J’eu l’occasion de rencontrer ce très cher frère évêque, qui me demanda de le tutoyer et de l’appeler Alfred, malgré notre différence d’âge

Publié le par Michel Durand

Gaston Dayanand - Alfred Ancel
Gaston Dayanand - Alfred Ancel

Gaston Dayanand - Alfred Ancel

Alfred Ancel, supérieur de l’institut séculier du Prado, évêque auxiliaire à Lyon est né en 1898. Il est mort le 11 septembre 1984. À l’approche de l’anniversaire de sa mort, les 40 années, nous souhaitons raviver son souvenir. Un rencontre est prévu le 24 janvier à ce propos.

J’ai évoqué Alfred Ancel plusieurs fois en ce lieu. Il suffit d’écrire Alfred Ancel dans la case « recherche » et vous trouverez les articles et les vidéos.

Aujourd’hui, j e souhaite donner à lire la page rédigée par Gaston Dayanand qui évoque ses rencontres avec le supérieur du Prado dans les années 1960. Gaston a écrit Les Racines des palétuviers. L'épopée des héros de La Cité de la joie, Coll. La vie au cœur, éditions de l’Atelier, 2003. Et aussi Dans les courées de Calcutta, un développement à l’indienne, éditions Charles Léopold Mayer, 2003.

 

 

En suivant ce récit, ce témoignage de la rencontre d’un jeune avec un supérieur, un évêque, il me semble que nous voyons l’Évangile plongée dans le monde tel qu’il est. LA Bonne Nouvelle s’annonce aux petits. Gaston s’interroge :

COMMENT ALFRED ANCEL A CHANGÉ MA VIE ?

Lorsqu’on m’a demandé un témoignage, ma réponse fut rapide : « J’arrive ! » Et maintenant, presque six mois plus tard, je n’ai toujours rien fait ! Je n’avais prévu ni les quatre vagues de chaleur des 10 mois de 2022, ni la vague de froid de décembre-janvier 2023, ni la cascade d’événements qui nous sont tombés dessus depuis août par un gouvernement pour lequel les plus déshérités n’ont aucun droit, sinon de se mettre à la place qu’il leur donne. Et, perdu dans une brousse rurale, nos 90 pensionnaires sans familles ne m’ont plus permis de prendre le temps de fouiller dans des papiers cinquantenaires déclassés, humides et grignotés, pour retrouver les lettres de mon frère aîné Alfred. Et je ne les retrouve toujours pas.

Je n’attends donc pas plus, et délivre ce court témoignage sur cet humble homme de Dieu qui a su entrainer tant d’autres personnes non seulement à suivre Jésus-Christ, mais encore à retrouver un Dieu Père, même parmi les hindous et musulmans dont je partage la vie depuis 50 ans.

  • Première rencontre en 1959 : « La pauvreté du prêtre »

J’avais alors 22 ans, au noviciat des Pères Blancs missionnaires d’Afrique à Gap, me préparant pour partir au scolasticat de Carthage, en Tunisie. On nous lisait au réfectoire ce livre du Père Ancel, écrit juste à la fin de la guerre (1946). Voir ici.

 

Et cela m’a beaucoup frappé, et j’ai demandé à le lire, car jamais au Petit Séminaire en Suisse (St Maurice d’Agaune) on nous avait parlé de la nécessité pour le prêtre d’être un saint. Il devait être juste et bon, aimant les autres, les noirs d’Afrique et suivre Jésus dans son Unique Église… Certaines des paroles du Père Chevrier qu’il citait ne m’avaient alors plus jamais quitté.

  • Rencontre au Grand Séminaire de Friboug (Suisse) en 1961 (?)

Mgr Ancel, alors Supérieur général du Prado, y est venu faire une conférence appréciée de tous. Je n’ai échangé que quelques mots avec lui, mais cela m’a suffi pour me le rendre encore plus présent que mon propre évêque, ce qui évidemment n’était pas très catholique à l’époque ! Et on me le fit remarquer.

  • Première rencontre à Lyon peu après :

À cause de ma santé délabrée qui m’avait déjà forcé à quitter les Pères Blancs et qui m’obligeait une énième fois de suspendre pour un an les cours, je me suis adressé à lui pour me conseiller. Il n’a pas hésité : le mieux pour toi est de vivre ce temps dans une paroisse du Prado en France. Et, de concert avec le Père Homery, il m’envoya dans son ancienne paroisse de Calonne, au milieu des mineurs du Pas-de-Calais. J’y restais 18 mois. Et ma connaissance de Jésus-Christ en fut transformée, ainsi que la notion même de pastorale missionnaire en milieu pauvre et souffrant. Si bien que je demandais d’entrer à Limonest. Ce qui me fut refusé par le P. Berthelon à cause de ma nationalité. De retour à Fribourg, et sur le conseil du Père Ancel, je devins « séminariste du Prado » de Suisse, accueilli avec un rare enthousiasme par le Père Joy, responsable de ce petit Prado. C’est alors que commença ma correspondance avec mon cher frère évêque.

