Chômage, ou sans logement. Galère. Mais rencontrer celui qui écoute, qui prend le temps d’entendre sans jugement en totale amitié. Espérance
Je pense avoir déjà publié ce texte de Jean-Marie. Il se trouve que je le sens bien ici, suite au témoignage précédent.
Poste pressée.
Jean-Marie Delthil :
Je vais tenter de vous raconter à peu près fidèlement ce qui vient de se passer à la poste de mon village : Bonny-sur-Loire.
Je suis là pour acheter des timbres… un homme entre, je le resitue soudainement : c'est une connaissance que je n'ai pas eu l'occasion de croiser depuis deux ou trois ans – bon.
On y va alors naturellement de nos : « Comment ça va ? » respectifs, vaguement habituels et vaguement mécaniques… mais lorsqu'il vient à me poser la question de savoir comment ça va, je lui réponds que ça ne va pas trop bien, en fait… chômage de longue durée. Il ne fait pas plus attention que ça à ce que je lui ai répondu, et il enchaîne aussitôt qu'il vient de trouver du travail à une amie, une de ses connaissances.
Moi, je lui réponds que c'est très bien pour elle, mais que c'est tout de même vraiment difficile de trouver quelque chose en ce moment, et ce depuis pas mal de temps d'ailleurs, dans nos régions… (et ailleurs également).
Sa bonne humeur et son entrain ne défaillent pas : il me glisse qu'en tant que cariste – et avec la formation ad hoc : on peut trouver du travail partout, en fait.
Whaaa … finalement, ça fait vraiment rêver, ce genre de plan de carrière – comment n'y avais-je pas pensé plus tôt ?… Je veux dire : de trouver du travail, et qui plus est cariste… - et si on ne veut pas faire je job-là, si on n'a pas envie d'exercer cette profession ? Si on a d'autres rêves, en fait, dans la tête et dans la vie, des choses plus vastes, communautaires, altruistes, humaines et humanistes ?…
Well, je ne lui évoque même pas de cette histoire de 'rêves' dont je viens de vous parler… et je l'écoute – finalement, je n'ai que ça à faire, tant il parle : il me dit que… et que… et que… en fait, il ne parle que de lui, de son courage, de sa puissance, de sa volonté, de son travail…, moi, je lui réponds que je connais pas mal de monde à Bonny, et dans les environs également, qui touchent une pension d'invalidité suite à des dépressions récurrentes, à des problèmes psychiques et psychiatriques plus ou moins graves… des personnes qui ne parvenaient pas et qui ne parviennent plus à s'adapter au monde du travail tel que nous le connaissons dans nos régions, et qui ont lâché la rampe, pour ainsi dire.
Des personnes 'qui ne s'adaptent pas', comme on dit un peu trop rapidement.
Lui, il ne capte pas – en fait, le brave compagnon n'est même pas (plus) en mesure de comprendre ce que je lui dis-là : le simple fait que le peu d'emplois qui nous est proposé ici, dans la région, ne peut pas forcément convenir à tout le monde, tant s'en faut – et ne justifierait en aucun cas le fait de prendre tout, absolument tout ce qui viendrait d'aventure à se proposer à nous… alors, avec le temps, on finit, pour certains d'entre-nous en tout cas, par dépérir – moralement et psychiquement, tout du moins.
Il repart sur sa situation personnelle : « Moi, même avec la situation de chômage qu'on a en ce moment : j'ai toujours réussi à me démerder, à bricoler à droite à gauche, à faire du travail au noir, finalement - je ne suis jamais resté sans rien faire… et je ne suis jamais tombé dans la déprime ou dans la dépression, j'avais pas le temps ! ».
Incroyable… un héros, en somme – un de plus… je me rapproche alors un peu de lui… « Tu as fait du black toute une partie de ta vie... et puis tu en fais encore – c'est bien… et tu connais du monde, tu as du réseau, des soutiens… mais pense un peu à nous, à nous toutes et touts qui ne parvenons plus à travailler, qui ne connaissons pas grand monde qui puisse nous aider d'une manière ou d'une autre… », et j'ajoute, intrépide et vaguement inconscient : « Et puis c'est à cause de mecs comme toi – qui grattent partout, qui grappillent tout ce qui peut traîner comme job, tu vois, qu'on ne parvient plus à trouver de travail »… et je développe, plus largement et justement, cette fois-ci : « Une société de 'forts' où seuls les plus malins, les plus astucieux, les plus performants, ceux qui ont le plus de réseaux et de connaissance, de résistance physique et psychique… s'en sortent – ce n'est plus une société, je pense. C'est la jungle, la loi du plus fort, c'est juste ça – tu comprends ? la jungle... (je ne parle là même pas de conscience personnelle et collective) »
Il me dit comprendre ce que je viens de lui énoncer. Il comprend, mais il n'a visiblement pas intégré la gravité des faits.
Il est en fait dans l'individuel, dans le personnel, dans l'efficacité et dans le pragmatisme poussé dans ses limites et dans ses retranchements.
Comme cet homme, à l'âge de la retraite, paraissait vraiment très pressé, je l'ai laissé faire ses démarches au guichet en le laissant passer devant moi : les héros le méritent bien, ils travaillent finalement pour nous.
J'ai ensuite payé les timbres auprès de l'employé qui, pour la première fois, me paraissait un peu moins amical.
« Bonne fin d'année ! »
Jean-Marie Delthil. Bonny, le 22 décembre 2016.