Le danger avec toute institution organisée par le bas est qu'elle peut facilement dégénérer en une structure par le haut très coercitive

Publié le par Michel Durand

Le danger avec toute institution organisée par le bas est qu'elle peut facilement dégénérer en une structure par le haut très coercitive

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Dans les années 1988-1992, le 8 décembre dans Le Vieux-Lyon, n’était que bagarre de farine, jets d’œufs, bombes à eaux lancées des étages. La rue Saint-Jean principalement, pleine de monde, était un Champ de bataille. Une catastrophe engendrée par les lycéens, écoles privées contre publiques qui s’affrontaient. Des centaines de CRS, forces de l’ordre, observaient passivement les évènements.

Les commerçants étaient en colère parce que, surtout quand il gelait, les façades, les vitrines étaient maculées de farine, de jaune d’œufs difficiles à nettoyer.

Travaillant pour la Pastorale du Tourisme et des loisirs de l’Eglise catholique dans l’Espace d’Exposition au n° 1 de la rue Saint Jean, Espace Confluences, j’étais invité par le comité des commerçants et la mairie du 5è arrondissement, aux réunions qui cherchaient une solution pour que les 8 décembres, à défaut d’être religieux, soient au moins humainement digne. Le gaspillage d’aliments scandalisait autant que les tâches de nettoyage à accomplir devant chaque établissement. À plusieurs reprises, à plusieurs réunions, je m’exprimais en disant qu’il fallait se rendre dans les lycées, rencontrer les jeunes, au moins ceux des établissements catholiques de la colline de Fourvière, parler avec les responsables des lycéens pour que cessent ces affrontements. On me répondait : « vous voulez modifier les mentalités ! Cela va prendre des années. Il nous faut des résultats immédiats. Les forces de l’ordre et ne font rien. Les bagarres d’œufs et de farine se passent devant leurs yeux. Si la mairie doit donner l’ordre d’intervenir pour que les CRS agissent, que le maire intervienne ! »

Je pense que le maire n’est jamais intervenu. Après plusieurs années, les bagarres se sont arrêtées. La Fête mariale du 8 décembre est devenue (1999) fête des Lumières. Des installations techniques et lumineuses invitent les foules à se détourner du Vieux-Lyon et de Fourvière.

Je ne trouve pas sur internet d’historique vraiment exact de ces évènements.

C’est en lisant et terminant la lecture de l’ouvrage d’Alexandre Christoyannopoulos que ce souvenir m’est revenu.

 

L’anarchiste chrétien n’a qu’un Maître : Dieu. Il le connait bien car il est le disciple du Christ, le Verbe, la Parole de Dieu devenue chair de notre chair. Une seule vocation importe : suivre le Christ. « Connaître Jésus Christ, c’est tout !... Le reste n’est rien ! »

Voir ici.

 

Et ici. Etc…

 

 

L’unique Maître ! Jésus. Je donne à lire ces pages d’Alexandre Christoyannopoulos, p.370-375

 

Un des débats les plus clairs sur le rejet chrétien de cette tentation de « gérer l'histoire » peut être trouvé dans l'ouvrage de Yoder, The Politics of Jésus (La Politique de Jésus). Yoder observe que la plupart des chrétiens sont obsédés par « la volonté d'orienter d'histoire » et « un profond désir d'influer positivement sur les événements ». Cependant, tout comme les anarchistes chrétiens, Yoder suggère que « l'enseignement de Jésus sur l'humilité » et le « rôle de serviteur » pose la question de savoir « si c'est vraiment la mission des croyants de modeler leur action à la lumière du cours qu'ils veulent faire prendre à l'histoire ». Au lieu de mener leur action de cette façon, Yoder observe (sur la base de l'Apocalypse) que les chrétiens devraient davantage compter sur Jésus, tant pour comprendre le mouvement de l'histoire, que pour chercher des conseils sur la façon d'agir dans l'histoire : Jésus, dit-il « doit être compris comme moteur de l'histoire et comme modèle duquel les chrétiens ont à apprendre comment saisir la marche de l'histoire ». Cette norme, pour Yoder, est la souffrance de la croix.

Yoder expose que Jésus a été confronté à un choix clair entre l'« efficacité » de la « couronne » et l'« obéissance » par la « croix ». En choisissant d'accepter la croix, pour Yoder, « il s'est montré fidèle à l'amour de Dieu, au point de sacrifier délibérément toute "efficacité" ». Choisir la croix plutôt que la couronne est une preuve de foi en Dieu et en la nature de l'amour.

En outre, Yoder soutient qu'il « n'est pas vraiment possible de comprendre » la croix si elle « est considérée comme une technique particulière plus ou moins efficace [...] pour arriver à ses fins ».

