La richesse de Dieu, la grandeur de Dieu est dans la sainteté du Prêtre et non dans les ornements ou richesses extérieures de nos temples

Suite aux réflexions que nous avons au Prado à propos de la demande de canonisation du fondateur, le père Antoine Chevrier (voir également les vidéos avec Christian Delorme), j'ai repensé à l'étude que j'ai rédigée en 1986. Je la donne à lire ici. Elle est également publiée en fichier PDF où les notes de fin de pages sont accessibles. Voir ci-dessous le fichier joint (télécharger).

 

Le beau et la beauté chez Antoine Chevrier

 

Avant d'aborder la réalité de ce qui est beau dans les écrits est la vie d'Antoine Chevrier, je pense nécessaire de dire quelques généralité afin de nous entendre sur l'idée de Beau dans un contexte théologique.

 

La beauté, comme le rite, est peut-être, aujourd'hui quelque chose de trop oubliée dirait le Renard au Petit Prince. En effet, elle ne peut être que désintéressé ; aussi, a-t-elle pris congés de notre monde productiviste où l'occupation de l'espace se détermine quasi exclusivement en fonction de la rentabilité, de l'intérêt. À cause de la cupidité de ses habitants n'a-t-on pas accepter que nos villes soient laides ? Et nos liturgies, quand elles ne peuvent s'étendre dans le temps ou s'éclater en intensité, que sont elles ? Tristes comme les villes toutes pareilles du Sud au Nord et de l'Ouest à l'est.

 

Le Beau donne du ressort, de l'enthousiasme. Il invite à vivre pleinement. Devant le choix -mal, bien- il pousse au Bien. C'est spontanée, naturelle, car, avec le Beau, le Bien a une forte force d'attraction. Il manifeste l'évidence qu'il doit être accompli. De même pour ce qui est vrai. Le Beau invite à dire ce qui est vrai. Vrai, Beau, Bien, sans oublier le Bon, vont ensemble. Ils coexistent dans et par une attirance réciproque qui ne s'accomplit que dans une suprême liberté.

 

Telle est l'attirance de l'Être qui se montre dans sa plénitude, sa cohérence, sa perfection. Il est lumineux. Un éclat jaillit de l'intérieur. Cette communication rend l'Être précieux et aimable. Il reçoit, avec tout ce qui lui ressemble, le qualificatif de beau.

 

Autrement dit, le personnage qui veut être beau, doit, en toute liberté et clarté, se conformer à ce qui en est la source ; c'est-à-dire correspondre à sa nature fondamentale. C'est ce que dit un poète, chanteur de rues, Jean-Marc Le Bihan, quand il veut s'expliquer sur le sens de ses chansons qui sont toutes des combats pour la dignité des hommes, notamment des laissés pour compte. Le combat pour la justice ne peut s'expliquer que par la réponse qu'on essaye de donner à l'appel intérieur découvert en soi-même et qu'il ressent d'une façon permanente. "La Loi du cœur",  cette "espèce de loi naturelle", dit-il, "est irrépressible". Elle jaillit de tout être humain avec grande abondance. Il suffit de ne pas se laisser étouffer par le productivisme ambiant et de s'ouvrir à la Révélation de l'homme par son Créateur.

 

Je reprends les expressions de Hans Urs Von Balthasar pour résumer les éléments constitutifs de la beauté de la révélation. Quelque réalité est belle quand la puissance d'expression de Dieu se manifeste comme une surabondance de vie jaillissante. Il y a un rayonnement de lumière issu des profondeurs qui invite à s'engager dans le même sens. Il y a la perception d'une plénitude d'ordre et de mesure qui montre qu'il convient d'être et d'agir ainsi.

 

Par exemple, il est convenable que Jésus laisse s'accomplir ce qui convient. "Ce n'est pas ma volonté que je veux, mais celle du Père". Et, c'est Dieu, l'Auteur de Tout, qui a décidé de ce qui convient, non par une manipulation venant de l'extérieur, mais par logique interne. Ainsi, quand, à travers la souffrance, Dieu voulut mener Jésus, auteur du Salut de Tous, à sa Perfection, il est concevable que "ce grand prêtre ne fut pas issu des rangs des pécheurs, mais fût saint, innocent, immaculé (He 7, 26)". De même pour les chrétiens. Dans la logique de leur attachement à Jésus-Christ, il est "concevable que des choses comme la fornication, l'impureté ou la cupidité ne soient pas même nommées entre eux (Ep 5,3). " On pourrait ajouter, l'injustice, le vol économique structurel, l'aliénation des droits de l'homme.

Chez eux, au contraire, tout doit manifester qu'ils adhèrent librement à la suprême intention de Dieu sur le monde : leur Perfection, sans se laisser entraîner par les prétendues forces immanentes. Il n'y a ni déterminisme historique, ni déterminisme économique. Il n'y a aucune loi qui contraindrait l'homme à suivre un destin non souhaité. Car Dieu dirige l'histoire vers sa fin. C'est de Lui, et de lui seul, que dépend le bonheur et la beauté de tout l'univers. Et si le Fils, comme les hommes, doit souffrir, mourir, ce n'est pas par une volonté méchante et vengeresse. Ce n'est que par la logique d'une nécessité pour rejoindre l'Être qui nous a fait. L'Événement de Pâques est la Révélation de Dieu par Dieu lui-même. Se soumettre à sa volonté et l'accomplir ouvre la porte de la Résurrection. La mort à soi-même, la souffrance, la mort tout court sont inévitables. Personne ne peut se dérober à l'Heure qui vient. Alors, pourquoi attendre ? Pourquoi ne pas adhérer à la propre source de son humanité ? C'est de cette adhésion que dépend la beauté.

 

Le Beau habite l'homme parce que Dieu a mis sa Loi au fond de son être. Il l'a gravée sur son cœur. La perfection de l'homme consiste donc à correspondre à Celui qui lui donne d'être lui-même : homme parfait. Une invitation à vivre l'abandon total à Dieu qui est plus intérieur à nous-mêmes que nous-mêmes. Dieu, présent en nous, nous communique la vie éternelle. De mortel que nous sommes, il nous transforme par la résurrection. Par son acte salvifique, il s'accorde le monde, l'élève, se l'harmonise, le perfectionne pour nous conduire dans sa beauté, la gloire eschatologique. Tout, parmi nous les hommes, sera beau de sa profonde Beauté.

 

Dans les pages suivantes je me propose de lire la prière d'Antoine Chevrier, Ô Verbe, Ô Christ, en soulignant, à l'aide d'écrits et de témoignages concernant le fondateur du Prado, tout ce qui se rapporte au beau théologal.

 

Je sais, que parlant du beau, je m'avance sur un terrain difficile. Qu'est-ce que le beau ? Qu'est-ce qui fait qu'un objet est beau alors qu'un autre ne l'est pas ? Les goûts dépendent de l'éducation, de l'influence du milieu social d'origine. Certains font de l'art et du beau une question de classe. Il y a un beau populaire et un autre, comme on dit dans certains milieux, qui "fait classe". Sans avoir la prétention de disserter longuement et philosophiquement, il importe de donner quelques éléments susceptibles d'orienter vers une définition du beau.

 

Pour qu'un objet soit considéré comme beau il faut, dit-on depuis les Grecs, qu'il soit clair, compréhensible, bien articulé dans sa forme géométrique ou anatomique. Il faut qu'il invite à la contemplation et non à la consommation immédiate. Une distance doit s'établir entre ce qui est vu et celui qui regarde pour que ces deux harmonies considérées, celle du sujet regardant et celle de l'objet vu, puissent s'harmoniser et éveiller au sentiment du plaisir. Certaines personnes expérimentent aisément l'appréhension du beau avec les œuvres artistiques du XIV - XVIII^e siècle occidental : objets ordonnés, composés, parlant à la fois au sens et à l'esprit. Selon eux, une production humaine est dite esthétique, belle, quand elle correspond à l'idéal où « perception compréhensive, art, beau, goût, plaisir désintéressé sont à traiter d'une seule haleine ».

 

Tout en ayant fait de cette dernière phrase une définition du beau, je ne peux oublier qu'existent d'autres critères. Pour beaucoup de contemporains, le déséquilibre est plus facteur de beau que l'équilibre. L'inachevé, le déstructuré, correspondant éventuellement à une dysharmonie humaine interne, apporte plus de plaisir que l'achevé, le parfaitement structuré. Il m'arrive de dire, à la vue de certaines œuvres : "c'est trop beau pour que cela me plaise". Aujourd'hui, plus que jamais, il n'est pas évident que le beau soit une expérience universelle de l'être humain. C'est pourquoi nous ne pouvons pas dire sans nuances que la beauté artistique d'une époque déterminée corresponde à elle seule, par exemple, à la Vérité de la Révélation. Hans Urs Von Balthasar, sur ce sujet c'est ainsi exprimé : "Il est possible qu'il y ait eu, comme Gerhard Nebel croyait pouvoir l'admettre, un moment historique de rencontre entre l'art humain et la révélation chrétienne, dans lequel les  icônes, les basiliques et les cathédrales romanes, les sculptures et les peintures ont pu naître : il y a eu depuis trop de malentendus et trop redoutables, pour que nous ayons encore le droit d'insister plus sur la ressemblance que sur la dissemblance, bien plus grande, des deux sphères. L'habitude qu'à l'homme de réserver le terme de beau exclusivement à ce qui parait tel à ses yeux est, au moins sur terre, insurmontable". Il est donc difficile, sinon impossible, de définir universellement le beau. Pourtant celui-ci existe. Personne ne le nie. Alors, parlons-en ! La beauté, avec toutes ses perceptions subjectives, est le véhicule d'une Vérité. Si l'homme veut rejoindre cette dernière, il ne peut se fermer les yeux lorsqu'il se trouve en sa présence. Chemin de son salut, la Beauté est, devrait être, l'unique objet de son désir. Elle est aimée dans son rapport avec l'Infini qui transparait en elle comme exemplaire et comme promesse.

