Quand A. Chevrier songea à la formation de prêtres, il actualisa à cette fin l’essentiel de son message aux enfants pauvres avec qui il vivait

Publié le par Michel Durand

Salle de bal du Prado en décembre 1860 où A. Chevrier reçoit des enfants vivant dans la misère.

Salle de bal du Prado en décembre 1860 où A. Chevrier reçoit des enfants vivant dans la misère.

Il me semble concevoir spontanément la vie sociale sous le mode « circulaire ». Nous sommes tous frères et sœurs capables de nous organiser grâce à une simple conversation qui circule horizontalement. Mais, je suis bien obligé en fin de « carrière », d’observer que partout le mode de gestion de la société (des sociétés) est pyramidal.

Je constate cela à tous les niveaux et ce qui se vit actuellement à Saint-Merry en donne l’exemple. Comment Antoine Chevrier vivait-il sa collaboration avec ses compagnons et compagnes ? Dans le sens du service, me semble-t-il, comme l’indique sa façon d’être avec les enfants qu’il a recueillis dès 1860 dans l’ancienne salle de bal du Prado. Bref, c’est à cela que je pense après avoir rédigé un article pour répondre à une question qui me fut posée sur la date et l’origine du « Tableau de Saint-Fons ».

 

Vivre avec eux, source du Tableau de Saint-Fons

 

Depuis sa prise de conscience au Noël 1856 que Dieu, pour enfin s’adresser efficacement aux humains, choisit de naître d’une femme, Antoine Chevrier opta pour une effective vie de pauvreté. Vivre avec les pauvres de ce monde, vivre comme eux est le seul moyen pour transmettre l’immense don de l’Évangile.

Transmettre la Bonne Nouvelle, exprime le fondateur du Prado, est l’unique mission. Donner l’Évangile.

Dans la salle de bal devenue lieu de vie pour des jeunes très pauvres, filles et garçons, dès les débuts, en 1860, Antoine, Pierre, Marie, Amélie éduquent les enfants en leur donnant les premiers rudiments d’une formation scolaire. Ils apprennent aussi à prier, se préparent à communier. Ils prennent connaissance de la vie de Jésus. Lisent l’Évangile. Bref, au lieu de travailler ou de mendier, ils font ce que font tous les enfants pouvant aller au catéchisme dans les paroisses en plus d’aller à l’école. Cette formation ne dure que 5 ou 6 mois. Il faut aller vite. Il y a beaucoup de monde. Les jeunes ainsi formés, éduqués de l’Évangile qui donne sens à leur baptême sont plus aptes à affronter les problèmes de la vie.

Or, pour que cette mission soit accomplie, il importe de vivre avec eux. François Duret en témoigne au procès de béatification d’Antoine Chevrier (P. 4, p. 1082 r) : « Le Prado appartient aux pauvres, ils sont ici chez eux. Nous ne sommes en quelque sorte que leurs locataires et si nous ne les servions pas bien, ils auraient le droit, et même lé devoir de nous faire honte et de nous mettre à là porte. Nous sommes leurs serviteurs ils peuvent disposer de nous et de tout ce qui est à notre usage. Notre temps, notre santé, notre vie leur appartient. C'est un des motifs, pour lesquels nous devons supprimer de la maison tout ce qui choquerait les pauvres, et retrancher de notre table, de notre logement et de notre vêtement, de nos habitudes, tout ce qui n'est pas de la condition des pauvres. »

Pour évangéliser les pauvres, il n’y a pas d’autres chemins que celui de vivre avec eux. Se laisser modeler par eux. Pour leur donner à connaître Jésus Christ, il faut prendre leur mode de pensée, utiliser leurs mots, aller à l’essentiel en parlant de Jésus-Christ. Antoine Chevrier le dit ainsi : « Étudier Jésus sera toute mon étude. Je prends Jésus pour modèle.  Étudier Jésus dans l’Évangile, étudier Jésus dans l’eucharistie et tous les sacrements, la vie de l’Église et la vie du monde ». Adrien Muller* en parle ainsi : « Ce sera le travail du Père Chevrier pour que lui-même devienne un véritable disciple de Jésus-Christ et pour donner à Jésus des chrétiens véritables disciples de Jésus. Connaître, aimer, suivre Jésus Christ depuis sa naissance dans une étable, jusqu’à la croix, jusqu’au don de son amour où il devient notre nourriture. Étudier Jésus Christ et faire étudier Jésus Christ ». Ainsi, « Antoine Chevrier, pour engager avec les chrétiens ce travail, commence la réunion par cette question : “Que pensez-vous de cet homme qui parut il y a 1860 ans, qui est né à Bethléem dans une étable, a vécu trente-trois ans… est mort sur une croix et a changé la face du monde ?” Il commence la réunion avec ses pénitents en disant : “je vous réunis pour vous apprendre à devenir chrétiens” ». « Antoine Chevrier décide donc de la manière de faire pour “être efficace” : “ni sermons ni instructions, seulement des pensées du cœur. Je ne veux savoir que Jésus crucifié, qu'à Dieu ne plaire. Que je ne cherche autre chose que notre amour pour Dieu”. C’est la conversation du ressuscité avec les disciples d’Emmaüs qui le guide ».

