C'est ensemble que le souvenir, le récit, la solidarité, peuvent être les catégories d'une théologie fondamentale pratique. Espérance !
Des amis m’ont donné à lire le dernier livre de Michel Castro, Croire au Dieu révélé en Jésus. Le sous titre de cet ouvrage est : Initiation à la théologie fondamentale. Parle et silence, 2022.
Cet historique des diverses théologies, paroles sur Dieu, est-il vraiment une initiation ? Personnellement, je vois en lui plutôt une conclusion dans la mesure où il résume admirablement les diverses recherchent théologique. J’admire la force synthétique de Michel Castro. Il montre une capacité à résumer les développements complexes des théologiens dont je serais sans aucun doute absolument incapable. En ce sens, son travail intellectuel est une authentique initiation dans la mesure où il indique minutieusement toutes références aux aux études sources. Se reporter à celles-ci demande plusieurs années d’étude.
Autrement dit, comme je l’ai signalé à propos de la lecture de son livre précédent : Initiation au mystère de Jésus, Salvator 2020, « j’aurais bien aimé avoir lu cet ouvrage au moment, juste avant, de passer mes examens où nous étions interrogés sur l’ensemble du programme théologique. »
Prouver devant des examinateurs que l’on a correctement assimilé quatre années d’étude théologique après deux années de philosophie, n’est pas une mince affaire ; j’en garde, je ne sais trop pourquoi, un souvenir traumatisant. Peut-être parce que je n’étais pas parmi les étudiants les plus brillants.
J’admire donc la facilité avec la quelle Michel Castro arrive à résumer la pensée des philosophes et théologiens. En quelques phrases il montre les chemins à suivre pour comprendre la pensée des auteurs. Pourtant j’aurai aimé qu’il soit parfois plus bavard, plus explicite, qu’il développe davantage. Mais, cela ne correspondait pas à son but lequel semble vouloir couvrir, en peu de pages, l’ensemble des réflexions sur la Révélation chrétienne « qui font l’objet de la théologie fondamentale ». C’est donc une invitation à démarrer l’étude théologique en traçant explicitement les Lieux de recherche de chaque théologiens au cours des siècles.
En ce qui me concerne, j’accomplis une démarche inverse. « Croire en Jésus révélé » me donne à comprendre, à cerner les choix théologiques que j’ai été amené à faire dans une démarche vocationnelle comme, me semble-t-il, je l’exprime avec la page de ce blogue en date du 31 janvier 2022.
Au chapitre 8, les grandes orientations des théologies contemporaines, Michel Castro écrit : « Dans les théologies contemporaines, celles qui fleurissent après la Seconde Guerre mondiale, nous pouvons identifier quatre grands courants : le premier consacre le tournant anthropologique en théologie et s'exprime notamment dans la théologie transcendantale de Rahner ; le deuxième s'affirme avec la théologie dialectique, se prolonge dans la théologie de la parole de Barth, pour aboutir à celle d’E. Jüngel ; le troisième approfondit le tournant anthropologique avec la théologie de l'espérance de J. Moltmann, la théologie politique de Metz et les théologies de la libération ; le dernier introduit les sciences humaines en théologie ».
Même si je fus sans cesse sensible aux démarches humaines (philosophiques), spirituelles qui prennent en compte la dimension transcendante de l’existence (premier courant), c’est la quête d’un monde meilleur, donc d’une action à mener, qui orienta mes choix d’études, (troisième courant). Pour en avoir la preuve, il suffit de regarder les livres que j’ai gardé dans ma bibliothèque. Moltmann, Metz y sont en bonne place et il m’arrive de les ressortir.
Je recopie cete page 132-134 :
<< La révélation, une pratique dans l'histoire et dans la société : La foi dans l'histoire et dans la société de Johann Baptist Metz.
À en croire Rosino Gibellini, dans son essai sur La foi dans l'histoire et dans la société, Metz estime que la mémoire de la passion, de la mort et de la résurrection du Christ a un pouvoir pratique et mobilisateur, elle appelle à le suivre ; les dogmes sont les articulations de cette mémoire ; et l’Église est le porteur public de la mémoire chrétienne. Il s'agit donc d'un souvenir dangereux qui met le présent en question, réveille les espérances assoupies, ouvre des horizons d'avenir et appelle à l'action : « On pense ici au souvenir dangereux qui presse le présent et le met en cause, parce qu'il fait souvenir vers un avenir non encore éprouvé. »* La foi chrétienne a pour objet des contenus qui ont un potentiel critique, libérateur et rédempteur, qui peuvent être désamorcés par une foi et une théologie privatisées, et que la théologie politique doit activer et remettre dans le débat culturel : « En ce sens, la foi dogmatique et la pratique du “suivre” restent indissolublement liées. Le dogme est souvenir pratique. »**
Par ailleurs, ce dont on fait mémoire doit être raconté. L'Église est une communauté qui fait mémoire, elle est aussi une communauté qui raconte. La théologie est largement argumentative et herméneutique, elle doit être aussi narrative. Nommer, et pas seulement argumenter et interpréter, est une fonction de la raison critique. Ce dont on fait mémoire doit être raconté, parce que le récit est performatif, qu'il communique l'expérience et initie des expériences nouvelles. La théologie politique, en introduisant la catégorie du récit, non seulement développe son propre projet, mais introduit en théologie un correctif par rapport à la prétention totalisante de la théologie argumentative.
Enfin le souvenir et le récit se font pratiques par la médiation de la solidarité : « C'est ensemble seulement que le souvenir, le récit, la solidarité, peuvent être les catégories d'une théologie fondamentale pratique.*** Cette solidarité est à la fois mystique, parce qu'elle procède de la foi comme souvenir et récit de l'histoire de Jésus, et politique, parce qu'elle est praxis dans l’histoire et dans la société, engagement pour que tous soient reconnus comme sujets devant Dieu : « Le souvenir et le récit acquièrent dans cette solidarité leur pratique spécifique, à la fois mystique et politique. »**** Cette solidarité s'oppose à l'utilitarisme de la société bourgeoise, elle se distingue des projets élitaires par rapport à une solidarité universelle puisant à la mémoire chrétienne, ainsi que de la solidarité internationale de la classe ouvrière qui implique haine et violence. Elle n'est pas seulement une solidarité en avant, mais en arrière avec les morts et les victimes, avec l'histoire de la souffrance humaine.
Dans cette troisième perspective, la révélation de Dieu au monde se manifeste d'abord par le souvenir dangereux du mystère pascal de Jésus, qui appelle à l’action. Elle s'exprime ensuite par le récit de ce mystère, dont le caractère performatif conduit à de nouvelles pratiques. Elle s'épanouit enfin en une solidarité à la fois mystique, s'enracinant dans le souvenir et le récit du mystère pascal, et politique, devenant engagement en vue de la reconnaissance de tous comme sujets devant Dieu. La signification libératrice du mystère pascal de Jésus s'en trouve valorisée et la pratique chrétienne éclairée, mais au risque d’être récupérées pour justifier des causes douteuses. >>
* Jean Baptiste METZ, La foi dans l'histoire et dans la société, op cit, p. 223.
** Ibid, p. 229.
*** Ibid. p. 257
**** Ibid.