  • Entrée chez les « Frères du Prado », à l’initiative du P. Ancel, en juillet–août 1964.

En quittant définitivement le Séminaire après ma troisième rechute, bien que j’aie en vain cherché à rentrer chez les Petits Frères de Foucauld, j’allais consulter une fois de plus ce bon père. Il m’écouta longuement avec une compassion qui me poussait presque à pleurer, car de quoi pouvais-je être encore capable après tant de zigzags de mauvaise santé. Il me posa alors tout doucement, presque intimement, une double question : « Est-ce que tu aimes Jésus-Christ et est-ce que tu veux toujours servir les pauvres ?» - Depuis l’âge de six ans, j’ai voulu partir comme missionnaire pour aimer les africains à la suite du Père de Foucauld, et j’ai toujours comme lui voulut suivre Jésus, et je le veux toujours, mais sans savoir où aller ! » -« Écoute, si tu es d’accord, je te propose de rejoindre les « Frères du Prado » et, ensuite, on verra bien ce que Jésus te demande. » Mais je n’avais aucune envie d’être « Frère » et le lui dis. Il me proposa simplement de passer la nuit avec un petit groupe de Frères réunis dans une rue adjacente du Prado, et de revenir le voir le lendemain. Ce que je fis. Après des échanges et un repas d’une simplicité toute gauloise (en comparaison avec nos habitudes helvétiques guindées !) deux frangins m’invitèrent sur le trottoir, à discuter avec quelques maghrébins qui baragouinaient le français. Ces deux heures me parurent une éternité de délectation. Et le lendemain matin, au cher évêque, quand-même plutôt interloqué, je déclarai : « Il n’est plus question pour moi d’être prêtre, je veux devenir « Frère » et vivre avec les plus pauvres de la même vie qu’eux, comme ceux qui m’ont accueillis hier. Après un long échange avec Jacques Paquereau qui lui dit son opinion sur notre soirée, il me dirigea immédiatement sur la communauté de St Denis de Paris, sous l’égide du saint Père Georges Arnold. Et je rentrai à l’usine, comme si cela allait de soi de passer de Genève où je suis né, à manœuvre avec une communauté de maghrébins et d’africains travaillant dans les laminoirs ! Ma vie avait changée, et je rencontrai enfin – enfin !-, grâce à Ancel, Jésus de Nazareth au travail par amour pour les plus démunis.

  • Durant le Noviciat à Clos-Suiphon (Lyon) en 1966, j’eu à plusieurs reprises l’occasion de rencontrer ce très cher frère évêque, qui me demanda alors de le tutoyer et de l’appeler Alfred, malgré notre évidente différence d’âge. Lorsque des prêtres Fidei Donum passaient par Lyon, à une exception près (pour le Brésil, car j’avais un peu appris le portugais), le Père Joaton (futur évêque de St Etienne) me rappela qu’au noviciat il ne pouvait être question de rencontrer d’autres prêtres, surtout quand j’entendu dire que le P. Laborde de Calcutta était de passage. Il me rappela qu’il était en rapport avec Mgr Ancel à mon sujet, et qu’ils s’occupaient eux-mêmes de réfléchir sur mon avenir !
  • « Profession à la Fraternité du Prado » en septembre 1968.

À la chapelle du Prado, Mgr Ancel officiait et le Père Arnold prêchait. Avec le Père Joatton, tous trois m’informèrent alors que je pouvais contacter le Père Laborde de Calcutta, et qu’ils favoriseraient ma décision d’aller en Inde, mais sans s’engager pour autant. On me nomma à la Communauté de Gerland, cette écurie où avait vécu « l’évêque des ouvriers » de 1954 à 59, selon les Frères qui étaient avec lui. Cela me rapprocha encore d’Alfred, qui suivit ensuite volontiers ma formation d’infirmier pour m’aider à mieux servir l’Inde.