Comment, ayant compris toute la puissance éternelle du beau, être indifférent à son charme ? Quel principe d'efficacité peut s'imposer pour rendre aveugle ? Aucun. Alors, il est facile de comprendre pourquoi nous avons tout intérêt à soulever le voile qui recouvre les splendeurs humaines. La Gloire de Dieu va jaillir.

 

Il n'est pas usuel, me direz-vous, de regarder Antoine Chevrier sous l'aspect de la beauté. J'avoue avoir beaucoup de plaisir à le faire. Dans la pauvreté pradosienne, pauvreté incontestable, le beau n'était pas absent. C'est parce que, en tout domaine, à juste titre, il n'était pas recherché pour lui-même qu'il a put être oublié. L'essentiel de la vie du Père Chevrier étant l'annonce de Jésus-Christ aux pauvres, il est tout à fait normal qu'une discussion sur le beau à son propos apparaisse comme superficielle. Il ne faut pas non plus oublier que, en Occident, l'opinion théologique actuelle, contrairement à la tradition issue de Plotin, Augustin, Pseudo-Denys, Bonaventure..., n'est pas vraiment portée à nourrir ce genre de réflexion. Pourtant, même si ce n'était qu’avec la liturgie, dans la vie apostolique d'Antoine Chevrier le beau exista. Je me propose, dans les pages qui vont suivre, de rappeler que le "pauvre prêtre de la guillotière" n'était pas insensible à l'émotion que pouvait susciter en lui et chez les gens, une chose belle. Le "gris pradosien", terne, triste a, inconsciemment ou non, recouvert, pour plusieurs décades de ce milieu de siècle, l'attrait de diverses initiatives apostoliques belles.

 

O Verbe !  O Christ ! (cf 5ème partie)

 

Que vous êtes beau !

que vous êtes grand ! (cf 4ème partie)

 

Qui saura vous connaître ?

Qui pourra vous comprendre ?

Faites , O Christ, que je vous connaisse

et que je vous aime.

Puisque vous êtes la lumière,

laissez venir un rayon de cette divine lumière sur ma pauvre âme,

afin que je puisse vous voir et vous comprendre. (cf 3ème partie)

 

Mettez en moi une grande foi en vous,

afin que toutes vos paroles soient pour moi

autant de lumière qui m'éclairent

et me fassent aller à vous,

et vous suivre,

dans toutes les voies de la justice

et de la vérité. (cf 2ème partie)

 

O Christ !  O Verbe !

 

Vous êtes mon Seigneur

et mon seul et unique Maître.

 

Parler, je veux vous écouter

et mettre votre parole en pratique.

Je veux écouter votre divine parole,

parce que je sais qu'elle vient du ciel.

Je veux l'écouter, la méditer,

la mettre en pratique,

parce que dans votre parole

il y a la vie, la joie, la paix et le bonheur. (cf 1ère partie)

 

Parlez, Seigneur,

Vous êtes mon Seigneur et mon Maître

et je ne veux écouter que vous.

 

Antoine Chevrier, rédigeant cette prière, prouve qu'il a expérimenté à fond la beauté. Il a contemplé l'Unique Beau. Tout en lui montre qu'il savait discerner entre ce qui est laid et ce qui est beau. Nous le verrons dans les pages suivantes. Disons déjà que, lorsqu'il emploi le mot beau, c'est dans un sens très précis, exclusif même. De beau, il n'y a que Dieu.

 

La façon dont il s'exprime dans sa correspondance, dans le Véritable Disciple, m'incite à donner ce critère du beau selon Antoine Chevrier : tout ce qui se rapporte à Dieu, à Jésus-Christ est beau. Le divinisé est beau. Les objets qui arrivent à parler de la grandeur de Dieu sont beaux. L'homme, la femme, l'apôtre, le prêtre, marqués par Jésus-Christ sont beaux. Toute créature dite belle doit conduire à la Beauté Infinie.

 

En lisant les lettres d'Antoine Chevrier, Le Véritable Disciple, les actes du procès de béatification du fondateur du Prado, j'ai relevé toutes les expressions, toutes les exclamations qui montrent ce qui était considéré comme beau dans le monde pradosien originaire. Nous pouvons faire des ces citations un commentaire de la prière 0 Verbe ! O Christ ! Le plus beau de tous et de tout étant Jésus-Christ afin de terminer par lui j'inverse l'ordre des paragraphes.

 

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Parlez, Seigneur, je veux vous écouter et mettre votre parole en pratique… en elle, il y a la vie, la joie, la paix et le bonheur

 

 

Vie, joie, paix, bonheur, le Véritable Disciple ne peut garder pour lui tout seul le merveilleux don de Dieu. Mettre la parole du Seigneur en pratique, c'est nécessairement la répandre autour de soi pour, à son tour donner la vie. Je donne ce que je reçois de Dieu. Des moyens existent pour faciliter cette communications. Ils répondent aux critères de beauté et de simplicité. L'un ne va pas sans l'autre.

 

En fait, Antoine Chevrier ne prête attention à ces deux critères que dans le cas de la chapelle ou du catéchisme. Pour ce qui concerne l'habitation, il n'aimait pas que l'on passe du temps à discuter, ou à se disputer sur le meilleur emplacement des meubles, des affaires. Selon Jean-Claude Jaricot, il disait : "À quoi sert de se disputer pour un clou ? Qu'un clou soit un centimètre à droite ou à gauche, que ceci soit blanc ou bleu, une affaire de plus ou moins de goût, qu'est-ce que cela ? Cherchons premièrement le royaume de Dieu. Faisons bien notre catéchisme. Faisons aimer le bon Dieu ; voilà le principal, le reste n'est rien ". Pour le lieu de vie, donc, la seule règle est bien celle de la pauvreté. Monsieur Chevrier pratiquait la pauvreté d'une manière héroïque témoigne Mademoiselle de Marguerie. Il disait que c'était une nuit, alors qu'il faisait l'heure sainte, qu'il eut de telles lumières sur la pauvreté que sa vie fut désormais fixée."Il ne voulait pas même un meuble qui sentit le soin de préserver des valeurs. Un jour il m'envoya un petit coffre-fort : Fort étonnée, je lui demandait, ce que cela signifiait. “On nous l'avait donné, dit-il, ce n'est pas au Prado que ces objets doivent se trouver et je voulais m'en débarrasser". Dans la maison du Prado, rien ne doit flatter l'œil ni faire que l'on cache des choses de grand prix. Ce serait un obstacle à la rencontre de Dieu, à l'imitation de Jésus-Christ, et au témoignage que le disciple doit donner sur la place prioritaire de Dieu dans la vie. "Pour entrer dans cet esprit de pauvreté de Notre Seigneur, nous retrancherons de notre logement tout ce qui sent le luxe, la vanité, le superflu, l'inutile. Nous n'admettrons dans nos chambres ni tapisserie, ni boiserie, ni glace, ni fauteuil, ni marbre, ni dorure, ni peinture, ni aucun ornement qui puisse plaire à l'oeil ou au gout ou contenter la vanité, l'amour-propre ou le bien-être. Tout doit respirer la simplicité, la pauvreté et la souffrance de l'étable de Bethléem... Aujourd'hui où le luxe est à son comble, que tout le monde recherche le bien-être, la commodité, le confortable, il faut que le prêtre, au contraire, recherche la pauvreté et la souffrance, afin qu'il puisse être un exemple au milieu du monde. Vous êtes la lumière du monde. Que votre lumière brille aux yeux des hommes afin qu'ils voient vos oeuvres et glorifient le Père (Mt., 5,14.). Il faut bien se garder de se faire pauvre pour être vu des hommes et attirer leur compassion et paraître sage ; malheur à celui qui aurait de telles intentions ! Mais il faut faire cela par amour pour  Notre Seigneur, pour imiter sa sainte pauvreté et aller à l'opposition du monde, puisque nous sommes pour éclairer le monde et nous opposer à ses maximes, et à ses usages”.

