Le film Hiroshima mon amour m'a énormément plu. J'ai aimé la poésie des images, du dialogue et de la musique. L'analyse de l'amour me paru véritable
21 novembre 1959
La responsabilité
À la JEC, comme ailleurs, je suis responsable et je prends de plus en plus conscience de ma responsabilité. Elle me constitue un lourd fardeau et je peine à le porter, car je fais très souvent des fautes envers elle.
À cause de cette responsabilité, il faut faire attention à nos paroles, nos attitudes. Ne pas montrer ainsi sa tristesse qui pourrait attrister le camarade, ne pas critiquer tel ou tel, car le camarade le critiquerait par la suite. Ne pas rendre les autres mélancoliques ou blasés, en l’étant soi-même, etc. .
À la JEC quand officiellement on est responsable, la charge augmente encore. On a une doctrine à enseigner, celle de la JEC dans l'école. Et nous ne sommes pas savants sur ce point. Aussi cette question : « ce que je dis, est-ce pour eux un bien ou un mal ? » revient souvent.
Le 7 décembre 1959
Le film Hiroshima mon amour m'a énormément plu. J'ai aimé la poésie des images, du dialogue et de la musique. L'analyse de l'amour me paru véritable et je pris en pitié la pauvre fille de Nevers tout en maudissant l'architecte sans toutefois le haïr.
Ce film éleva mon être au-dessus de l'ordinaire, toutes les cordes de mon cœur vibraient et j'étais littéralement emporté. Aucun mot -j’y ai essayé très souvent en conversation- ne peut traduire ce qui me porta dans cet état. Toute action était si forte, si réelle, si passionnée que je partageais les expressions du scénario. Il ne va pas sans dire que ce film exerça sur moi une grande influence. Ainsi, les camarades trouvèrent ce film ridicule ; je sentis plus fortement encore le délire de mon être. Je me crus, de nouveau, possédant une âme d'artiste. Mais, ce qui est plus amer, un artiste sans talent, incapable de s'exprimer correctement, soit en peinture, soit en français. Monsieur Vidal écrivit un jour sur une dissertation : « le style n'est pas à la hauteur des idées ».
11 décembre 1959
Je me promenais dans la rue étant habillé de la sorte : pantalon de velours vert assez étroit, pull-over à col roulé. Mes cheveux étaient tellement longs que mon chapeau de feutre vert faisait faire à ceux-ci une sorte de rebondissement. Je rencontre, ainsi constitué, un responsable fédéral de JEC qui causait avec Devaux, le major JEC de Godefroy. Ce fédéral ne me connaissant pas ; Devaux me présente, comme responsable des Cadets, avant que je sois arrivé près d’eux. La réaction du fédéral me souleva le chœur. D'abord j'ai entendu un « Lui ! » bien caractéristique et je vis par la suite une déformation du visage marquant la surprise, l'étonnement de voir, je pense, qu'en type de mon allure s'occupe de JEC. Encore un, qui s'occupe de l’extérieur.
15 décembre 1959
Pourquoi je travaille tant ? Pirondini et bien d'autres camarades m'ont posé cette question.
Réponse.
a) Je veux avoir le bac et n'étant pas d'une intelligence remarquable ou ne sachant pas organiser mon travail, il me faut travailler plus.
b) Le travail est pour moi quelque chose de facile, il ne me demande guère de volonté. Je n'ai donc pas beaucoup de mérites .
c) Le travail constitue, pour moi, une drogue. Il m'évite de penser, car penser me rend nostalgique. Ensuite, il me fait oublier les plaisirs de vivre, et me détourne de la pensée que je serais mieux ailleurs, toujours ailleurs.
Cependant cette méthode est dangereuse, car elle peut m'abrutir. Surtout, et c'est ce qui arrive quand le travail n'amène aucun résultat satisfaisant. Mais j'ai l'espoir de voir venir le résultat et je travaillerai toujours beaucoup, même pendant les temps libres, sans considérer mon abrutissement.
Vendredi 1er janvier 1960
Les parents. Il est difficile de comprendre nos parents - ce qui a toujours eu lieu dans le temps. Bien que l'on sache que les générations sont différentes et que l'incompréhension est de coutume, on se fait mal à cette idée.
J'avoue avoir des parents que beaucoup de camarades envient. Ils sont modernes, sortent assez souvent et me laissent relativement libre. Du point de vue humain il montre une grande valeur morale. Ils travaillent honnêtement et si maman est plus âpre au gain, papa est plus désintéressé. J’admire chez eux leur joie, leur bonheur communicatif. Bref, je trouve qu'il témoigne d'une puissance réelle. Mais cette puissance est purement humaine : papa dit qu'il est honnête et que cela lui suffit ; je pense que cela est incomplet. Pour maman la chose est un peu différente : depuis peu de temps, elle se dévoile sous un jour plus favorable du point de vue religieux. Jeûne le vendredi, assistance plus sérieuse à la messe (elle y dit son chapelet ce que j'ai en horreur, mais enfin !…). À quoi, d’apparence subite, ce retour à Dieu tient-il ? À mon idée de faire curé ? En réfléchissant par la suite, j'ai remarqué que leur christianisme, quoiqu'il semble d'un très bon sens chez papa, est un christianisme de 1925 très commode pour la bourgeoisie.
