Dans le vieillissement, jamais nous nous retirons de la mission de témoigner de la résurrection, de la vie dans la gloire de Dieu, l’Éternel
Devant mettre en forme le prochain numéro de la revue du Prado Quelqu’un parmi nous, je me dis qu’il n’est pas juste de demander aux lecteurs de donner un témoignage à ce sujet sans écrire moi-même. Alors je me suis décidé, tout en m’efforçant d’être bref d’envoyer cette page au comité de rédaction.
J’indique tout d’abord l’appel à écriture :
« Le prochain numéro à paraître en novembre portera sur le vieillissement, la vieillesse.
Qu’avons-nous à en dire d’après ce que nous observons autour de nous, chez nos amis, nos parents ou en nous ?
Pour certains la vieillesse est paisible, pour d’autres elle est beaucoup plus pénible, voire marquée par la maladie, la dégénérescence. Quelqu’un parmi nous a déjà abordé ce thème de la vieillesse dans le passé, mais les lecteurs que vous êtes ont sans doute encore beaucoup à en dire. Nombreux sont ceux dont la vieillesse est féconde, malgré les atteintes de l’âge, « les impôts vieillesse » comme dit un ami. D’autres la vivent difficilement. N’hésitez pas à vous exprimer dans la Revue pour le numéro à paraître en novembre.
Nous pouvons aussi nous poser la question : que disent les jeunes de la vieillesse qui les attend inéluctablement ? »
Et voilà ce à quoi j’ai pensé :
Témoin du Ressuscité pour toujours
Réfléchir et écrire sur la vieillesse, le vieillissement, à mon âge c’est réfléchir sur moi-même tout en observant ce que vivent et disent d’autres personnes.
Depuis une dizaine de jours, le genoux de la jambe droite manque de souplesse et une douleur s’en fait ressentir. Je m’en plaignais à des amis que me répondirent immédiatement : « nous en sommes tous là ». Oui, personne n’échappe aux conséquences du vieillissement. En parler est tellement vaste que je ne vois pas où commencer. Alors, je ne cherche pas à être exhaustif ; quelques notes suffirons pour dire ce que je ressens.
Il y a le domaine physique
J’en parle effectivement de plus en plus spontanément car je demeure surpris de ne plus pouvoir agir comme avant. Par exemple soulever une table, une valise, un carton de papier ne me posait aucun problème il y a seulement 4 ou 5 ans. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Et je suis amené à me demander si je n’exagère pas en sollicitant l’aide d’autrui. N’y a-t-il pas une tranche de paresse dans l’affirmation que tel objet est trop lourd pour que je le porte seul ? En fait la question ne se pose plus quand des plus jeunes se proposent en disant : « laissez, nous allons porter ce carton, vous n’êtes plus tout jeune ». Avoir plus de 80 ans se voit et je me dis que même si je me sens « encore » en forme, de fait, je n’ai plus la souplesse et le force adéquate pour m’accroupir afin de soulever et de porter cette charge.
Dans les transports en commun que je prends presque chaque jour, tram, bus, métro, j’éprouve une réelle satisfaction de rarement rester debout. Il suffit que je franchisse les premiers mètres du véhicule pour qu’une jeune personne, souvent très jeune, se lève afin de me céder sa place assise. Je remercie d’un sonore « merci bien »et d’un large sourire lequel m’est largement rendu. Comment voit-on que nous sommes âgés si ce n’est par ce que montre le visage ? La vieillesse a ses privilèges et je suis heureux d’en bénéficier.
Un autre exemple satisfaisant : Quand j’achète une place au cinéma, quand je paye ma carte de transport TCL, ou en beaucoup d’autres lieux, je n’ai plus besoin de signaler l’âge en montrant la carte d’identité, on me donne immédiatement le tarif réduit pour personnes âgées. Il y a 5 ou 6 ans, on me disait : « vous faites plus jeune que vous êtes ». Ce n’est plus le cas aujourd’hui et j’expérimente que cela ne m’attriste pas ; au contraire je me sens bien à ma place dans la reconnaissance de l’âge, de l’inévitable vieillissement.
Je peux encore parler de la disparition de la souplesse. Il se trouve que, pour prier « confortablement », j’aime me trouver dans la position assise en tailleur sur le sol. C’est encore possible mais l’absence désormais d’agilité, la difficulté de plier les jambes au niveau des genoux rend cette posture plus que laborieuse. Se relever nécessite plusieurs appuis. J’entends parler d’arthrose. Personne n’y échappe.