 

L'attitude du Père Chevrier est tout autre quand il s'agit de la chapelle. Dans ce lieu, on parle toujours de pauvreté, de simplicité ; mais il semble que l'on fasse bien attention à ce qui s'y réalise. Si la demeure personnelle n'avait pas besoin d'ornementation, celle de Dieu et des chrétiens doit être ornée. C'est surtout le lieu eucharistique qui est entouré d'un grand soin. Pour le Saint Sacrement, Antoine Chevrier ne tolère pas ce qui s'éloigne de la simplicité. Il veut que cela soit beau. D'après lui, les éléments naturels sont plus capables d'honorer Dieu que ce qui se paye à grand prix. Mademoiselle de Marguerie témoigne :"Je lui avais donné pour la chapelle une garniture d'épis dorés d'une assez grande valeur. Peu de temps après, je vis ces épis dispersés au milieu d'autres épis naturels et desséchés dont on avait fait une décoration pour le jeudi-saint. Et le Père me dit avoir détruit volontairement ces beaux bouquets qui ne devaient pas figurer au Prado". Une autre fois à Madame Franchet, il écrit :"Quant à la couronne de lumières, notre chapelle, je crois, ne peut comporter des objets qui ressentent le luxe et la grandeur".

 

Le Jeudi-Saint, on était particulièrement attentif à faire de la chapelle du Prado un lieu plein de charme. Il fallait qu'elle invite les gens à oser profiter de l'immense don que Jésus fait de lui-même dans l'Eucharistie. "Je ne vous laisserai pas orphelin, je suis avec vous. Prenez et mangez"... Que fait Notre Seigneur au milieu de nous ? Il continue sa mission qu'il a commencé sur la terre. Il prie pour nous, il s'offre pour nous. Il nous appelle à lui : "Voilà que je suis avec vous ... Mes délices sont d'être avec les enfants des hommes. Venez à moi et je vous soulagerai". Et Antoine Chevrier explique que pour recevoir Jésus dans l'Eucharistie il faut que nos églises soient ornées comme nos coeurs. Sœur Gabriel rappelle que pour l'Institution de l'Eucharistie, le Père expliquait que Notre Seigneur se choisit un cénacle orné pour nous faire connaître qu'il faut que nos temples soient ornés pour l'Eucharistie. Et il doit en être de même pour nos coeurs. Lorsque nous devons communier qu'ils soient ornés de vertus.

 

C'est surtout Le Père Jaricot qui nous renseigne avec précisions sur le comportement d'Antoine Chevrier vis à vis de la Chapelle. Le témoignage que je retiens parle encore du Jeudi-Saint. Comme dans d'autres occasions, Antoine Chevrier évite les controverses. Il donne son avis sans chercher à imposer sa façon de voir sur des points de détails. Dans le domaine du goût et des couleurs, de la beauté, de l'art, il y a plusieurs façons d'atteindre le but recherché : la Gloire de Dieu et la Charité. Voici le témoignage de Jean-Claude Jaricot : "Il ne faut pas croire que le bon Père était sans goût et sans délicatesse, ne sachant pas discerner ni bien juger de la beauté ou du mauvais goût des choses extérieures ; c'est tout le contraire. Il avait un jugement et un goût très justes et très délicats. Me parlant du reposoir du Jeudi-Saint et de celui du Vendredi-Saint, il me dit : 'hier, c'était joli, aujourd'hui, c'est beau'. Il faisait un véritable sacrifice chaque fois qu'il renonçait à sa manière de voir et de juger ; mais pour lui, le principal, c'était la gloire de Dieu et la charité".

 

Il me semble qu'il existe un point sur lequel Antoine Chevrier devait être intransigeant ; c'est celui de la propreté. Il recommandait de s'occuper avec beaucoup de soin du linge qui devait servir au culte. Il disait :"Tout dans la chapelle doit resplendir la propreté".

 

Antoine Chevrier a eu avec Madame Franchet une correspondance abondante. Il semble qu'il ait eu avec cette personne, peut-être une dame de la bourgeoisie lyonnaise, en plus de ce qui relevait de l'accompagnement spirituel, des échanges qu'il ne pouvait avoir avec personne d'autre sinon avec Madame de Marguerie. Ensemble, ils parlent de ce qui est beau, joli. Je ne pense pas que ces mots ne soient employés que par pure convention. L'ensemble des lettres de direction qu'Antoine Chevrier écrit à Madame Franchet montre qu'il ne dit que ce qu'il pense même si parfois cela est difficile : "Merci de votre joli ciboire, lui écrit-il du Moulin à Vent en 1868, il est très convenable et très joli, (j'allais dire que ce que vous donnez a toujours un cachet de bon goût, de grâce particulière, mais je ne dois pas le dire, vous le savez)". Si je retrouvais ce ciboire, je pourrais voir qu'est-ce qui, pour Antoine Chevrier, correspond aux termes de convenable et de joli ; son calice nous en donne une idée : ligne sobre,  assez peu décorée, ce qui est exeptionnel pour la fin du XIXème siècle.

 

C'est également dans une correspondance avec Madame Franchet qu' Antoine Chevrier trouva l'occasion de préciser qu'il ne condamnait pas ce qui est beau. On devait lui en faire le reproche. Ce qu'il condamne, c'est le temps employé à embellir les choses de la terre alors que tout instant devrait être occupé à s'embellir soi-même, pour Dieu :"je ne condamne pas les belles églises, non, une belle église porte à Dieu ; mais je n'aime pas ce temps perdu pour les âmes et, généralement, quand on s'occupe tant des pierres on oublie l'édifice spirituel qui est bien plus agréable à Dieu.

 

Je vois des saints qui ont bâti des églises ; mais, dans leurs travaux, ils travaillaient aussi pour Dieu et comme il faudrait devenir des Saints ! Comme ils savaient bien faire les, Saints, comme ils savaient tout faire tourner à la gloire de Dieu, les choses les plus terrestres. Je demande à Dieu que vous deveniez des saints, vous, votre fils et votre mari". Je reprendrai ultérieurement cette idée afin de la développer en parlant de la beauté de la pauvreté. Il suffisait de citer ici qu'Antoine Chevrier avait eu l'occasion de préciser qu'il ne refusait pas le beau tout en recommandant la pauvreté et en soulignant qu'une décoration voulue pour elle même, un objet qui ne serait que joli, ne porte pas à Dieu. C'est ce qu'il écrivit à Mademoiselle Grivet, une personne qui s'intéressait à l'art et qui demandait si elle pouvait faire des dessins, de la peinture: " Il n'y a que les riches qui achètent la porcelaine, et l'action des sujets de porcelaine qui est sur une cheminée ne peut pas porter grand fruit ; ce qui entre dans la coquetterie ne porte guère au bon Dieu. De grands tableaux pour nos petits enfants, (voilà ce qu'il faut) ". Autrement dit, une fois de plus, selon cette lettre d'Antoine Chevrier, il ne convient pas de faire de l'œuvre artistique un absolu. Encore à Mademoiselle Grivet :" Agissez avec simplicité dans tout, même avec votre nouveau confesseur. Ne passez pas trop de temps à votre peinture le dimanche".

 

La preuve la plus explicite que Le Père Chevrier ne négligeait pas les arts humains nous vient du Père Jariocot. Voilà ce qu'il dit : " Le Père chevrier honorait la science, les arts, etc... Il voulait avoir dans son œuvre des hommes de talent, de science, de bons théologiens capables de rendre de grands services à son œuvre, aux âmes pour la gloire de Dieu. M. Sublet, M. Poncet, artistes-peintres, M. Dufraine, sculpteur et autres étaient dans son estime à cause de leur talent religieux. Vers 1873, si je ne me trompe, il acheta le grand Christ qui se trouve derrière le maître-autel du Prado et qui avait été exposé comme œuvre d'art à l'exposition universelle de Lyon ".

 

Voici quelques indications sur les artistes cités.

 

Antoine Sublet, né à Lyon, appartient à l'École Française. Il débuta au salon en 1864 et se range parmi les peintres historiques. Sociétaire des artistes français, il mourut en 1897.

 

Parmi les deux peintres lyonnais qui portent le nom de Poncet, Gaspard et Jean-Baptiste, le deuxième est le plus connu. " Né à Oullins, le 24 novembre 1820, écrit Auguste Bleton, dans la revue du siècle, Gaspard Poncet, fils d'un modeste artisan, avait traversé sans bruit la vie, à peine remarqué de quelques uns ; il s'en allait de même". Il réalisa de nombreuses œuvres anonymes. À Lyon , signé de lui, on peut voir à la chapelle Saint loup, à l'île Barbe, "une décoration murale, se développant en frise au dessus de l'autel et comprenant la figure du Christ enseignant, avec une suite de saints personnages dont la vie ou le nom se rattachent à l'histoire de l'ancienne abbaye"

 

Jean-Baptiste Poncet est né à Saint Laurent de Mur le 3 février 1827. Il morut à Lyon le 6 janvier 1901. Peintre, graveur et lithographe, il fut élèves des Beaux Arts de Lyon. Il travailla sous les ordres de Hippolyte Flandrin aux fresques de l'Abbaye Ainay. À Lyon depuis 1853, puis à Paris à partir de 1857, il exposa, entre autres, des sujets religieux, par exemple : apparition de Jésus à Madeleine, Jésus descendu de la croix, baptême de Jésus, passage de la mer Rouge, Entrée du Christ à Jérusalem etc...