Engagement perpétuel au Prado en 1972. Ce fut l’occasion d’un épisode tragi-comique avec lui. Têtu de naissance, je refusai fermement de faire cet engagement perpétuel, arguant que je m’étais déjà consacré à Jésus-Christ lors de ma prise d’habit chez les Pères Blancs en 1959, et que je m’étais formellement engagé en 1968 au Prado. D’autres supérieurs intervinrent, mais je tins ferme mon refus. « Je suis engagé à vie avec Jésus-Christ, et le droit Canon et l’administration ne signifie rien de plus pour moi ! » De guerre lasse, ils firent appel au Père Ancel, qui essaya avec conviction et douceur de me convaincre de me montrer plus raisonnable ! Finalement, il convînt qu’une cérémonie officielle n’était pas nécessaire, et que je pourrais simplement réciter le formule d’engagement devant le Saint Tabernacle de la mini-communauté des Frères dans la rue même où les files indiennes de pauvres et maghrébins occupaient les trottoirs, juste à côté du Prado. Et finalement, il me présenta avec une patience angélique le document officiel du Prado qui réclamait la signature de chacun au moment de son engagement perpétuel… que je fis entre ses mains. Et papier que je finis par signer sans conviction… « Les laïcs ne se marient qu’une fois et je ne vois pas la nécessité d’un deuxième engagement avec Jésus-Christ qui est déjà mon tout ! » Je me demande encore aujourd’hui si un autre prêtre aurait pu m’imposer cette démarche à mes yeux inutilement administrative ! Et je pense qu’après cet épisode mal vu par certains, il y eut soulagement réel de me voir partir pour l’Inde… même avec un simple visa de touriste puisque je ne pus en obtenir un autre durant trois ans… Et probablement un soupir de satisfaction encore plus profond… de n’en plus revenir ! Quand Jésus a Son idée, les obstacles civils, religieux, ecclésiastiques, administratifs ou médicaux (ablation de l’estomac en 1971) ne sont que des facéties du Malin pour nous tenter et nous décourager ! Mais les épreuves de mon jeune âge m’avaient accoutumés aux « Tentations du désert de Jésus », et il m’en fallait plus pour me laisser piéger par celui qui toute ma vie ne me laissera jamais tranquille !

  • Relations épistolaires avec le Père Ancel après mon arrivéé en Inde en 1972.

Je pense avoir reçu au moins quatre lettres relativement longues de mon frère Alfred, répondant à certaines de mes questions. Il eut aussi pendant deux ans l’habitude de rajouter un billet à ses lettres plus courantes au Père Laborde. Je peux dire que toutes sans exception, étaient non pas pour me retenir, comme tant d’autres correspondants, mais pour m’encourager à aller de l’avant sans crainte, à maintenir à tout prix ma présence au milieu des plus paumés, en vivant tout comme eux, en ne me préoccupant pas de ma santé, des conséquences du climat, de la nourriture musulmane si épicée, de mes vêtements identiques aux pauvres. Jamais il ne m’a écrit de ralentir, et c’est sur la confiance totale en Jésus qu’il me poussait à aller de l’avant ! Sa dernière lettre, probablement autour de 1977, fut un coup de clairon pour moi : « N’oublie jamais les lépreux ! » Comme peu après l’État les regroupa de force autour d’un centre des Frères de Mère Teresa, à quelques 90 km du slum, les quelques 500 qui m’entouraient ont dû partir, et pendant longtemps, je me suis reproché de ne pas les avoir suivis. Mais les Frères étaient si nombreux que ma présence devenait inutile. A .Ancel a pour moi joué le même rôle stimulateur, que plus de 35 ans plus tard le pape François joua pour moi dans le milieu si conservateur de l’Église indienne. Et je pu grâce à Alfred réaliser à fond ma vocation de laïc consacré, si novatrice pour le Bengale, sans autre état d’âme, me sentant « en mission de Sequella Christi » même si parfois cela a été contesté même en haut lieu. Grâce à son sourire, son humour, et sa « Vérité » de Véritable Disciple, il m’a confirmé le chemin, et grâce à la Grâce, j’ai pu le maintenir : Son « Avanti-vas-y » est devenu ma devise que j’ai pu l’accoler à l’appel de Jésus à Pierre : « que t’importe les autres, Toi, suis-moi ! » Et la confiance totale en Abba par Jésus-Christ est devenue mon bâton de vieillesse !

  • Ma dernière rencontre avec lui.

En 1977, lors de mon premier retour en Suisse, mes frangins du Prado m’ont conduit en voiture à Limonest pour une réunion. Ouvrant la portière et mettant  pieds à terre je vois le Père Ancel debout devant moi criant à haute voix : « Eh voilà l’indien ! » Cela m’a fait grand plaisir, car je n’étais pas sûr de l’accueil que je puisse recevoir, certains amis ayant souhaité que je ne porte pas mes habits bengalis qui font un peu trop « m’as-tu-vu ! » L’entretien que j’eu ensuite avec lui me prouva que j’avais eu raison ! Et m’accompagnera, toujours et en tous lieux, le sourire qui soulignait immanquablement son exclamation préférée : « Que c’est beau Jésus-Christ ! »

Gaston Dayanand, laïc consacré du Prado, citoyen indien,

ICOD (centre interreligieux pour gens en détresse),

en ma 51è année au Bengale, janvier 2023

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