Récit d’une tranche de vie ; voir la main que Dieu pose sur nous afin de tracer l’unique sillon orienté vers son domaine. Suite N° 3 - 1957-1958

Publié le par Michel Durand

Récit d’une tranche de vie ; voir la main que Dieu pose sur nous afin de tracer l’unique sillon orienté vers son domaine. Suite N° 3 - 1957-1958

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Année 1957-1958

Je suis en 3ème Technique à Godefroy-de-Bouillon. Clermont-Ferrand.

 

 

Lundi 30 décembre 1957.

Samedi dernier Claude a organisé une surprise-partie et aujourd’hui on s’affaire pour remettre en ordre le chahut de l’avant-veille. On s’est beaucoup amusé à cette « surpat » ; sagement et bien.

 

Mardi 31 décembre.

Je suis en vacances depuis déjà une semaine et je me repose beaucoup ; mais d’un repos intellectuel, car je sors assez souvent et mon sommeil s’en ressent. Ainsi ce soir, je vais chez Bonnevais à une soirée de fin d’année. Nous retrouvons la famille Clergeot, M. et Mme Chauveau, aussi Samuel et Marie-Jo. L’ambiance du bal est formidable. Tout le monde s’amuse et danse énormément. Pour ce qui nous concerne (la famille Durand), nous rentrons à 5 heures.

 

Mercredi 1er janvier.

Cette journée se déroule comme de coutume. Réunion chez les grands-parents, réunion de famille où tous s’attablent pour un repas gastronomique. Comme cette ambiance de tantes, d’oncles, de petits cousins n’était pas très agréable, je me suis rendu avec deux cousins de mon âge à peu près et ma sœur à un thé dansant dans la salle du Casino de Bourbon-Lancy (ville thermale). Il y avait peu de monde et il faisait froid.

Le soir je fis à toute la famille présente une séance de cinéma. Cette projection fit la joie de tous et rappela les heureux souvenirs de vacances.

 

Vendredi 3  janvier.

Je me suis rendu hier chez le médecin pour une visite médicale demandée par l’école. Cette école où je suis rentré maintenant. Oui, les vacances sont terminées et je peine à me lever de mon lit de boite (toujours un grand dortoir). Les cours  ont repris à 10 heures et vers midi j’avais l’impression d’être interné depuis une éternité. Les retours (des moments) de plaisirs sont tristes ; je n’ai envie que de ne rien faire, absolument rien. Pourtant, je n’ai pas le droit de me laisser vivre. Il faut faire.

Une autre chose également importante. J’ai l’impression de voir Carnaval demain alors qu’il y a bien un mois avant celui-ci. Je ne dois plus penser aux vacances ; il faut que je travail.

 

Dimanche 5 janvier 1958.

Moralement, je me sens mieux. Les vacances s’éloignent et je me mets au travail. J’ai cependant un peu le cafard et l’envie me prend d’avoir un correspondant pour sortir en ville. J’aimerais beaucoup être à la maison, mais la chose est impossible, aussi je m’efforce de ne pas penser aux heures plaisantes que je passais à Digoin. J’écris à mes parents une lettre très normale dans laquelle je ne laisse rien apparaître sur ma tristesse.

Dans cette lettre je m’étonne aussi de n’avoir rien reçu d’une correspondante africaine (Afrique du Sud). Mon étonnement peut s’expliquer par le fait que mes parents ont ouvert une de ses lettres, la première je crois et depuis ce temps-là, je me méfie, car mon courrier dans beaucoup de cas doit rester secret.

 

Lundi 6 janvier 1958

Je travaille enfin et heureusement, car je veux terminer en assez bonne place.

J’ai reçu une lettre de Pierre Lépée. Cette lettre était accompagnée d’une carte d’Ernest Laurent avec, en plus la signature de Baudet. Ces trois, Laurent, Baudet Lépée sont des camarades de classe que j’avais durant mon internat à Saint-Gilles. Lépée m’est ami depuis longtemps et il est aussi mon confident tout comme moi je suis le sien. SI j’ai reçu quelques nouvelles de Pierre Lépée, je n’ai rien reçu de l’Africaine, ni de l’Anglaise. Elles mettent du temps pour me répondre ou pour m’écrire.