 

Le sculpteur Charles Dufraine est né à Saint Germain du Plain, en Saône et Loire, le 25 octobre 1827. Il est mort à Lyon le 2 février 1900. Il fut élève de l'école des Beaux Arts de Lyon. Après avoir été professeur de sculpture à Valence, il se fixa définitivement à Lyon en 1867. Il sculpta presque exclusivement des sujets religieux. Ses œuvres sont visibles dans de nombreuses églises lyonnaises et de la région : Saint Vincent, Saint Georges, Saint Polycarpe, basilique de Fourvière, Chapelle Saint Thomas d'Aquin, église d'Ars , etc...

 

Jean-Claude Jaricot dit qu'Antoine Chevrier avait de l'estime pour ces artistes. Nous ne savons pas s'il leur a commandé quelques œuvres. Si tel était le cas, il devait commander, ou choisir parmi ce qu'on lui présentait, des œuvres dont le message exprimé était le plus clair, le plus évident, le plus simple. Il fallait que tout le monde puisse comprendre tout de suite. Les visages des statues ou des peintures ne pouvaient qu'être directement évocateurs de l'idée à faire passer. Par exemple, tristesse de Marie Madeleine au tombeau, unique souci de Dieu dans le regard de saint Jean qui ne peut qu'être tourné vers le ciel. Il n'est pas nécessaire pour cela que le sujet représenté soit trop bien travaillé, trop régulier, trop beau. Je termine ce paragraphe avec ce témoignage de Jean-Claude Jaricot : "Une sœur de Prado aimait beaucoup la régularité, appelée vulgairement le coup d'oeil ; étant avec le Père pour s'entendre sur une peinture à faire, elle se mit à lui dire : 'Mon Père, ce que vous voulez ne sera pas beau, ce sera trop régulier'. le Père lui répondit avec finesse : 'Ah ! je vous attendais, la régularité n'est donc pas toujours la beauté ". En effet, la beauté, ce n'est pas ce qui est le beau pour lui-même. Ce n'est pas ce qui est parfait, splendide, trop beau sur terre. La beauté, dans notre monde, n'est que le moyen vers une autre splendeur, le Beau Infini, Dieu. La beauté est là, dans notre vie humaine, pour nous introduire en Dieu.

 

En utilisant l'art pour instruire, Antoine Chevrier appartient à la façon occidentale de voir l'image. Sa théologie est celle du Concile de Trente qui "précise l'honneur, explique l'utilité et règle l'usage des images en des termes très modérés" si on les compare à la tradition iconographique orientale. Sa spiritualité est principalement celle de la croix, de la souffrance et de la mort du Christ. Il convient d'enseigner au sujet du mystère rédempteur du Christ et non de le rendre présent sous un mode épiphanique comme le fait l'icône de la gloire du Seigneur. Autrement dit, comme l'a déclaré Saint Bonaventure l'image a surtout le but d'instruire "la masse inculte". Sœur Véronique expliqua, au procès de béatification, "que le Père Chevrier disposa tout dans la chapelle du Prado pour impressionner et instruire les enfants et les fidèles. Les trois mystères qui faisaient le sujet principal des méditations du Père y sont très bien représentés, c'est-à-dire la Crèche, le Calvaire et le Tabernacle. Il y a aussi des tableaux le long des murs qui expliquent les principaux mystères de la religion. J'ai entendu le Père dire : "Je voudrais que tous les murs du Prado parlent et instruisent le monde ".

 

Citons, pour conclure cette partie, le témoignage de Marie Chaine : " Au prado, l'aspect de la chapelle, où l'on pouvait juger de la piété du Père Chevrier, me saisissait. Tout était simple, mais parlait au cœur, en rappelant les mystères de la vie de Notre Seigneur et les principales vérités de la religion, les commandements, etc... La crèche si naturellement représentée m'attirait beaucoup. L'autel avec le grand crucifix, vrai Calvaire, le Tabernacle orné... tout produisait la piété. Enfin, l'imitation du Saint Sépulcre à l'époque de Pâques recevait mes visites "

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Mettez en moi une grande foi en vous afin que je vous suive.

 

 

Dans sa prière Antoine Chevrier demande que toutes les paroles du Christ, son Évangile, soient autant de lumières qui éclairent et fassent aller à lui. Cette unique nourriture est, chez l'apôtre, source de beauté. Aider les gens à vivre,"panser les plaies des blessés, c'est déjà une œuvre bien belle”, mais rappelle Sœur Véronique, instruire les ignorants, faire connaître Jésus-Christ, c'est bien plus beau ! Aussi, disait Antoine Chevrier, c'est mon désir d'avoir des prêtres, des frères, des sœurs catéchistes". Quand l'Évangile est vue dans la profondeur de son Auteur, Dieu, il apparait avec une puissante beauté. C'est un livre vivant que le disciple n'a jamais fini de découvrir ni de contempler. “Le Père, témoigne Sœur Véronique, aimait beaucoup le Saint Évangile. Il le lisait, l'étudiait et recommandait aux personnes de la maison de le lire souvent. Il disait : “oh ! le beau livre, faisons-en notre étude. C'est là où l'on apprend à connaître Notre Seigneur et à devenir des saints”.

 

Mais, lorsque nous parlons de l'Évangile, il ne suffit pas de dire, "c'est beau". La contemplation, certes, est notre seule possibilité devant la splendeur du Christ ; à elle doit se joindre nos efforts pour que nous acceptions de nous élever jusqu'à lui. La sainteté est le but du baptisé. "Vous me demandez, écrit Antoine Chevrier à Mademoiselle de Marguerie, si je trouve la sagesse ? Quand on a Jésus-Christ, on a bien la sagesse, et celui qui connait Jésus-Christ, il connait la sagesse. Je l'ai trouvée un peu dans l'étude des paroles de Notre Seigneur ; mais elle est si belle, si haute, si sublime, qu'il faut se contenter de la regarder sans pouvoir la mettre entièrement en pratique. Mettre en pratique la sagesse comme Jésus-Christ nous la donne dans ses paroles divines qui sont tombées de sa bouche et que les apôtres ont recueillies pour nous les transmettre, ce serait vivre comme les anges, ce serait un royaume tout céleste sur la terre ; et penser cependant qu'il n'y a presque personne qui atteigne ce but si beau, si sublime ; que c'est dommage ! Je vois la sagesse, un peu, et je voudrais la posséder et la pratiquer, mais il faut du courage, de l'énergie et un grand amour ; il faudrait avoir des ailes bien fortes pour voler si haut et ne pas se lasser".

 

Dans le Véritable Disciple, Antoine Chevrier nous raconte la parabole de la belle maison qu'il est bon de visiter pièces par pièces pour en comprendre toute la splendeur. Grâce à l'Esprit Saint aucune merveille ne demeurera cachée à celui qui osera ouvrir toutes les portes et fenêtres, mêmes les plus petites.

"Pour bien connaître l'Évangile, il faut entrer dans les petits détails de chaque fait, de chaque action, c'est là que nous trouvons la sagesse. Quand on passe dans une rue et que l'on voit une belle maison, on la regarde en passant et l'on dit : voilà une belle maison ; on ne voit que de l'extérieur, on ne rend pas compte de tout ce qu'il y a dedans, de tout ce qu'il y a d'arrangement, de beauté, de commodité, etc... On passe, on regarde, on dit : c'est beau, voilà tout : on ne s'en sert pas… Mais si on entre dedans et que l'on visite chaque étage, chaque pièce on peut en admirer l'ordre, la beauté intérieure, l'ordonnance parfaite. Ainsi de l'Évangile ; beaucoup le regarde et disent : c'est beau et ne sont pas entrer dedans pour en examiner les beautés intérieurs et ne peuvent s'en servir, en jouir et mettre en leur usage les choses qui s'y trouvent… Pour connaître l'Évangile, il faut y entrer, voir les détails et mettre en pratique les choses que nous y trouvons ; et nous n'avons qu'à y entrer un peu, à étudier ses détails pour comprendre de suite combien cette maison est belle, grande parfaite. C'est véritablement la maison de la sagesse. Nous trouvons dans l'étude de Notre Seigneur la véritable lumière".

