13 Prier 15 jours avec Antoine Chevrier
Dans la compagnie des saints
« Les saints sont la gloire de Dieu sur la terre ! Ils sont l’expression vivante de la divinité ici-bas ! Ils sont la joie des anges et le bonheur des hommes ! Un saint, c’est un homme qui est uni à Dieu, qui ne fait qu’un avec lui ! Qui demande à Dieu ! Qui parle à Dieu ! Et à qui Dieu obéit ! C’est un homme qui a tous les pouvoirs de Dieu en sa main ! (...). Les saints sont les hommes les plus puissants de la terre ! Ils attirent tout à eux, parce qu’ils ont la charité et la lumière de Dieu, et la fécondité de l’Esprit-Saint. (...). Et il faut, mes chers enfants, que vous deveniez des saints!» (Lettre du 24 janvier 1872 à ses séminaristes).
Dans son existence, Antoine Chevrier a rencontré personnellement plusieurs saints témoins du Christ Ressuscité, connus et inconnus, parmi lesquels le Saint Curé d’Ars, son ami Saint Jean- Pierre Néel (mort martyre en Chine), ou encore Saint Pierre-Julien Eymard, grand « promoteur » du sacrement de l’Eucharistie. Il a, en outre, vécu dans une période de l’histoire où le monde et l’Église ont produit de nombreuses grandes figures chrétiennes, ne serait-ce qu’à Lyon avec, encore, Saint Marcellin Champagnat, créateur des Frères maristes, la Vénérable Pauline Jaricot, initiatrice du Rosaire vivant et grand soutien de l’œuvre de la Propagation de la Foi, ou le Bienheureux Frédéric Ozanam, fondateur de la Société Saint- Vincent de Paul. Au moment où vivait le Père Chevrier, tous ceux-là n’avaient pas encore été canonisés ou béatifiés, et le Père Chevrier n’imaginait sans doute pas que ceux qu’il connaissait seraient un jour portés sur les autels, sinon le Curé d’Ars qui avait été rapidement proclamé « saint » par les foules. Il ne pouvait pas se douter un instant, non plus, que lui- même pourrait être considéré comme « bienheureux » ou « saint » par la Sainte Église, lui qui était si convaincu de ses faiblesses et de ses limites ! Mais, quoi qu’il en soit, la sainteté était l’idéal que le Père Chevrier s’était choisi et qu’il voulait faire partager à ceux qui avaient accepté de prendre le chemin du « véritable disciple ». Pour lui, la sainteté – c’est-à-dire l’amitié avec Dieu et la vie conforme à l’Évangile et au Christ que celle-ci suppose – devait être, en fait, l’horizon de tout chrétien.
Le Père Yves Musset a étudié «la place des saints dans la vie et les écrits d’Antoine Chevrier » dans un article publié sous ce titre en janvier 2005 par la revue « Prêtres du Prado ». Il y évoque tous les saints vers lesquels Antoine aimait tourner son regard, et ceux-ci s’avèrent être nombreux. Dans des répertoires, le fondateur du Prado notait ce qui le frappait le plus dans la vie de tel ou tel saint personnage, voulant retenir, pour lui-même et pour ceux dont il avait la charge, des enseignements à mettre en application. Il était tout spécialement attentif aux saints qui, comme Saint Benoît-Joseph Labre ou son saint patron Saint Antoine l’Égyptien, père des moines, avaient choisi la pauvreté absolue. Mais deux hommes ont certainement tenu une place tout à fait à part dans la vie d’Antoine Chevrier : le Saint Curéd’Ars et Saint François d’Assise. Une des meilleures preuves est que, dans sa chambre de la Guillotière, sur son prie-Dieu, de chaque côté de la croix étaient disposées (on peut toujours les voir) deux petites statuettes de composition grossière : l’une à l’effigie de Jean-Marie Vianney, l’autre à celle du « Poverello ».
Au cours des années 1830, le Curé d’Ars avait acquis un renom considérable. A partir de 1845, ce sont trois cents pèlerins qui viennent chaque jour jusqu’à lui, parmi lesquels de nombreux prêtres. Jean-Marie Vianney avait été un temps élève au grand Séminaire de Lyon. Ars, par ailleurs, n’est qu’à quelque quarante kilomètres de l’ex-capitale des Gaules. Il n’est donc pas étonnant qu’Antoine Chevrier ait eu le désir d’aller rencontrer le Curé d’Ars quand, après l’illumination qu’il reçut lors de la nuit de Noël 1856, il eut besoin de conseils quant à l’orientation qu’il devait donner à sa vie.
Le Père Chevrier n’a rencontré qu’une fois le Curé d’Ars : en janvier 1857. Cela s’est passé dans le confessionnal, et on sait bien peu de choses de leur entrevue. Au Procès de canonisation du Curé d’Ars, un prêtre, l’abbé Claude-Joseph Rougemont, a rapporté ce que lui en avait dit Antoine Chevrier. Ce dernier avait exposé au Curé d’Ars son bouleversement devant le Christ pauvre de la Crèche, et il lui avait demandé s’il devait entreprendre l’œuvre (la formation de prêtres pauvres) à laquelle il se sentait appelé, n’ayant pas les ressources nécessaires. « Oui, mon ami, aurait alors répondu Jean-Marie Vianney, mais rappelez-vous que vous ne serez riche qu’autant que vous ne compterez que sur la Providence ». Le Père François Duret donnera, quant à lui, un témoignage assez proche : « J’ai entendu le Père Chevrier m’affirmer avoir reçu des encouragements particuliers du vénérable Curé d’Ars à entrer dans cette voie évangélique et à la suivre ».