Le temps est pluvieux avec du vent. J’aimerais voir de la neige, avoir une température plus froide pour que Clermont se caractérise et se fasse (se montre) à mon idée. Aussi pour que le temps change.

À neuf heures (du soir), c’est-à-dire bientôt, j’irai au lit. J’espère qu’avant de m’endormir je ne me laisserai pas aller au rêve.

 

Mardi 7 janvier

J’ai reçu aujourd’hui une lettre des parents et une carte de Christian Bautonnet qui est un camarade de Saint-Gilles. Il m’envoie ses vœux pour la nouvelle année. À la suite de ces deux lettres, je me décide d’écrire une carte à Paul Aubertin (plus âgé que moi). Je ne sais pas si je fais bien de lui rappeler mon existence.

La température est toujours clémente. Je désire donc qu’il fasse un peu plus froid afin que Clermont se détermine. Je veux de la neige pour voir comment est l’hiver dans le Puy-de-Dôme.

Au cours de religion, le professeur nous a donné une phrase de Guy de Larigaudie : « La chanson d’une eau vive entraine loin des marais ».

 

Jeudi 9 janvier.

Cette journée fut bonne. La séance d’atelier puis le cours de maths ont été bien employés. Je suis donc satisfait et je me félicite d’une matinée que je juge parfaite, mais qui, paraît-il, ne l’ait pas encore assez.

Comme chaque jeudi après-midi, je fais le trajet Clermont – Blanza, aujourd’hui très agréable -, pour me rendre à un patronage. Au début, tout allait bien, mais à la fin ce fut une vraie pagaille. N’ayant aucune éducation, ces petits paysans de la basse Auvergne se sont ouvertement moqués de nous, moniteurs.

Avant de rentrer en boite on prend un soda au Rabelais-snack bar.

 

Dimanche 12 janvier.

Hier, au cours de catéchisme, nous avons eu audition de disques. L’heure fut agréable. Après ce moment fort plaisant, nous avons eu cours de maths. Maths que j’apprends et bien sûr comprends (maintenant) sans difficulté ; aussi je me laisse facilement divertir. C’est pourquoi je me rappelle  maintenant la nécessité d’écouter. Que cela soit dit une fois pour toutes.

Aujourd’hui dimanche, un peu de chahut dans la cour m’a diverti et donné de la gaité. Je n’ai donc pas trouvé la journée pénible en dépit des camarades partis en grand nombre dans leur famille.

La neige tombe – et en grande quantité - pour la première fois de l’année scolaire. C’est vers 5 heures (du soir) que la chute fut le plus intense.

 

Lundi 13 janvier.

Ce matin je montre un enthousiasme total. Comme je suis heureux de vivre ce jour ! Une joie à peine compréhensible existe en moi, pourtant je ne me plais guère en pension. Mais, pour je ne sais qu’elle raison, je me sens heureux, gai. J’ai préparé pour le patronage de Blanza un jeu qui, j’en suis sûr, amuserait beaucoup les gars. Ce jeu ne s’est pas fait à cause d’une contradiction de Laporte. Je le déteste et il me déteste. Il n’a pas proposé ce que j’ai préparé. Cela m’a vexé. Je crois c’est de sa faute si le patro. ne marche pas (bien).

 

Mardi 14 janvier 1958.

Ce matin malgré les deux heures de dessin (industriel) ne me parut pas rapide.

À 7 heures, j’ai fait à la piscine de l’A.S.M. (Michelin Clermont-Ferrand), 200 m. de brasse et 150 m. de crawl.

Le cours de religion me plut beaucoup. Il fut cependant un peu long et ennuyeux sur la fin. Pour l’anglais et les sciences, le cours fut moyen. Il est difficile de suivre l’anglais avec tout ce chahut. En technologie, le frère s’est mis en colère ce qui nous a valu une demi-heure de plus. Je comprends et justifie ses élans.

 

Jeudi 15 janvier.

