Comment se fait-il que des personnes normalement constituées puissent montrer autant de haine vis-à-vis d'autres personnes différentes ?

Publié le par Michel Durand

Comment se fait-il que des personnes normalement constituées puissent montrer autant de haine vis-à-vis d'autres personnes différentes ?

Source de la photo

Pauvreté, chômage, déclassement… Quel regard posé sur le travail, le travailleur ? Ce n’est pas l’action de production qui crée la dignité humaine, mais l’activité qui engendre un bien. En ce sens, le travail n’est pas obligatoirement au salaire. Or, depuis très longtemps, l’engagement du travailleur se réduit trop souvent à la possibilité de recevoir un salaire. Travailler pour gagner de l’argent au lieu de créer une œuvre.

Pour développer cette réflexion, il me faudrait reprendre ce que j’ai déjà rédigé. (Parmi les nombreuses pages que l'on peut trouver avec "travail" dans le moteur de recherche, voici ici).

Il faudrait aussi relire ce que François de Rome a écrit, devenant le défenseur d’« un paiement forfaitaire inconditionnel à tous les citoyens, qui pourrait être versé par le biais du système fiscal ». « Le revenu de base universel pourrait remodeler les relations sur le marché du travail en garantissant aux gens la dignité de refuser des conditions d’emploi qui les enferme dans la pauvreté ». « Un temps pour changer ».

François affirme, dans une missive adressée aux Mouvements populaires  : « Notre civilisation - si compétitive, si individualiste, avec ses rythmes frénétiques de production et de consommation, ses luxes extravagants, ses profits disproportionnés réservés à quelques-uns - doit ralentir, faire le point et se renouveler ».

 

Aujourd’hui, sur ce propos, je me tourne vers Jean-Marie Delthil.

 

Le paradoxe chez Pôle Emploi

 

Voici le paradoxe qu'il me fut donné de constater, hier, dans les locaux de l'antenne de Pôle Emploi de Gien, en Sud-Loiret : et combien de fois ne l'ai-je pas constaté, d'ailleurs !...

 

Je m'explique

Grand beau temps pour cette matinée de fin de mois de juin, il est 9 heures du matin, je suis à l’heure pour mon rendez-vous à un entretien qui doit se dérouler de manière collective.

Je m'enregistre auprès d'une des deux personnes qui se trouvent aux bornes d'accueil de l'établissement, puis je suis orienté dans le fond de la salle où se trouvent disposées quelques chaises.

Un homme attend déjà.

Nous nous saluons.

Il lui semble le connaître plus ou moins vaguement, il est de Bonny – moi aussi – ; il m'a effectivement rencontré une ou deux fois selon ses dires et de manière informelle.

Je n'ai pour ma part aucun souvenir de lui.

Il semble sympathique, avenant, dynamique.

Nous engageons la discussion sur quelques banalités, et je ne peux m'empêcher alors de lui parler de cette tragédie qui a touché notre village il y a guère plus d'un mois : un homme tuant par acte de violence un autre homme, sur fond de pauvreté, de désocialisation et de grande exclusion.

Je sens qu'il « décroche » alors un peu… Pour tenter de le raccrocher à mon récit et à mes dires, je lui expose immédiatement le lien qu'il y a, ou qu'il peut si souvent y avoir en tout cas, entre la grande pauvreté et des actes de désespérances – quels qu'ils soient… Il n'a visiblement pas mon opinion, mon point de vue… Il s'anime soudainement, s’enrage instantanément presque dans ses propos au sujet des « exclus », des « pauvres », des « laissés pour compte », des « profiteurs », selon lui et j'arrête ici la liste.

Je m'approche alors de lui de deux chaises, et lui exprime le plus clairement possible que je fais moi aussi partie des personnes en marge de la société, si souvent stigmatisées et rejetées, d'ailleurs : « Écoutez, je suis bénéficiaire du RSA – alors je sais de quoi je parle en matière d'exclusion, et du rapport que la société peut avoir avec nous… » Il me tutoie aussitôt… Je lui demande de bien vouloir continuer à me vouvoyer ; nous n'en venons pas aux mains, mais nous n'en sommes finalement pas loin.

Constat premier.

 

Second constat :

Une femme tout enjouée vient nous chercher pour que nous puissions assister à cet entretien pour lequel nous étions convoqués. Nous sommes alors cinq personnes : trois demandeurs d’emploi (un homme s'est entre-temps joint à nous), et deux animatrices.

L'exposé et l'entretien durèrent une bonne heure et demie ; il fut correct, assez bien mené – mais je notais à de multiples reprises les interventions virulentes et presque violentes des deux hommes qui se trouvaient là, et de l'un d'entre eux en particulier, de celui qui s'était joint à nous : il explosait littéralement par moment, mû par une véritable rage vis-à-vis des institutions, du « système », des lois, du dispositif qui fait qu’en France il soit si difficile de travailler à son compte, d'être entrepreneur – et de le rester.