Toutes ces considérations ne m'ont pas aidé pour comprendre mes parents et mon désir de les comprendre s’augmente encore. Avec tante Simone, je fais une véritable ouverture sur le monde adulte. Elle me parle de sa sœur Henriette qui a des déboires avec Jean son mari. Les réactions d’Henriette, femme romantique et romanesque sont très semblables à ce que nous, adolescents, pouvons avoir. Par exemple elle demande, en insistant, de déchirer cette lettre qu'elle vient d'adresser à sa sœur et qui raconte sa vie déprimante d’Orléans. Comme une adolescente en quête d'équilibre, elle condamne la solitude dans laquelle elle se trouve et qui l’étouffe. Après cette conversation, Simone me parle de sa vie et de son divorce qui est, je pense, une suite de son enfance mal dirigée. C'est ainsi que j'ai pu avoir une lumière sur le monde des parents. De telles têtes-à-êtes pourront, je pense, se renouveler.
Lundi 4 janvier 1960
Marie-France tient une place assez importante dans ma vie et je trouve cette place trop importante. Ses mœurs, ses manières de penser et de faire sont, sinon très, assez libertines. En un mot, ma place, aux yeux de ceux qui connaissent mon intention, n'est pas d'être près d’elle. Son visage maquillé, sa tenue condamne tout contact et mes parents aimeraient que je ne la voie plus. Je marche un peu dans cette voie de séparation en ne me rendant pas à une partie où elle s’y trouvait (je devais y être invité par elle). Ce refus, comme il se doit, ne lui a pas plu ; mais est-il possible de concilier ses désirs et mon devoir ? Je n'ai pas de regret d'abandonner les surprises-parties, mais puis-je couper tout contact avec elle ? En la voyant, je discute toujours de choses intéressantes dignes de nous aider à vivre. Je peux, puisqu'elle le permet, lui faire redécouvrir un Dieu compatible avec son caractère et, par la même occasion, la soustraire au flirt. Bref, je sens que je peux faire quelque chose pour elle bien que cette tâche soit grandement difficile. Cependant, à son contact et devant sa force, je risque d'échouer et de tomber dans ce qu'elle pratique, aussi je ne tiens guerre à la voir. Que faut-il faire ?
Mercredi 6 janvier 1960
Dans la boîte il se créer des mouvements jécistes de cadets. Plusieurs aînés en ont la responsabilité presque totale. Ainsi un « responsable », au cours d'une réunion, émet ses opinions, accepte ou rejette les idées de ses cadets. La tâche de responsable est donc importante ; aussi (question) sommes-nous capables de diriger sans faire d’erreurs graves ? En conséquence, de cette importance je trouve que P. Barthelmy met trop de confiance dans notre action. Il semble s'imaginer que l'on est capable de les diriger ; vraiment, son audace est un peu forte : les premiers pas dans l'action catholique sont peut-être les plus délicats.
Jeudi 7 janvier 1960
Je l'ai déjà dit, et dit plusieurs fois, que l'idée d'être artiste me court dans la tête. Voilà un des témoignages les plus convaincants qui n'est pas moins flatteur.
Durant les vacances de Noël, j'avais fait une gouache pour Roger Simondet en remerciement de je ne sais quel service rendu. Et aujourd'hui, pendant l'heure de sortie, je me rends, accompagné de Daniel Pirrondini, à la Galerie A afin de montrer ce tableau. Mon cœur battait fort et j'ai longtemps hésité, car, je le suppose, je craignais d'entendre la vérité qui risque d'être peu favorable. Enfin, je rentre, je m'approche du bureau tout en enlevant le papier qui cachait le cadre lequel m'était donné, ai-je dit, par un ami âgé qui peignait pour s’amuser. Le conservateur de la galerie qui s'était levé en me voyant entrée prit le cadre que je lui tendis et, sans attendre, donna son impression. C'est une œuvre d’amateur, dit-il, qui est jolie est plaisante. Mais elle n'aurait pas sa place dans une galerie à côté d’œuvres professionnelles ; il insista sur cette idée, car il croyait que j'étais venu pour la vendre. Il continua en disant que l'idée n'était pas foncièrement originale bien que le visage à deux profils le soit. Et surtout, me dit-il, la facture compte beaucoup ; elle fait très souvent la valeur première d'une toile. Il est certain que chez moi la facture fait défaut.
Comme j'ai feignais sur l'âge de l'auteur : j’ai commencé par 40 ans puis, voyant que cela ne passait pas, j'ai dans mon trouble rabattu à 25 ans. Ce qui permit au conservateur de conclure ainsi : « si le peintre n'a que 25, il peut continuer surtout si c'est pour lui une joie. Avant de partir - il était temps, car il commençait avoir en moi l’auteur, j'étais trop troublé est assez peu objectif - il souligna, sur ma demande, que l’œuvre était d’un genre expressionniste surréaliste.