J’ai passé une nuit formidable ; mon sommeil était profond et je n’ai pas eu, pour ainsi dire, de rêves.

Nous avons eu ce matin une messe qui, du reste, ne fut pas très active.

J’espérai jusqu’à midi, et même un peu le soir, recevoir une lettre de l’Africaine ou de l’Anglaise. Je n’ai rien eu. Mon espérance ne cesse pas encore, mais je sens que bientôt je n’attendrai plus. Un mois, c’est déjà beaucoup pour une réponse. Jamais, je ne vis une attente plus longue que cette distribution des lettres.

 

Jeudi 16 janvier.

La rencontre du patronage s’est bien passée. On a mis 4 gars à la porte et j’ai pris un peu le dessus.

Au courrier, je n’ai toujours rien de l’Africaine. Je reçois une lettre des parents à laquelle je m’empresse dé répondre pour leur dire qu’ils ne viennent pas dimanche. Comme prétexte je leur donne la neige, mais en réalité je n’ai pas voulu faire faire à papa 130 km. Je n’aime pas beaucoup les trajets de ce genre, car il est souvent en voiture (et cela le fatigue comme il le dit).

Au courrier du soir, je n’ai rien des deux correspondantes. Cette fois, je n’espère plus du tout. Quoique !

 

Samedi 18 janvier 1958.

Mes notes de quinzaine sont bonnes. Ce qui me réjouit. Pour combler ceci, je reçois une lettre de Susan (l’Africaine). Elle est courte et malheureusement pas très intéressante. Je suis quand même content. Demain dimanche, je reste à Clermont une fois de plus. Peut-être pour couper mon ennui ou pour un essai, j’écris aux grands-parents pour la première fois ; j’ai longtemps hésité avant de la faire. Enfin, c’est fait et j’espère que cela leur fera plaisir.

 

Mardi 21 janvier.

Je reçois une lettre de mes parents, une longue lettre qui me félicite de ma place et de mes notes. Par cette même lettre, j’apprends que les grands-parents sont venus dimanche à la maison et que tante Suzanne va avoir un enfant. Je reçois également une lettre de Ruth écrite complètement en Anglais. Elle ne se fatigue vraiment pas beaucoup pour m’écrire en français. Ceci n’empêche pas que ses lettres me fassent énormément plaisir.

 

Mercredi 22 janvier.

Je dois aller voir l’aumônier pour le patronage. Le rendez-vous est à 4 heures (du soir), mais ce n’est qu’à 4 h 30 que je le vois. Il est vraiment sympathique. Ce qui m’a plu c’est qu’il cherche à faire son vrai devoir de prêtre. En plus des questions concernant le patronage, il m’a entretenu sur ce qui m’est personnel. Ainsi, il m’a parlé de mon attitude quand je lui parle : je suis timide et reste coi à ses paroles. Je lui ai dit de même que je n’osais pas venir dans son bureau  et beaucoup de camarades étaient comme moi. Ce qui me parut bizarre en lui, c’est qu’il semblait ignorer que les gars de mon âge hésitent de leur parler de sujets difficiles et délicats. À la suite de cette timidité que j’exposais, l’aumônier m’a donné un petit enseignement ; mais, étant trop contracté, je n’ai pas retenu grand-chose.

 

Jeudi 2 janvier.

La journée est assez bonne. Je me rends à Blanza en car et je rencontre sur les plateaux de ce village beaucoup de neige. La pureté du ciel –d’un bleu magnifique- faisait sur l’étendue blanche une harmonie saisissante. Le patronage s’est assez bien passé. Mon comportement fut bon malgré la dispute partagée avec les filles qui nous attaquaient de boules de neige dans la cour des locaux. J’espère qu’il n’y aura pas de suite.

 

Vendredi 24 janvier.

Le ciel s’est assombri. Heureusement que mon esprit ne l’est pas. À la pensée de sortir dimanche prochain, je peine à travailler. Il faut cependant que je travaille ; la raison me le dit. Aussi, j’essaie de m’accrocher.