 

Antoine Chevrier parle de la beauté de l'Évangile vu comme livre renfermant les merveilleuses paroles du Sauveur. Je pense qu'il aurait eu des explications semblables s'il s'était trouvé en présence d'une culture religieuse signifiée par les icônes des Églises orientales. Le face à face priant avec une représentation iconographique du Christ donne la sagesse. Illuminé par la lecture, l'étude de l'Évangile, le disciple du Christ devient beau de la beauté du Christ. Ébloui par la gloire de Dieu transmis en Christ, vrai image visible de l'Invisible, l'apôtre dans sa marche vers la sainteté, grâce à une ascèse contemplative sera très ressemblant à Dieu. Lisons Saint Paul : " Nous tous qui, le visage dévoilé, reflétons la gloire du Seigneur, nous sommes transfigurés en cette même image, avec une gloire toujours plus grande, par le Seigneur , qui est Esprit"... Car le Dieu qui a dit : que le lumière brille au milieu des ténèbres, c'est lui-même qui a brillé dans nos cœurs pour faire resplendir la connaissance de sa gloire qui rayonne sur le visage du Christ" (2 Co 3,18;4,6). "L'homme confesse le salut par la parole, mais aussi rend témoignage par l'action en devenant lui-même “très ressemblant”. Et certes, l'icônes de Dieu la plus émouvante, c'est l'homme “transformé en cette même image” selon la parole citée de Saint Paul". "L'homme a reçu l'ordre de devenir Dieu selon la grâce", car, "s'étant approché de la lumière, l'âme se transforme en lumière".

 

Illuminés par la splendeur divine, comme ils sont beaux les apôtres qui font passer l'Évangile, la nourriture céleste, avant les repas humains !

 

Sur la beauté d'Antoine Chevrier - il s'agit de son engagement d'apôtre et non de sa personne - les témoignages sont nombreux . Je retrouve le Père Chevrier tout entier dans les lignes suivantes : "Qu'il est beau cet homme de Dieu qui ne tient plus à terre ! Quam pulchri pedes evangelizantium pacem evangelizantium bona. Ni ses mains, ni son coeur, ni sa tête ne touchent à la terre. Qui dit au monde : garde ton or et ton argent, mon trésor est dans le ciel, ma vie c'est Jésus-Christ... Qui ne travaille que pour Dieu seul... Qui laisse emporter son manteau à celui qui veut le prendre et ne redemande pas ce qu'on lui a pris, et qui s'abandonne entre les mains de sa divine providence". Ce récit relève bien évidemment d'un genre littéraire proche des "Fioreti" . N'empêche qu'il nous donne à penser sur ce que le face à face avec la Bonne Nouvelle peut produire chez celui qui s'y est engagé. Lisons encore ce témoignage du Père Jaricot : "Lorsque j'étais à Carcassonne chez les pères Capucins, le Père Chevrier me recommanda de noter les usages qui se pratiquent chez ces bons pères. A mon retour je lui fit connaître que les R.P. Capucins avaient la coutume de porter le Saint Enfant Jésus en procession la nuit de Noël, de suite il adopta cet usage. En 1869, ce fut le bon Père qui la première fois porta le Saint enfant Jésus en procession au Prado. Oh ! comme le Père Chevrier était beau en cette nuit de Noël ! Beauté de l'apôtre porteur de l'Évangile". Pour Sœur Marie Boisson, “le Père était admirable de beauté et de dignité quand il remplissait les fonctions du saint ministère. Tout en lui édifiait, surtout au saint sacrifice de la Messe : il avait je ne sais quoi de si surnaturel, de si saint, qu'on était saisi à sa vue et qu'on se sentait rempli de ferveur et de piété. Quand il prêchait ou faisait le catéchisme, on ne se lassait ni de l'entendre ni de le regarder".

 

"C'était en 1877, explique Sœur Gabriel, le Père expliquait la parole du vieillard Siméon : “Lumière pour éclairer les nations ”, puis les paroles que Notre Seigneur dit lui-même : “Je suis la lumière du monde ”... Je trouvais le Père si beau, si grand, si surnaturel, que jamais je ne pourrais oublier l'expression de son visage, ni la majesté répandue sur toute sa personne, ni les paroles qu'il a dites de Notre Seigneur, Lumière pour les âmes". Autrement dit, plus brièvement : " Que le Père était beau à l'autel ! On aurait dit qu'on voyait Notre Seigneur Lui-même".

 

Ici, le mot Beau se charge d'un sens qui n'a, directement, rien à voir avec le domaine de l' esthétique. À la place de beau, nous pourrions dire équivalemment : bon , vrai, parfait. Il ne s'agit pas de beauté plastique, mais du sentiment de plénitude, de profondeur, de perfection. La beauté, c'est la rencontre de la gloire de Dieu manifestée dans le Christ sauveur et dans ses disciples appelés à transmettre l'Évangile. Aux sœurs du Prado il a écrit :"Ayez bien une grande et juste idée de votre sublime vocation. Nous devons donner la foi aux autres et leur communiquer un peu l'amour du bon Dieu. C'est bien beau, et rien ne doit nous décourager dans cette voie". Et il demande que l'on prie bien pour lui afin qu'il puisse rejoindre la sainteté : "Que de qualités, que de vertus il faut pour établir quelque chose, pour faire bien comme il faut l'œuvre de Dieu. Je sais bien que Dieu choisit ceux qu'il veut et les plus petits et les plus pauvres souvent pour manifester sa gloire et sa puissance et que tout le monde puisse bien dire : c'est bien Dieu qui a fait cela ; mais il faut aussi que ce pauvre être corresponde bien à la grâce ; il faut qu'il soit un homme de prière et de sacrifice et je sens que je résiste toujours à la sainte volonté de Dieu, que je retarde son œuvre". Antoine Chevrier a une vive conscience de la nécessité de vivre une conversion permanente. Pour que le fidèle du Christ soit beau d'une beauté divine, sa perfection d'apôtre est la conséquence logique d'une alliance avec le Beau Absolu, la Perfection Infinie. Il est l'image de Dieu, un autre Christ. "Que c'est beau un homme, un prêtre qui a pris ce chemin, et quand il le poursuit avec Jésus-Christ comme il peut faire de choses et comme il est grand au milieu de ce petit monde si petit, si pauvre, si vilain. Saint Paul avait bien la sagesse lui ! Que ses lettres sont belles ! et qu'elles en sont pleines à chaque mot !". C'est si beau un prêtre saint ! je l'ai étudié encore ces jours-ci, mais, c'est si beau, si grand, si élevé ! Celui qui veut vivre selon ce bel Évangile de Jésus-Christ, il serait si grand et ferait tant de bien".

 

Plusieurs fois dans le Véritable Disciple, Antoine Chevrier exprime son admiration pour l'apôtre qui ne prend pas le temps de manger confortablement afin de se rendre auprès des gens :"Combien était beau et édifiant le pauvre curé d'Ars, traversant la place avec son pot de soupe à la main et mangeant sa soupe en allant voir son malade ! ". En effet, pour Antoine Chevrier, il faut se donner totalement à la transmission de Jésus-Christ, l'unique beauté et l'on sera soi-même beau de sa splendeur. Jésus, pour être avec les gens et les enseigner ne prenait pas le temps de manger. Avec lui, l'apôtre devrait pouvoir dire :"Ma nourriture c'est de faire la volonté de mon Père" (Jn 4, 34). "Quelles belles paroles ! La volonté de son Père, c'est sa nourriture ; lorsque les autres ne pensent qu'à manger, qu'à acheter, qu'à préparer ce qu'ils doivent manger, Jésus-Christ ne pense qu'à faire la volonté de son Père... Quel bel exemple pour nous qui craignons de retarder nos repas, de manquer d'un plat, d'un dessert". Oui, si nous agissons ainsi, nous serons revêtu de sa beauté. Etant dans le "monde matériel, sensuel, un homme tout spirituel, qui ne vit pas pour la terre... qui se contente du strict nécessaire... qui ne travaille que pour Dieu ...qui ne redemande pas ce qu'on lui a pris… et qui s'abandonne entre les mains de la Providence", on pourra dire :"Qu'il est beau ! qu'il est grand ! qu'il est admirable cet homme ! Et comme le monde doit se retourner en le voyant et admirer en lui la puissance de la foi, de l'amour et de la confiance en Dieu". Il mérite le qualitatif de saint. Les saints sont capables de faire de belles choses. "Ils sont la gloire de Dieu sur la terre ! Ils sont l'expression vivante de la divinité ici-bas ! Ils sont la joie des anges et le bonheur des hommes" ; ce sont les plus belles icônes de Dieu.

 

Antoine Chevrier souhaite donc que la maison du Prado soit pleine de Saints. Ne parlons plus de Beauté, mais de lumière ; cette Lumière qui attire à Dieu parce qu'elle est éclatante, belle, anthousiasmante. "Il faut, disait-il, que du Prado sorte comme des rayons de lumière qui éclairent toute la Guillotière". Et pour cela, il faut qu'en toute occasion, à la chapelle, à la cuisine, à la porte, etc... une parole renseigne sur Dieu et invite à aller à lui. "Il faut que du Prado sortent des rayons de lumière qui éclairent tous ceux qui y viennent".

 

Je terminerai ce thème de la beauté du pasteur avec une prière du Père Chevrier :"O prêtre ! que ta mission est belle sur la terre ! Etabli de Dieu pour être le médiateur divin, c'est à ta prière que le ciel s'ouvre et que les bénédictions descendent.À ta voix s'opère le plus grand des mystères, à ta parole, le plus grand des miracles. Établi de Dieu pour instruire, c'est toi qui enseigne les voies du salut, ramènes le pécheur, convertis l'infidèle. Puissent les hommes entendre ta voix, suivre les conseils que tu annonces. Puisse le Seigneur entendre toujours la prière que tu lui adresses pour le salut des hommes, la conversion de tes frères, afin que les rendant heureux sur la terre, tu puisses jouir avec eux tous, du bonheur éternel dans la céleste patrie ».