Jean-François Six indique que c’est en 1864, au cours d’un séjour au mois de mai à Châtanay pour se reposer, qu’Antoine Chevrier précise sa pensée. Il confie la maison du Prado à l’abbé Bernerd venu le rejoindre du diocèse de Nevers. Il y a aussi M. Martinet, un ancien Frère des Écoles chrétiennes qui voulait devenir prêtre. N’y aurait-il pas là, le « commencement d’une communauté de prêtres pauvres » au service des pauvres ? Il importe de former des gens dans ce sens. Fidèles chrétiens et prêtres ne sont-ils pas appelés à suivre Jésus Christ au plus près ? J. F. Six précise : « C’est à Châtanay qu’il écrit des Notes sur le Sacerdoce. « Il y a pour le prêtre, comme pour le fidèle, deux voies pour aller à Dieu et remplir la mission qui lui a été confiée : la voie des préceptes et celle des conseils. […] Les religieux observent les conseils évangéliques ; pourquoi les prêtres séculiers ne les suivraient-ils pas ? Est-ce que la perfection n'est pas pour eux aussi bien que pour les autres ? » (J.F. Six, Un prêtre Antoine Chevrier, fondateur du Prado, Seuil, p. 266)

Donc, dans les années 1860, les notes des cahiers d’Antoine Chevrier sont fortement marquées par la mission de faire le catéchisme aux enfants du Prado. On y voit des réflexions sur la communion, la pénitence, la confession, les sacrements pour « trouver les moyens de faire étudier Jésus-Christ dans l’Évangile, dans son humanité, sa divinité. La prière avec le « Petit rosaire du chrétien » sera privilégiée. « Connaître et aimer Jésus-Christ. Voilà la véritable science et le vrai bonheur. Étude sur Jésus Christ. 1860 », lit-on à la première page du cahier. « C’est par la prière à Marie que le Père Chevrier veut faire entrer les petits et les pauvres dans l’intelligence du mystère de Jésus Christ ; le Verbe C’est fait chair ».

Nous abordons l’essentiel du Tableau de Saint-Fons.

« Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous. Saint Jean. Voilà la plus grande, la plus belle, la plus étonnante et plus mystérieuse parole de l’Évangile, digne d’être méditée à jamais par tous les hommes, parole qui renferme en abrégé tout l’Évangile et notre croyance », écrit Antoine Chevrier.

Tous les baptisés sont alors invités à considérer avec grande attention les suites de l’incarnation : la crucifixion et l’eucharistie (la communion).

Je recopie ce qu’Antoine Chevrier a rédigé, cette fois avec une écriture appliquée :

- La crèche : Accomplissement du grand mystère de l’incarnation. Il vient sur la terre pour nous instruire. Acte de foi, acte d’amour.

- Le Calvaire : Accomplissement du grand mystère de la Rédemption. Il a habité parmi  nous pour expier nos péchés. Foi et amour. Instruction et méditation.

- Le Tabernacle : Grand mystère de la sainte Eucharistie. Il a habité parmi nous pour nous donner la vie. Instruction et réflexion.

 

Les premières traces du Tableau de Saint-Fons

Quand, par la suite, Antoine Chevrier songea à la formation de prêtres pour venir travailler à l’évangélisation des personnes avec qui les premiers pradosiens vivaient, il concrétisa, développa, ce triptyque. Il ne fit que le relire dans une perspective presbytérale. Cela passa très concrètement d’abord par la création d’une école cléricale au sein du Prado. Puis il y eut la retraite à Saint-Fons avec 12 séminaristes. Jean-Claude Jaricot, alors séminariste, en parle : « En 1866, après la fête de l'Assomption, le père Chevrier prit avec lui douze de ses enfants, j'étais du nombre, pour aller faire une retraite dans cette solitude de sa prédilection : elle n'était pas aussi bien organisée qu'elle l’est aujourd'hui. Elle est encore bien pauvre, mais alors c'était bien autre chose, on y voyait encore les outils des laboureurs. La petite écurie fut choisie connue oratoire et transformée. Le père Chevrier mit dans la Crèche un petit Jésus semblable à celui du Prado. Il commença les inscriptions qu'il termina plus tard et que l'on doit y voir encore. Là était notre lieu de réunion et de prière, nous y faisions ensemble le chemin de la Croix. On couchait au premier étage et au grenier, sur des paillasses à terre où les rats venaient nous tenir compagnie. » (P. 3, p. 600 v-601 r).

 

Notons que pour bien comprendre le passage d’un « crèche - croix - tabernacle » pour tous les baptisés à celui pour des prêtres, il importe de parler du désir d’Antoine Chevrier de créer un « petit séminaire » (une école cléricale) au sein de la formation humaine et chrétienne des jeunes de la rue. Imaginons que j’en parle une autre fois.

 

 

* passage rédigé avec l’aide des notes d’Adrien Muller.

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