la conscience de notre faiblesse, mais aussi avec toute la détermination et la force dont Dieu veut bien nous donner la grâce, nous nous engageons à ce qui suit:
1) Nous essayerons de vivre selon le mode ordinaire de notre population en ce qui concerne l'habitation, la nourriture, les moyens de locomotion et tout ce qui s'ensuit.
2) Nous renonçons pour toujours à l'apparence et à la réalité de richesse spécialement dans les habits (étoffes riches et couleurs voyantes), les insignes en matière précieuse: ces insignes doivent être en effet évangéliques.
3) Nous ne posséderons ni immeubles, ni meubles, ni comptes en banque, etc., en notre propre nom; et s'il faut posséder, nous mettrons tout au nom du diocèse, ou des œuvres sociales ou caritatives.
4) Nous confierons, chaque fois qu'il est possible, la gestion financière et matérielle, dans nos diocèses, à un comité de laïcs compétents et conscients de leur rôle apostolique, en vue d'être moins des administrateurs que des pasteurs et apôtres.
5) Nous refusons d'être appelés oralement ou par écrit des noms et des titres signifiant la grandeur et la puissance (Éminence, Excellence, Monseigneur). Nous préférons être appelés du nom évangélique de Père.
6) Nous éviterons dans notre comportement, nos relations sociales, ce qui peut sembler donner des privilèges, des priorités ou même une préférence quelconque .aux riches et aux puissants (ex. : banquets offerts ou acceptés, classes dans les services religieux).
7) Nous éviterons d'encourager ou de flatter la vanité de quiconque en vue de récompenser ou de solliciter les dons ou pour toute autre raison. Nous inviterons nos fidèles à considérer leurs dons comme une participation normale au culte, à l'apostolat et à l'action sociale.
8) Nous donnerons tout ce qui est nécessaire de notre temps, réflexion, cœur, moyens, etc., au service apostolique et pastoral des personnes et des groupes laborieux et économiquement faibles et sous-développés, sans que cela nuise aux autres personnes et groupes du diocèse. Nous soutiendrons les laïcs, religieux, diacres ou prêtres que le Seigneur appelle à évangéliser les pauvres et les ouvriers en partageant la vie ouvrière et le travail.
9) Conscients des exigences de la justice et de la charité et de leurs rapports mutuels, nous essayerons de transformer les œuvres de « bienfaisance» en œuvres sociales basées sur la charité et la justice qui tiennent compte de tous et de toutes les exigences, comme un humble service des organismes publics compétents.
10) Nous mettrons tout en œuvre pour que les responsables de notre gouvernement et de nos services publics décident et mettent en application les lois, les structures et les institutions sociales nécessaires à la justice, à l'égalité et au développement harmonisé et total de tout l'homme chez tous les hommes et par là l'avènement d'un autre ordre social, nouveau, digne des fils de l'homme et des fils de Dieu.
11) La collégialité des évêques trouvant sa plus évangélique réalisation dans la prise en charge commune des masses humaines en état de misère physique, culturelle et morale - les 2/3 de l'humanité- nous nous engageons:
- à participer, selon nos moyens, aux investissements urgents des épiscopats des nations pauvres;
- à acquérir ensemble, au plan des organismes internationaux, mais en témoignant de l'Évangile, comme le pape Paul VI à l'ONU, la mise en place de structures économiques et culturelles qui ne fabriquent plus de nations prolétaires dans un monde de plus en plus riche, mais qui permettent aux masses pauvres de sortir de leur misère.
12) Nous nous engageons à partager dans la charité pastorale notre vie avec nos frères dans le Christ, prêtres, religieux et laïcs pour que notre ministère soit un vrai service; ainsi:
- nous nous efforcerons de « réviser notre vie» avec eux;
- nous susciterons des collaborateurs pour être davantage des animateurs selon l'Esprit, que des chefs selon le monde;
- nous chercherons à être plus humainement présents, accueillants; - nous nous montrerons ouverts à tous, quelle que soit leur religion;
13) Revenus dans nos diocèses respectifs, nous ferons connaître à nos diocésains notre résolution, les priant de nous aider de leur compréhension, leur concours et leurs prières.
Que Dieu nous aide à être fidèles.
Source : Informations catholiques internationales, 1er janvier 1966
Pour aller plus loin, il me semble indispensable de lire cette ouvrage : « Le pacte des catacombes - une église pauvre pour les pauvres ».
Me trouvant au séminaire, à Rome pendant ce temps de Vatican II, j’ai souvent entendu parler de l’urgence d’une Église enfin pauvre. Proches des gens. Proches des pauvres. Alfred Ancel nous en parlait régulièrement. Don Elder Camara savait enthousiasmer ses auditeurs sur cette nécessité d’une Église pauvre, proche des plus petits. Cette étude informe largement sur ce propos. À lire donc. Je m’y engage. Le livre, 300 pages, n’est pas encore sur les rayons de La Procure. Il ne devait pas tarder à s’y trouver. En voici la présentation par les auteurs.