D'après Yoder, « l'important n'est pas d'arriver à ses fins sans recourir à la violence, mais d'être prêt à renoncer à nos objectifs les plus légitimes chaque fois que nous ne pouvons pas les atteindre par des moyens légitimes. Cette attitude constitue la participation des chrétiens à la souffrance triomphante de l'Agneau ». Suivre Jésus et prendre sa croix n'est pas une question de « résultats », mais une question « d'obéissance » et de « fidélité ». Il ne faut pas y voir une méthode utile pour produire un certain effet sur quelque chose d'autre, mais un signe de confiance en Dieu. Aussi, comme le note Myers, Yoder souligne-t-il le fait que « l'enseignement de Jésus a peu de choses à dire concernant les fins ou le critère d'efficacité3 ». Il se concentre « sur les moyens historiques », et remet « les "fruits" historiques [...] dans les mains de Dieu ».

Par ailleurs, de nouveau comme les anarchistes chrétiens, Yoder reconnaît qu'on ne peut pas comprendre complètement « comment Dieu agit ». Cependant, il ajoute aussi que « le Jésus crucifié » fournit une « clef pour comprendre quelque chose à Dieu », parce qu'en Jésus nous avons un indice sur les types de causalités, les sortes de communautés à bâtir, les manières de gérer les conflits, qui correspondent à la fibre même du cosmos. En Jésus, Dieu fournit un indice sur sa façon de conduire le cours de l'histoire. D'où, pour Yoder, c'est seulement en suivant Jésus sur la croix, et donc en renonçant à toute tentative de gérer l'histoire, que les chrétiens (paradoxalement) s'approchent de la possibilité de participer à la conduite de l'histoire par Dieu.

Chelcicky est conscient que cet abandon de l'efficacité politique sera critiqué par ceux qui cherchent à hâter l'avènement du Royaume du Dieu par des moyens politiques. Il est « certain que tous ceux qui voudront être de vrais chrétiens seront toujours ridiculisés, écartés, et méprisés par ceux qui cherchent un royaume terrestre ». Malgré cela, toutefois, ils « doivent se distancier eux-mêmes d'un espoir de rédemption physique ». Ils ne doivent pas rechercher une réforme par le haut, mais travailler à la « régénération de [leur] propre vie » par la foi. En outre, même si le monde autour d'eux n'est pas touché par leur témoignage, ces chrétiens véritables doivent être « une colonie du ciel », un flambeau de la foi s'efforçant de présenter « une image du Royaume de Dieu » au monde sombre qui les entoure et souvent les ignore.

La différence essentielle est entre anticiper et précipiter le Royaume : les chrétiens doivent l'anticiper dans leurs propres vies et communautés, mais ne pas chercher à le précipiter — de peur de devenir impatients et de se risquer sur la pente glissante d'un activisme conflictuel de plus en plus marqué. Ce qui est important n'est pas le futur, mais le présent, non pas la croissance éventuelle de l'utopie anarchiste chrétienne, mais le témoignage de son potentiel aujourd'hui. Par conséquent, même si leur témoignage ne semble pas efficace pour hâter l'avènement du Royaume de Dieu, les chrétiens doivent continuer à s'efforcer de suivre Jésus dans leurs propres vies et communautés, et ne pas être tentés de forcer les autres à faire de même. Il se peut que leur témoignage amène d'autres à se convertir au chemin de Jésus - mais il se peut également qu'il n'y parvienne pas. Il se peut qu'il précipite le Royaume - mais il se peut également qu'il ne le fasse pas. Ils doivent évaluer leurs propres actions non pas au regard de la mesure dans laquelle ils ont réussi à hâter l'avènement du Royaume, mais uniquement au regard de la mesure dans laquelle ils se sont efforcés d'anticiper et de représenter le Royaume en suivant l'enseignement et l'exemple de Jésus dans leurs propres vies.

C'est peut-être aussi ici qu'une autre explication de la corruption de l'Église au temps de Constantin, et de nombres d'autres sectes et mouvements chrétiens radicaux du Moyen Âge, peut être trouvée. C'est-à-dire que ces exemples prémodernes (au moins partiels ou embryonnaires) d'anarchisme chrétien ont succombé à la tentation de précipiter l'avènement du Royaume de Dieu par l'action politique. Ils ont apparemment vu le pouvoir politique ou l'adoption de moyens violents comme une possibilité de hâter l'avènement du Royaume de Dieu sur la terre. Il semble qu'ils pensaient qu'en s'éloignant de la frange persécutée et apparemment politiquement inefficace de la société, ils auraient eu plus de chance de faire le travail de Dieu. Ce faisant, toutefois, ils ont démontré une perte de foi en Dieu et une désobéissance aux conseils de patience, d'amour et de pardon de Jésus. Même s'ils étaient motivés par un désir compréhensible de changer la société pour l'améliorer, ils ont succombé à la tentation que Jésus avait repoussée. Là où ils avaient naguère adoré Dieu, gardant foi en sa conduite de l'histoire, ils adoraient maintenant l'entremise humaine (human agency), espérant qu'elle transmette ce que Dieu seul peut transmettre.