Ses dires semblaient tout à fait fondés et dignes de foi.

J'écoutais.

L'autre homme – celui avec lequel j'avais eu cette discussion animée en arrivant à Pôle Emploi – n'abondait pas forcément totalement dans son sens, mais on sentait toutefois chez lui également une colère, enfouie, diffuse, mal et peu exprimée, que je ne saurais pas à proprement définir.

Bref, la rencontre eut lieu – et sur le point de nous quitter, ce dernier homme fit le choix de me réitérer le fait que les personnes au chômage étaient des profiteurs… qu'il y eût du travail partout finalement, ou presque, en tout cas pour ceux qui veulent « vraiment »travailler – et qu'il en avait vraiment marre de payer pour les autres qui ne « foutent rien » et qui profitent de la société !

Je me suis contenté de lui répondre que le fait que quelques personnes soient malhonnêtes et fraudeuses en la matière ne constituait pas une généralité en soi – et qu'on ne pouvait mettre tout le monde dans le même sac.

Nous en sommes restés là, avec une bonne poignée de main finalement amicale et plus ou moins cordiale en vue de sceller notre séparation.

 

Que dire de tout cela ? Quelle expérience et quel enseignement en tirer ?

Que ce constat d’animosité et, parfois de haine (il faut également le dire), vis-à-vis des personnes qui recherchent du travail et qui sont au chômage ne se vit pas simplement qu'à Gien, mais se vit encore, à Brest, à Marseille, à Limoges, à Lyon où bien à Orléans – et au fin fond de nos campagnes françaises… Finalement : plus ou moins partout.

Et voilà le constat et la réflexion que j'aimerais vous proposer, non pas en guise de conclusion, mais en guise de réflexions, d'ouvertures, et surtout d'actions possibles et imaginables !

Comment se fait-il que des personnes normalement constituées, des citoyens lambda finalement, puissent montrer autant de colère et de haine vis-à-vis d'autres personnes pour lesquelles elles semblent ne pas avoir de points communs, et encore moins de considération ?

L'expérience prouve que l'on ressent parfois de la haine ou tout du moins de l'envie – que l'on éprouve une sorte de jalousie, finalement – vis-à-vis des personnes dont on aimerait partager un peu le statut et les standards de vie… les standards de vie !… Être envieux de personnes qui touchent 450 euros par mois (et dont je suis), qui sont de surcroît mal vus de la société, et qui, si souvent, s'ennuient fermement et parfois désespèrent d'un avenir véritablement meilleur pour elles-mêmes ainsi que pour leurs familles ?

Hé bien oui, à force d'entendre et d'entendre toujours et encore (et ce, de plus en plus d'ailleurs) qu'il faudrait « mettre tous les chômeurs au travail » (presque) en guise de punition et de redressement de tors… pour leur apprendre à vivre, qui sait, et réparer leurs fautes. À force d'entendre ce genre de propos, ô combien réducteur et finalement passablement stupide et limité, j'en suis venu à me poser de sérieuses questions au sujet du travail proprement dit, de son contenu, de sa qualité première, de sa propension à épanouir l'homme en lui-même, et l'homme avec les autres, avec la société… et pour la société – ainsi que pour le bien commun, naturellement.

Le travail, tel que nous le vivons au jour d'aujourd'hui en France (et peut-être encore dans le reste du monde) est-il donc foncièrement et en tout premier lieu constructif, éminemment positif – et pour tout un chacun ?

Je ne suis pas le seul à me poser cette question fondamentale – et nous nous la posons depuis un certain temps déjà.

 

Que faire ?

Il m'est arrivé parfois, de temps en temps, de succomber à cette tentation de vouloir clouer le bec de ces personnes au verbe haut, et en leur suggérant – puisque le statut de demandeur d'emploi semble être à leurs yeux si enviable et profitable - de démissionner aussi rapidement qu'il est possible de le faire, et libre alors à eux de « profiter » d'un véritable paradis sur terre, ou presque, dans une quasi et parfaite liberté. Ma candide proposition n'avait finalement pour conséquence que d’aggraver le mal, la maladie, à savoir leurs courroux – et d'ajouter de la haine à la haine, ce qui est bien la dernière des solutions à rechercher et à envisager en la matière.

Finalement, et pour faire court : n'aurions-nous pas fortement intérêt à revoir – totalement – les notions, les modalités et le fondement du travail… ce que nous considérons comme travail, et les manières de l'exercer dignement, librement, avec passion, responsabilité, entrain, et pour le bien de toutes et tous ?…

Il en va à présent d'une urgence.

 

Jean-Marie Delthil. Bonny-sur-Loire, le 28 juin 2018

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article