Le Pacte des catacombes. Pour les jeunes générations, ce « pacte » ne dit pas grand-chose, et risque d’évoquer davantage un roman d’heroic fantasy qu’un événement de Vatican II... Pour les contemporains du Concile et pour ceux formés dans les années 1960-1980, l’événement est devenu « mythique » — ce qui attise la curiosité de certains qui croient y deviner un secret plus ou moins étouffé par l’Église, quand d’autres soupçonnent un micro-événement gonflé outre mesure par des journalistes.
Or, comme souvent, la vérité est entre les deux.
Disons-le d’emblée : Le Pacte des catacombes n’est pas le titre du document qu’un certain nombre d’évêques ont signé le 16 décembre 1965 dans les catacombes romaines de Sainte-Domitille. Son véritable titre — nous le révélons ici — n’en est pas tout à fait un : Réflexion de quelques évêques à la fin du concile Vatican II. On le voit, ce titre a plutôt l’air d’un sous-titre, et encore est-il en partie trompeur. Car le genre littéraire du document relève plus d’« engagements définitifs » que de « réflexions ». En ce sens, s’il est exagéré, le terme de « pacte » n’est pas faux, à condition de ne pas y voir un acte scellé à des fins complotistes... Absolument rien de tel ici : ces engagements furent vite rendus publics et suivis d’effets concrets dans la vie de ces évêques quelques mois après leur signature.
C’est ce document totalement inédit que nous restituons ici en ouverture. On constatera que cette version du Pacte des catacombes, traduite de l’original latin — la seule qu’aient signée quelque 500 évêques de par le monde —, n’a rien perdu de sa force. Par la suite trois études nous présentent l’histoire et le retentissement de ces engagements.
L’histoire de ce Pacte est due à Pierre Sauvage. À l’aide de nombreux documents souvent rares, parfois inédits, il nous fait vivre semaine après semaine, depuis le lancement du Concile par Jean XXIII en septembre 1962 jusqu’à la signature du Pacte en décembre 1965, l’élaboration de ce qui fut d’abord un schéma (dit « XIV ») par le groupe « Jésus, l’Église et les pauvres », qui rassemblait non seulement des évêques, mais aussi beaucoup d’experts, tous religieux ou marqués par la spiritualité de François d’Assise, du Cœur de Jésus, de la JOC ou de Charles de Foucauld. On y découvre, entre autres, le rôle considérable qu’ont joué les Français pour mener à bien cette réflexion. Faut-il s’en étonner eu égard à la déjà longue tradition de défense de la doctrine sociale de l’Église dans ce pays que la séparation de l’Église et de l’État a paradoxalement enrichi ?
À lire ce document, on est aussi frappé par la volonté d’inscrire presque systématiquement ces engagements dans les Évangiles. Aucune autre référence — qu’elle provienne des traditions théologique ou magistérielle —ne vient interférer. Pareille radicalité méritait explication. Luis Martínez Saavedra et Pierre Sauvage proposent dans le deuxième chapitre une lecture attentive de chacun des passages néotestamentaires invoqués. La plupart formeront le corpus des communautés de base qui fleuriront en Occident après le Concile, en particulier en Amérique latine.
C’est justement le retentissement du Pacte des catacombes dans cette partie du monde que se propose d’exposer Luis Martínez Saavedra dans le troisième chapitre. Si chez les Français (en métropole et dans les anciennes colonies) la cause d’une « Église pauvre pour les pauvres » semblait acquise depuis long- temps, il y avait encore beaucoup à faire en Amérique latine, où la majorité du peuple était pauvre et la hiérarchie ecclésiale encore trop dépendante de l’État et de l’oligarchie. Mais après le Concile une bonne partie de l’épiscopat était prête à poser un tout autre regard sur son statut et ses devoirs. La conférence épiscopale latino-américaine de Medellín, en 1968, consacra cette conversion, en reprenant parfois le Pacte terme pour terme. Après cet événement, l’auteur raconte l’accouchement non sans douleurs de cette nouvelle approche de l’épiscopat, ce qui est aussi une manière de relire une page fort peu connue, mais non moins essentielle, de la théologie de la libération.
Chacun à sa manière, L. Martínez Saavedra et P. Sauvage répondent au défi lancé en 2005 par Giuseppe Alberigo, le grand historien du Concile : « Après bientôt quarante ans, on n’a pas encore tenté de bilan du retentissement concret de ces engagements solennels*. » Il y a plus. Si cette publication entend mettre au jour un épisode méconnu — et en partie négligé — du concile Vatican II, ce n’est pas par pur souci de vérité historique ; en se penchant sur ce texte, les éditeurs ont d’abord été surpris par sa brûlante actualité. Ils ont même eu le sentiment que le pape François, sans les avoir signés — et pour cause —, a toujours fait siens ces engagements, et ainsi souhaité entraîner l’Église dont il a la charge à les pratiquer. Car c’est à la lumière de sa pauvreté, de son humilité, que l’Église sera jugée authentiquement peuple de Dieu.
* G. Alberigo, « Changement d’époque ? », dans G. Alberigo (dir.), Histoire du concile Vatican II (1959-1965), t. V : Concile de transition, Cerf/Peteers, Paris/Louvain, 2005, p. 737.