Eller discute en long et en large de cette tentation de « vénérer » (worship en anglais) l'État et les formes similaires d'entremise humaine. Il insiste sur le fait que

la menace des arkys* n'est pas tant leur existence que le fait que nous conférions à cette existence de la réalité et du poids - le fait que nous nous donnions à elles, que nous leur accordions de l'importance, que nous ayons foi en elles, que nous en fassions des idoles.

Il explique qu'en réponse à la question de l'impôt, Jésus « fait la distinction entre le seul choix, ultime, absolu, et tous les choix moindres, relatifs », que la leçon à tirer de cet épisode est « qu'il ne faut considérer comme absolu que Dieu seul, et laisser l'État et toutes les autres arkys être les relativités humaines qu'elles sont ». Comparé à Dieu, l'État ne mérite pas qu'on lui donne la moindre valeur. Pour Eller, la voie de Jésus « prive les arkys de leur pathos » et ce faisant elle « les affame ». En d'autres termes, Jésus refuse de se passionner pour l'État, et il enseigne un rejet indifférent de celui-ci, parce que ce qui est important - vraiment absolument important - c'est l'obéissance à Dieu, non la grandeur illusoire des prétentions humaines idolâtres. Ainsi les chrétiens ne doivent pas succomber à la tentation de prendre l'entremise humaine au sérieux, par exemple en attribuant de la valeur à l'État.

C'est dans ce sens, et dans ce sens seulement, que le christianisme est en effet « apolitique » : il est indifférent aux politiques mesquines de la gestion humaine. Toutefois, précisément parce que les êtres humains vénèrent tellement l'État, les implications du christianisme sont très politiques et subversives. En appelant à adorer Dieu comme le maître seul et unique, Jésus vide l'État de tout pouvoir et de toute légitimité. En ce sens, l'indifférence du véritable christianisme à l'égard de l'État le détruit. Cela peut aussi être une des raisons pour lesquelles la crucifixion de Jésus non seulement démasque la nature violente de l'État et ses prétentions idolâtres, mais aussi le vainc - elle le vide de sa légitimité, le défaisant de l'intérieur. Là où le christianisme est adopté, il rend l'État obsolète. L'État continue d'exister, mais il est déjà vaincu par la crucifixion de Jésus. Pour les disciples de Jésus, l'État perd sa raison d'être. C'est pourquoi toute obéissance ou désobéissance à celui-ci est accidentelle et secondaire au regard de la seule priorité d'obéir à Dieu. Encore une fois : les disciples de Jésus sont appelés à anticiper et à représenter le Itoyaume de Dieu, mais ils doivent se garder de la tentation d'adorer l'action politique dans le but de précipiter son avènement.

Ainsi, le péril majeur de la politique est cette tentation de diriger le cours de l'histoire. Mais il en existe aussi un autre - dont tous les anarchistes sont conscients. À savoir, le danger avec toute institution organisée par le bas est qu'elle peut facilement dégénérer en une structure par le haut beaucoup plus coercitive du type que les anarchistes ont en horreur. De nombreuses communautés ont dégénéré de cette façon, par exemple suite à une crise, ou sous l'influence de quelque leader charismatique tendant à prendre le contrôle. Il y a une tendance dans les communautés organiques à essayer de définir et établir l'organisation de la communauté de façon plus rigide, habituellement pour répondre à un désir de sauvegarder leur essence. Souvent, cependant, cela finit par conduire à l'exercice d'une coercition sur ceux dont la conduite s'écarte des règles adoptées. Cette tendance est examinée dans la section suivante, où il est également suggéré que l'enseignement de Jésus agit comme un rappel permanent de ce risque. S'il en est ainsi, alors, la seule façon de sauvegarder l'essence d'une communauté anarchiste chrétienne est de nouveau de toujours revenir à l'enseignement de Jésus, non aux règles humaines, quand elle aborde toute nouvelle situation à laquelle elle peut être confrontée.

 

  • Arché = origine -) ἀρχή / arkhḗ ; l’origine, le premier, le pouvoir Voir ici

 

 

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