 

3 _

Vous êtes la lumière.

Laissez venir un rayon de cette divine lumière sur ma pauvre âme, afin que je puisse vous voir et vous comprendre.

Qui saura vous connaître ? ...

 

Dieu lumière est une splendeur qui agit à l'intérieur de nous-mêmes. il est bien difficile d'en parler. Pourtant, quelque chose se passe vraiment en nous. Nous sentons et nous comprenons, même si nous avons du mal à l'exprimer, qu'une naissance d'en-haut s'opère au plus intime de nous-mêmes.

 

Antoine Chevrier, dialoguant sur la qualité de la vie spirituelle des gens qui venaient lui parler, enquête sur cette intériorité : "Sentez-vous un attrait intérieur qui vous pousse vers Jésus-Christ ? Un sentiment intérieur qui est plein d'admiration pour Jésus-Christ, pour sa beauté, sa grandeur, sa bonté infinie, qui le porte à venir à nous. Sentiment qui nous touche et nous porte à nous donner à lui. Un petit souffle divin qui nous pousse et qui vient d'en haut, ex alto, une petite lumière surnaturelle qui nous éclaire et nous fait voir un peu Jésus-Christ et sa beauté infinie. Si nous sentons en nous ce souffle divin, si nous apercevons une petite lumière si nous nous sentons attiré tant soit peu vers Jésus-Christ, ah ! cultivons cet attrait, faisons le croître par la prière, l'oraison, l'étude, afin qu'il grandisse et produise des fruits". En effet, laissons nous prendre par Dieu lui-même car c'est son Esprit qui nous donne le sens des choses spirituelles et nous montre Jésus-Christ dans sa splendeur. Si nous écoutons et acceptons, en nous, le cheminement de cette Parole Divine, nous comprendrons tout ce qui vient du ciel. "Il nous faut naître d'en haut" (Jn 3,7), découvrir la Vie par cette nouvelle naissance. "Allons, écrit Antoine Chevrier à Mademoiselle Grivet, cherchons donc le Bon Dieu. Demandez la sagesse ; elle est si belle, si grande, si sublime, si vraie qu'il faudrait l'acheter à tout prix". Et, comme Dieu est venu dans notre monde et que sa présence concerne toute l'humanité, il suffit de rester dans son propre quartier pour le trouver. Le Père rappelle cela à Madame Franchet alors qu'il est à Rome où il est venu pour présenter au Pape Pie IX son désir d'une communauté de prêtres pauvres. "Que celui qui a la foi est heureux ! Il n'a pas besoin de tant voyager pour voir de belles choses, il a tout dans la sainte Eucharistie, il se retrouve à la crèche, au Calvaire, au Cénacle. On voyage pour visiter les grandes reliques des saints et des saintes et notre bon Sauveur nous a laissé la belle et précieuse relique de son corps et de son sang ! Comme nous sommes heureux d'avoir tant de richesses et cela partout, de sorte que le pauvre paysan peut, sans voyager, et sans dépenser un sou faire tous les beaux pèlerinages du monde, n'est-il pas vrai ? et à Saint Louis, dans votre paroisse, vous pouvez faire les grands pèlerinages de Rome et de Jérusalem". Bien sûr, les pèlerinages peuvent avoir leur intérêt. De même, le beaux offices, les belles liturgies ont leur valeur. Pourtant, il ne faut pas les absolutiser comme si tout dépendait d'eux. La démarche intérieure du chrétien plein de foi est primordiale. "Quand tu veux prier, entre dans ta chambre la plus retirée, verrouille ta porte et adresse ta prière à ton Père qui est là dans le secret. Et ton Père qui voit dans le secret te le rendra" (Mt 6,8). "Non pas qu'il faille condamner le culte extérieur, non, puisque l'Église le demande et que nous sommes composés d'un corps et d'une âme et que les choses extérieures doivent nous porter à Dieu. Mais ne nous laissons pas aller à cette passion qui existe de nos jours et ne prenons pas l'accessoire pour le principal".

 

Il y a, ici, un conseil important pour celui qui veut faire appel à l'Art en vue de conduire à Dieu. Pour que l'objet, parvienne à rejoindre son but, orienter vers Dieu celui qui le regarde, il faut qu'il soit simple. Ce n'est qu'a cette condition que la pensée de celui qui est attiré par la beauté de l'œuvre ne sera pas détournée de l'essentiel au profit de l'accessoire. Quand, par exemple un tableau est trop beau, trop soigné l'attention risque de se fixer dans une contemplation de la beauté au lieu d'atteindre la Personne révélée dans cette beauté. L'esthétisme n'est pas le beau. "Dans une église, comme dans sa chambre, il faut éviter d'avoir des choses qui excitent la curiosité et détruisent l'attention à Dieu. Dans les ornements et autres choses… il faut que la pensée de Dieu en ressorte et non la pensée de l'Art et du goût".

 

L'attitude fondamentale qui est ici recommandée est celle de la simplicité. Nous rejoignons une définition de la contemplation, perception simple d'une réalité simple.

 

Antoine Chevrier recommande de suivre Jésus-Christ dans son humilité afin de gagner les gens à l'Évangile sans les blesser. Humilité et simplicité vont de pair. Avec ces deux vertus, personne ne peut craindre de parler à tout le monde, riches ou pauvres, hommes de sciences ou ignorants. Jésus parlait à tous. Grâce à son humilité, étant bien à l'aise au milieu des pauvres et des pêcheurs, il ne craignait pas de se laisser accuser pour faire du bien aux malheureux. Ainsi Antoine Chevrier : "Il est impossible, dit le Père Jaricot, de pouvoir dire toute la vérité, toute l'excellence, toute la beauté, tout le charme dont était revêtu dans le Père cette vertu de laquelle il a si bien parlé et qu'il pratiquait à la perfection". Cette humilité, et le sens profond que seul ce qui simple, sobre, peut révéler Dieu sans ambiguïté, faisait en sorte que le Père avait beaucoup de peine à revêtir de trop beaux ornements pour les offices liturgiques. Il ne supportait pas que les autels soient trop richement ornés. Comme je l'écrivais plus haut, ce qui est trop beau risque de cacher l'essentiel au lieu de le souligner. "Je me souviens, dit Jean-Marie Laffay, qu'une fois il me parla d'un tapis d'autel qu'on lui avait donné pour sa fête. Il me le fit examiner pour voir ce que j'en pensais. Je dis que c'était joli ; lui répliqua que ce n'était pas assez simple. Je lui ai souvent entendu commenter cette parole : “Calice de bois, prêtre d'or. Mettez un prêtre saint dans une église de bois ouverte à tous les vents, il attirera et convertira plus de monde qu'un autre prêtre dans une église d'or”.

 

Simplicité, humilité et pauvreté sont donc les trois conditions idéales pour dévoiler Dieu. Dans nos maisons, nos églises, il faut que tout soit signe d'une vie orientée vers le Créateur. Il ne faut pas que le souci de l'honorer deviennent une injustice vis à vis des enfants, des pauvres, qui risquent toujours de manquer de pains. Et puis, les décorations que l'on ajoute pour faire beau, risque bien de n' être que de soi-disant enjolivures.

 

Lisons ce témoignage de Sœur Hyacinthe :" Il recommandait beaucoup la pauvreté et en faisait comme le point de départ de toute vie religieuse, il ajoutait même que pour suivre Notre Seigneur Jésus-Christ, il fallait être pauvre. Pendant la retraite que j'ai faite avant d'entrer dans son Institut, il me faisait pratiquer le détachements des biens et m'envoyait chaque jour demander l'aumône. Pour lui, il poussait la pauvreté à l'excès. Il était très chatouilleux sur ce chapitre. Un jour qu'il s'était décidé à faire faire quelques réparations au parloir qui n'était qu'un misérable hangar, l'ouvrier qui s'était permis d'embellir son travail par quelques rayures fur sévèrement réprimandé par lui et dut effacer séance tenante ces soi-disant enjolivures. Il ne se lassait pas de redire : “Le Prado n'aurait plus sa raison d'être, si l'on n'y pratiquait plus la grande pauvreté”. Plusieurs fois on lui a offert des sommes pour reconstruire sa maison et sa chapelle, toujours il les a refusées en disant : “Cela nous ferait sortir de la pauvreté...”

 

Il disait : “Laissons aux autres le soin de représenter les mystères glorieux, réservons-nous le soin de représenter les mystères douloureux”. Et c'est à propos de la chapelle qu'il le disait. Une de ses maximes favorites était :“Un calice de bois, un prêtre d'or”. Un jour, on lui fit cadeau d'un bel ostensoir. Il ne crut pas devoir le refuser quoiqu'il l'acceptait avec peine et à la condition de pouvoir le vendre si des enfants venaient à manquer de pain. Il disait qu'il ne fallait jamais exciter l'envie des pauvres par la richesse des objets servant au culte. Et c'est pour cela qu'il tenait tant que la plus grande simplicité régna dans sa chapelle. En revanche, il tenait à l'ordre et à l'exquise propreté dans l'intérieur de la chapelle.