Je reçois une lettre d’Elizabeth  Bernigaud. Cela ne m’a pas choqué et je n’ai aucun trouble, aucune crainte. J’ai été surpris, choqué même, en lisant la première lettre de Susan et celle de Ruth. Il est vrai que je ne les connaissais pas  et que je ne m’attendais pas à ces correspondantes.

 

Samedi 25 janvier.

J’envoie une lettre – réponse à Susan avant de monter au dortoir pour me changer en grande vitesse, car je n’ai guère de temps. Les cours de 2 à 4 heures (du soir) ne furent pas beaucoup animés ce qui me mit dans une attente plus longue de la sortie.

Durant ce voyage, je me suis imaginé mon arrivée à Digoin. Je pris peur de ne pas parler, d’être hors de mes moyens devant mes parents. Ce n’est pas que je les craigne, au contraire, mais la vie en pension est tellement étriquée que je me trouve dépaysé quand je sors. Je m’efforce beaucoup à la conversation et ne montre pas une mine extraordinaire ou triste. Maman me croit triste, insatisfait quand je ne parle pas. Voilà pour l’arrivée du train.

À table, je n’ai pas dit grand-chose, mais cela ne s’est pas vu, car Claude, ma sœur, parla durant tout le repas.

 

Dimanche 26 janvier 58.

Étant à Digoin, j’ai trouvé Paulette et Maurice. Ils se sont mariés (des amis de la rue de la Loire). Nous avons eu un entretien très sympathique du style « confidence ». Je sortis de chez eux un peu mélancolique ; bizarre même. En un mot, mon cœur était empli de troubles identiques à des états d’âme incompréhensibles. Avant de les quitter, j’ai bêtement embrassé Maurice, chose que je n’ai pas l’habitude de faire. Aussi, m’a-t-il dit : « tiens, tu m’embrasses ! » C’est à la suite de cette parole que je n’ai pas trouvé normale la situation.  Comme réponse, je lui lançai : « pourquoi pas ? » Mais ce fut mal prononcé et de plus je rougissais.

 

Mardi 28 janvier.

Le travail reprend bien ; ainsi, le dimanche passé à la maison ne m’a pas dérangé. Ma semaine débute cependant moins facilement que la précédente. Je doute des résultats.

Je prépare aujourd’hui la lettre à Ruth. Cela est assez dur. Il faut réfléchir. Cette réflexion m’apprend ou plutôt me découvre une pensée personnelle. Je ne comprends pas pourquoi les sentiments donnent tant de troubles difficiles à être décrits. Pourquoi y a-t-il tant de sujets, d’idées inexplicables ?

 

Mercredi 29 janvier.

C’est la journée de l’adoration perpétuelle au pensionnat.

Le matin, j’ai regretté de ne pas m’être préparé à la communion. Ceci ne m’a pas empêché de prier pour mes parents, Catherine, Claude. J’espère  que mes paroles seront écoutées et que tous les dimanches maman ira à la messe avec ferveur, accompagné de papa.

 

Vendredi 31 janvier.

Hier, j’ai été, comme chaque jeudi, à Blanza. Il y avait un temps magnifique accompagné de chaleur. Je me suis plu à rêver dans l’herbe des plateaux de « la Bade ». Le soir de ce jeudi, j’ai emmené les gars du patro à l’église. Voici un point sur lequel je pourrais insister : la prière. Ils ne savent absolument pas prier.

La température d’aujourd’hui baisse depuis le matin ; mais, à midi, il y eut un ciel splendide. Je reçois une lettre de grand-mère Décréaux qui m’écrit aussi en tant que marraine. C’est ce que je désirai.

 

Samedi 1er février 1958

Le froid s’accentue toujours, mais autour de midi il fait assez chaud. Ce soir, beaucoup partent chez eux. Comme je reste ici, j’ai pu écouter avec beaucoup de joie un disque de Tchaïkovski et un autre de jazz moderne.

 

Dimanche 2 février

Le levé accompli, je vais à la messe.

La promenade ne fut pas tellement agréable (est-ce en groupe ou seul ? Surement en groupe accompagné, je ne me rappelle pas). Heureusement que le film était bien. C’était « Petit garçon perdu » que je voyais pour la troisième fois.

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