A partir de cette entrevue, il apparaît que le Curé d’Ars va exprimer à plusieurs reprises sa sympathie pour le Père Chevrier. Des témoins raconteront plus tard que, étant partis de Lyon pour voir le Curé d’Ars, celui-ci leur aurait dit : « Vous irez maintenant trouver Monsieur Chevrier au lieu de venir me voir. C’est mon fils, Monsieur Chevrier. Je l’aime bien. Si vous lui obéissez, il vous conduira dans le bon chemin ».
Après la mort de Jean-Marie Vianney (le curé d’Ars est décédé le 4 août 1859), Antoine Chevrier se rendra plusieurs fois en pèlerinage sur la tombe de celui-ci. Un certain nombre de contemporains ont découvert des liens étroits entre l’existence des deux prêtres, et beaucoup ont même voulu voir dans le Père Chevrier « un autre Curé d’Ars ». Au Prado viendront ainsi se confesser auprès d’Antoine (celui-ci pouvait lui aussi passer des heures entières au confessionnal) des gens qui, auparavant, allaient jusqu’à Ars. Il semble certain que, de son côté, Antoine Chevrier a vu dans Jean-Marie Vianney un authentique modèle de sainteté et un frère aîné dans le sacerdoce et dans la recherche de l’imitation de Jésus-Christ. La petite statuette sur le prie-Dieu de la chambre du Prado, indique qu’Antoine Chevrier sollicitait probablement la prière du Curé d’Ars et que, entre les deux, s’était développée une certaine complicité. Mais, en même temps, les deux hommes étaient et resteront très différents, tant du fait de leurs origines, de leurs formations, qu’en raison de leurs expériences pastorales et de leurs sensibilités respectives.
Une parenté encore plus forte apparaît entre Antoine Chevrier et François d’Assise. Beaucoup, d’ailleurs, depuis un siècle et demi, ont estimé que le Père Chevrier était un « saint franciscain ». C’est manifestement au contact des capucins qu’Antoine a découvert François. Le Prado a conservé trois petits volumes, propriété d’Antoine Chevrier, parus à Lyon en 1850, d’une « Vie de Saint François d’Assise », du Père Candide Chalippe (un religieux récollet), éditée pour la première fois en 1728.
Lorsque, après son bouleversement de Noël 1856, Antoine Chevrier va mettre en œuvre la mission qui l’attend, il va régulièrement rencontrer et s’appuyer sur la famille franciscaine. Son « Règlement de Noël » rédigé en 1857 indique : « Suivre la règle du Tiers-Ordre de Saint-François d’Assise », avec cette résolution : « Se rapprocher le plus possible del’extérieur des pères capucins ». Antoine recevra l’habit du Tiers-Ordre de Saint François à Rome le 9 janvier 1859. Il y fera s’affilier ses futurs prêtres ainsi que les sœurs du Prado (ce qui avait l’avantage, aussi, de donner à tout ce monde un statut canonique).
Antoine Chevrier a regardé François d’Assise comme un maître en dépouillement. Il se remplira de l’esprit du Poverello comme en témoigne sa prière au Christ (« O Verbe ! O Christ ! ») et son hymne à la Pauvreté que nous avons déjà cités. Et nombreux sont les parallèles qui peuvent être faits entre la pensée et la spiritualité de François et cellesd’Antoine, particulièrement quand l’un et l’autre parlent du Christ, de la crèche, de la croix et de l’Eucharistie.
Texte à méditer : Apocalypse de Jean, 7, 9-17
Après cela, j’ai vu : et voici une foule immense, que nul ne pouvait dénombrer, une foule de toutes nations, tribus, peuples et langues.
Ils se tenaient debout devant le Trône et devant l’Agneau,
vêtus de robes blanches, avec des palmes à la main.
Et ils s’écriaient d’une voix forte :
« Le salut appartient à notre Dieu qui siège sur le Trône et à l’Agneau ! »
Tous les anges se tenaient debout autour du Trône,
autour des Anciens et des quatre Vivants ;
se jetant devant le Trône, face contre terre, ils se prosternèrent devant Dieu.
Et ils disaient : « Amen ! Louange, gloire, sagesse et action de grâce,
honneur, puissance et force à notre Dieu, pour les siècles des siècles ! Amen ! »
L’un des Anciens prit alors la parole et me dit :
« Ces gens vêtus de robes blanches, qui sont-ils, et d’où viennent-ils ? »
Je lui répondis : « Mon seigneur, toi, tu le sais. »
Il me dit : « Ceux-là viennent de la grande épreuve ;
ils ont lavé leurs robes, ils les ont blanchies par le sang de l’Agneau.
C’est pourquoi ils sont devant le trône de Dieu, et le servent, jour et nuit, dans son sanctuaire. Celui qui siège sur le Trône établira sa demeure chez eux.
Ils n’auront plus faim, ils n’auront plus soif, ni le soleil ni la chaleur ne les accablera, puisque l’Agneau qui se tient au milieu du Trône sera leur pasteur pour les conduire aux sources des eaux de la vie. Et Dieu essuiera toute larme de leurs yeux. »