 

C'était pour lui une véritable souffrance de revêtir de beaux ornements. Il recommandait avec soin pour les surplis, par exemple de les faire en grosses toiles et avec de gros plis. Un jour qu'on lui en présenta un plissé fin, il ne voulut pas le mettre avant de l'avoir soigneusement déplissé. Je lui disais quelquefois : “Mais mon Père, c'est pour le bon Dieu !” Et il me répondait finement : “Pour le bon Dieu sans doute, mais l'homme y prend toujours sa part”. (Enfin), pour les membres de sa communauté, il exigeait que les vêtements fussent de la plus grande simplicité"

 

Qui saura vous connaître ?

L’homme qui est simple ; celui qui sait qu'en prenant trop de soin à embellir son milieu de vie - le charger- il se fera plaisir au lieu de se donner  à Dieu.

Le beau acceptable est celui qui va avec ce qui est simple.

 

4 _

O Verbe ! O Christ ! Que tu es Beau !

O pauvreté que tu es belle !

 

Nous l’avons déjà vu, c’est une véritable louange à la pauvreté que nous trouvons dans les écrits d'Antoine Chevrier. Il l'a chante comme Saint François l'a chantée parce qu'il l'a aimée comme le Pauvre d'Assise l'a aimée .

 

"O pauvreté que tu es belle !  Jésus-Christ mon maître, t'a trouvée si belle qu'il t'a épousée en descendant du ciel, qu'il a fait de toi la compagne de sa vie et qu'il a voulu mourir avec toi sur la croix.

Donnez-moi, O mon Maître, cette belle pauvreté; que je la cherche avec sollicitude,

que je la prenne avec joie,

que je l'embrasse avec amour

pour en faire la compagne de toute ma vie

et mourir avec elle sur un morceau de bois, comme mon Maître ! " .

"Nous voyons, témoigne Sœur Gabriel, le Père regarder la pauvreté de Jésus-Christ, la choisir pour lui et la demander avec ardeur. Dans la prière du troisième mystère joyeux, nous trouvons ces paroles : “Si vous naissez aussi pauvre, O Jésus, c'est pour m'apprendre que le premier pas dans la vie parfaite est la pauvreté. Je l'embrasse donc avec joie et amour, cette belle vertu de pauvreté et je veux en faire ma vertu favorite et chérie ; ce sera la première de mes vertus, puisque c'est par elle que vous venez à moi, c'est aussi par elle que je veux aller à vous”. Le Père a désiré être pauvre comme son divin Maître. Et à Madame Franchet le Père écrit :" Oh ! oui, comme la pauvreté est aimable ! et plus une maison ressemble à l'étable, mieux on s'y trouve, l'amour fait tout aimer. Oh ! si les hommes connaissaient ce trésor ils ne prendraient pas tant de peine pour si bien se meubler, se caser, ou s'arranger, tout passe" .

 

Pour Antoine Chevrier la fête de Noël est avant tout la fête de cette belle pauvreté. Le Christ, tout riche qu'il est de sa vie divine, par amour a voulu se rendre chez les hommes. Il a ainsi vécu ces belles vertus de pauvreté et d'humilité pour nous montrer le chemin à prendre. Ce chemin, comme nous le savons, Antoine Chevrier l'a fortement découvert la nuit de Noël 1856 alors qu'il priait devant la crèche. "Le divin enfant Jésus lui donna l'intelligence de la sainte pauvreté et lui en fit connaître toute la beauté". Ce fut alors une joie que chaque fête de Noël réveille. "Réjouissons-nous ... de voir arriver cette belle fête de Noël où nous voyons le Fils de Dieu choisir l'humble étable pour naître, afin de nous montrer le détachement de toutes choses extérieures pour ne nous attacher qu'à lui". Pauvreté et humilité sont les deux fondements de "la vie chrétienne et surtout de la vie sacerdotale, car c'est bien le but de notre vie, la simplicité, la pauvreté, imiter notre Seigneur étant pauvre lui-même, et travaillant à évangéliser les pauvres".

 

Dans le Véritable Disciple, à propos de la pauvreté, vertu très importante pour le prêtre, Antoine Chevrier explique que seule la Parole de Dieu est efficace ; les ornements ne sont que des moyens. Moyens qui deviennent nuisibles quand ils occupent trop l'esprit. Le prêtre saint, dans un environnement pauvre fera plus de bien que le prêtre ordinaire dans une ambiance dorée. "À quoi servent tant de bougies et de lumières si le prêtre n'est pas la véritable lumière des fidèles ? La richesse de Dieu, la grandeur de Dieu est donc dans la sainteté du Prêtre et non dans les ornements ou richesses extérieures de nos temples.

"Ne pas confondre le principal et l'accessoire" ; à donner aux temples et aux maisons toute la beauté extérieure, on risque de ne pas voir que "cela déplaît à Dieu" et que l'on néglige "le vrai et le seul utile et nécessaire ... : le salut du prochain et notre sanctification... Jésus-Christ, notre modèle, n'avait ni maison, ni appareil extérieur ; il se servait de ce qu'il avait, où il était et on ne voit pas qu'il ait rien fait bâtir ; il était lui-même la richesse et la beauté des fidèles. Un prêtre saint, pauvre, est toute richesse. Un prêtre pauvre, saint, dans une église de bois est plus agréable à Dieu, utile aux fidèles qu'un prêtre ordinaire dans une église d'or. Ce qui convertit les pêcheurs, ce ne sont pas les choses riches, extérieures ; cela, au contraire, ne sert qu'à exciter leur curiosité et leur jalousie". "C'est le prêtre qui donne la vie ; ce ne sont ni les pierres, ni les calices, ni les ornements, ni les lustres, ni les beaux autels, ni les belles chairs qui convertissent ; elles attirent pour la curiosité, elles ne convertissent pas, ni ne guérissent... On ne pourra jamais remplacer la sainteté par les plus belles choses extérieures". C'est pourquoi, quand celles-ci existent, il ne faut pas oublier qu'elles ne sont que moyen. Pour signifier la sainteté de Dieu, sa Beauté, il n' y a rien de mieux que la beauté du chrétien qui est sanctifié par Dieu. « C'est le prêtre (ou le fidèle) qui est la plus belle bougie de l'église ... le plus beau lustre... La pauvreté et la souffrance attireront donc plus que tous les fastes et les beautés extérieures". Le Christ n'a pas attiré le monde à lui par luxe et la grandeur, mais par la pauvreté et la souffrance. “Quand je serai élevé sur la croix, j'attirerai tout à moi". Ce ne sont ni les belles robes, ni les beaux manteaux, ni les belles maisons, ni les beaux ameublements, ni les beaux ornements qui attireront le monde, mais les vertus de simplicité, de pauvreté et d’humilité.

 

5 _

O verbe ! O Christ ! Que vous êtes Beau ! Que vous êtes Grand !

 

Ce cri admiratif est tellement présent dans la vie d'Antoine Chevrier que je me devais de terminer par lui. Dans sa beauté, le Christ est une lumière qui illumine le monde entier. Le disciple du Christ, laïc, prêtre, se doit d'être relais, miroir, image... dans cette diffusion de l'unique belle lumière. Les objets, artistiques ou  non, qui meublent notre existence dans nos maisons comme dans nos lieux de culte, n'ont pas d'autres buts.

 

Comme nous le savons déjà, c'est pendant la nuit de la fête de Noël 1856 que le Père Chevrier bénéficia profondément de la révélation de la gloire divine dans l'enfant Jésus. Tout le bien que nous pouvons désirer est en Jésus-Christ. Il devient notre modèle, la perfection que l'apôtre doit revêtir pour que le Bonheur authentique soit offert au monde, l'invitant à se rendre à Dieu. "Que vos paroles soient pour moi autant de Lumières qui m'éclairent et me fassent aller à vous".

 

Contemplation du Verbe incarné, décision de vivre la conversion à Dieu afin de devenir des icônes de Jésus-Christ, tout fut dit d'essentiel en cette nuit de Noël 1856… Neuf années plus tard, Antoine Chevrier se rappelle bien de son expérience intime avec la Beauté de Dieu. Il en parle dans une lettre à l'Abbé Gourdon : "J'ai lu votre lettre avec plaisir. Ce beau mystère de l'incarnation qui a touché votre cœur est bien vraiment le fondement de notre zèle, de nos actions et un grand motif de nous humilier devant Dieu. C'est ce mystère qui m'a amené à demander à Dieu la pauvreté et l'humilité et qui a fait que j'ai quitté le ministère (paroissial) pour pratiquer la sainte pauvreté de Notre-Seigneur. Je désire et demande tous les jours à Dieu qu'il veuille bien remplir les prêtres de l'esprit de Jésus-Christ et que nous ressemblions de plus en plus à Jésus notre Divin Modèle, le grand modèle des prêtres. Oh ! si nous étions conformes à Jésus-Christ notre Sauveur, que de bien, que de bonnes œuvres se feraient dans la sainte église de Dieu. Convertissons-nous mon bon frère, aidez-moi à me convertir et prions ensemble pour devenir les dignes représentant de Jésus-Christ sur la terre et les dispensateurs de ses grâces.

 

Le prêtre est un autre Jésus-Christ, c'est bien beau. Priez pour que je le devienne bien véritablement. Je sens que je suis si éloigné de sa pauvreté, si éloigné de sa mort, si éloigné de sa charité. Priez et prions ensemble pour que nous devenions conformes à notre beau Modèle".

 

Antoine Chevrier a bien conscience que seule l'écoute attentive des Paroles du Verbe incarné lui donnera la Lumière nécessaire pour Le rejoindre et parler de Lui afin de montrer et de donner à tous, mais plus spécialement à ceux qui ont le moins de chance de le percevoir, l'Unique Bonheur. Il comprend que cette recherche ne peut que s'accomplir dans un climat d'amour. "La connaissance de Jésus-Christ produit nécessairement l'amour et plus nous connaissons Jésus-Christ, sa beauté, sa grandeur, ses richesses, plus notre amour grandit pour lui et plus nous cherchons à lui plaire et plus nous rejetons loin de nous tout ce qui ne va pas à Jésus-Christ ».Voici le témoignage de Jean-Marie Laffay : " On peut dire que la principale dévotion du Père Chevrier était la dévotion à Jésus-Christ, comme sa principale vertu était l'amour de Jésus-Christ.

 

Il dit dans son Véritable Disciple : “ Dans une horloge il y a un ressort qui fait mouvoir tous les rouages et donne l'heure. C'est Jésus-Christ qui doit être en nous le ressort caché qui fait montrer toujours en notre personne Jésus-Christ lui-même”.Par ces paroles le Père Chevrier s'est peint lui-même sans le vouloir. Jésus-Christ était sa vie, sa lumière, son amour.

 

Quand il parlait de Jésus-Christ, tout en lui s'éclairait, il était grandi et ravi. J'ai encore cet impression en lisant les belles pages qu'il a laissées sur la divinité de Jésus-Christ, sur ses titres, sur les effets de la connaissance de Jésus-Christ et en particulier la prière au Verbe : “O Verbe, ô Christ ! s'écrie-t-il, que vous êtes beau ! Que vous êtes grand ! Qui saura vous connaître ? Qui pourra vous comprendre ? etc. ...”

“Tout repose sur Jésus-Christ, dit-il dans le Véritable Disciple. Rien de solide sans lui. Oté Jésus-Christ et quel fondement reste-t-il ? Aucun. Il est le fondement de toutes choses.

“Dans un arbre, la partie essentielle c'est la racine qu'on, ne voit pas ; c'est elle qui donne la vie à tout l'arbre ; celle qui envoie la sève à toutes les feuilles et les fait vivre. Ainsi en est-il de Notre Seigneur : il est la racine d'où nous tirons la sève qui donne la vie.

Dans une circonférence, il y a le centre d'où partent tous les rayons et vers lequel tous les rayons se dirigent. Jésus-Christ est le centre vers lequel tout doit converger. Il est notre fin ; il doit être la fin vers laquelle nous devons tendre de toute la force de notre âme. Qui ne va pas à Jésus-Christ va à la mort”…

Je lui ai entendu développer ces pensées, mais celle qui lui était la plus familière et qui revenait pour ainsi dire sans cesse sur les lèvres, c'était celle-ci : “Jésus-Christ est notre Maître”… très souvent il l'appelait “mon Maître, le Bon Maître, ou même simplement, le Maître”.

"Celui qui a trouvé Jésus-Christ a trouvé le plus grand trésor. Il a trouvé la sagesse, la lumière, la vie, la paix, le bonheur sur la terre et dans le ciel. Il n'estime rien au-dessus de Jésus-Christ.Il ne veut plaire qu'à Jésus-Christ. Il ne craint pas de passer pour un fou pour Jésus-Christ. Il ne vit plus que pour Jésus-Christ ; Jésus-Christ est sa vie. Pour nous s'écrie le Père Chevrier en terminant, notre vie, c'est Jésus-Christ !".

Sœur Véronique ne s'exprime pas autrement :" Le Père aimait par dessus tout Jésus-Christ. Il disait souvent : “Que c'est beau Jésus-Christ ! ”... J'aimais à voir le Père Chevrier avec sa petite lampe en verre sur un chandelier en terre, nous précédant à la chapelle du St Sépulcre où il faisait l'oraison en commun à ses religieuses et aux élèves latinistes".

Que c'est beau Jésus-Christ !

 

Je pense que nous ne reprendrons jamais assez cette exclamation. Comme Antoine Chevrier la prononçait souvent, elle revient abondamment dans les dépositions du procès. "Celui qui a trouvé Jésus-Christ a trouvé le plus grand trésor de la terre et du ciel... Jésus-Christ est le Verbe divin qui est en dieu de toute éternité... Il est la vraie lumière qui éclaire tout homme... Il est notre sagesse... notre Roi... La Voie, la Vérité, la Vie. Il est le principe et le Créateur de toutes choses. Tout a été fait pour lui et rien de ce qui a été fait n'a été fait sans Lui. Jésus-Christ est le fondement sur lequel tout doit reposer. Oui, mes enfants, il n'y a pas d'autres fondements que Jésus-Christ. Tout ce qui n'a pas Jésus-Christ pour base, pour fondement s'écroulera nécessairement parce que les hommes ne peuvent pas être des fondements solides. Ne vous appuyez jamais sur personne. Jésus-Christ est la racine d'où nous devons tirer la sève vivifiante qui nous fera porter des fruits pour la vie éternelle. Jésus-Christ est le centre où tout doit converger. Jésus-Christ est la fin vers laquelle nous devons tendre".

 

L'attachement qu'Antoine Chevrier a envers la personne de Jésus-Christ se tourne tout naturellement vers l'Évangile. Parfois même, Évangile et Jésus-Christ sont synonymes si bien que, à la beauté de Jésus-Christ correspond celle de l'Évangile. Dans une lettre à l'Abbé Jaricot, nous voyons quelle passion il nourrit envers ce saint livre. "Je suis actuellement chez les Pères Carmes, pour y prier un peu le Bon Dieu, et étudier la pauvreté de Notre Seigneur. Je lis le saint Évangile. Comme tout ce que Notre Seigneur a dit est bien dit, et comme  nous devons tâcher de le mettre en pratique ! Oh ! mon bien cher frère, étudions toujours ce beau livre, et ne cessez pas de le lire pour y pratiquer ce que vous y voyez ; ce sera notre règle, vous le savez. La Crèche, le Calvaire, le Tabernacle, voilà nos trois stations pour arriver à la perfection de notre vocation. Quand je vois que je suis encore si en arrière, je gémis devant notre Maître, et lui demande pardon d'avoir tant perdu de temps. Mais, courage ! avec la grâce de Notre Seigneur, nous marcherons à sa suite, dans la parfaite pauvreté, la mort et la charité". C'est une âme d'enfant qu'il nous faut revêtir pour aborder la Bonne Nouvelle. Les passions des adultes posent un voile entre la simplicité et la profondeur de la Parole de Dieu et leur capacité de comprendre. "Rien n'est plus opposée à cette soumission d'esprit que nos petites passions. La Parole de Dieu est si élevée, si pure, si céleste, si au-dessus de nous que, lorsque nous l'entendons, nos mille petites passions se soulèvent et se révoltent contre elle, parce qu'elle se trouve en opposition directe avec cette même parole qui les condamne et les détruit".

 

Autrement dit, pour aborder la beauté de Dieu et éventuellement la transmettre dans une œuvre d'art, il convient de renoncer à la complexité de son esprit. "C'est le raisonnement qui tue l'Évangile et qui ôte à l'âme cet élan qui nous porterait à suivre Jésus-Christ et à l'imiter dans sa beauté évangélique. Les saints ne raisonnaient pas tant".

Parler Seigneur, je ne veux écouter que vous.

 

 

Oui, rien d'autres n'existe quand nous avons perçu cette splendeur du Verbe Divin, splendeur que le Fils Jésus nous manifeste. Plus exactement, rien n'existe sans l'éclairage de cette splendeur.

 

Alors que la beauté de Dieu rayonne dans le plus infime, le plus petit des hommes, je dirais même le plus laid physiquement, alors que l'on voit sur ce visage les traits de l'Amour divin, une profonde émotion jaillit du cœur humain. Celui qui voit ne peut retenir ses larmes tellement cette présence de la Beauté est grande, belle, réelle.

 

Profonde émotion devant l'expression, au plus profond de l'homme, de la belle tendresse du Créateur. Joie, pleurs de joie à la perception de la profondeur révélée de Dieu.

 

Une création artistique est remarquable quand, dans sa belle simplicité, elle conduit sur ce chemin de la grandeur divine. Trop belle elle nous en détournerait.