Tout ce ressenti s’accompagne souvent d’une fatigue générale dont je me demande sans cesse d’où peut-elle venir puisque je ne fais que peu d’efforts physiques bien que je sache qu’il est important de bouger. Je sais qu’il conviendrait de marcher davantage. Et j’en ai la preuve physique car la gymnastique hebdomadaire avec cœur santé, fédération française de cardiologie, me redynamise même psychologiquement.
Et le domaine mental, spirituel
Quel ressenti à ce niveau? Je parlerai tout d’abord de lenteur. L’esprit est moins vif. Il passe difficilement d’une tâche à l’autre. En fait, dans une journée, trois actions différentes se présentent comme un maximum. Si de l’extérieur on me bouscule, je suis totalement perdu, ne sachant plus où j’en suis à l’instant même. Cela énerve beaucoup les jeunes qui changent en un rien de temps d’activité. J’appelle cela une perte en activité intellectuelle et je comprends merveilleusement bien le slogan : « si jeunesse savais et si vieillesse pouvait ! »
Alors, quand je ne suis pas occupé par une demande hors de chez moi, ou un rendez-vous à la maison, comment j’occupe ma journée de retraité ?
Tout d’abord, je me suis donné un règlement que je respecte aisément. L’avantage réside dans le fait que je n’ai pas à me demander à tout moment ce que je dois faire.
Réveil vers les 6 h 30 ; écoute des informations avec France-inter. Toilette. Soins du corps. Je reconnais ne pas faire passer Dieu en premier en me mettant de suite en prière. Pour ce temps priant, j’ai besoin d’être vraiment réveillé. Même la lecture du quotidien La Croix passe avant l’office des laudes. Donc arrive une heure de prière, méditation, contemplation avec l’évangile du jour (étude d’Évangile), les laudes, l’offices des lectures, la prière pour la canonisation d’Antoine Chevrier. Prière à l’Esprit Saint.
10 heures approche. Jusque’à 12 h 30 : lecture, écriture, réponse aux courriers et courriels.
Repas
13 heures : informations, toujours sur France-inter et/ou sieste, plutôt sieste.
14 heures : lecture de romans, de récits et/ou d’ouvrages théologiques en alternance.
16 h / 17 h : écritures
18 h 30 : offices des vêpres et moment eucharistique (la messe) dans la solitude de l'appartement (visio avec le site internet du Vatican) sauf si je me suis rendu dans une église ou chapelle rejoindre une communauté.
19 h 45 : repas puis diverses informations (Arte, France 2…) et émissions télévisées
22 h 15 : complies; sommeil.
Bien sûr ce règlement est très schématique. Il disparait dès qu’une demande extérieure, un rendez-vous m’est adressé. En fait ceux-ci ne sont pas énormes au point que parfois je me dis être prêt pour une maison de retraite presque coupée du monde. À ce propos, il me semble que notre mission de chrétien, plus encore de prêtre, est de témoigner d’une grande sérénité devant la mort qui ne peut que venir. Nous sommes tous appelés à vivre ce moment et au lieu de le cacher, nous devons nous y préparer. Que les soins palliatifs éloignent désormais l’horrible souffrance de l’agonie* est un avantage dans notre passage vers l’autre vie, celle que nous espérons en Dieu, avec Christ ressuscité.
Récemment, au cours d’une visite dans un Ehpad, parlant à la fille d’une dame en fin de vie, j’ai employé l’expression : prière pour une bonne mort, comme on disait au XIXe siècle. Cela me semble plus juste que « sacrement des malades » et plus précis, plus signifiant que « extrême onction ».
Pour terminer
Il y a quelques temps j’employais régulièrement le mot « retraité » pour me situer dans la société. Je suis retraité. Marqué par l’âge je me présentais comme retiré, en retrait, n’ayant plus de responsabilité. Un prêtre belge, à la retraite annuelle (ce mois d’août 2023) des prêtres du Prado (Maison Saint-André à Limonest), expliqua que dans son pays on disait « pensionné ». Cela me parait plus juste. En effet, si je suis retiré, retraité d’une responsabilité pastorale, par exemple de la charge de curé, je ne suis pas retiré de la vie. En tant que « curé », je peux être retraité mais pas en tant que moi-même. Prêtre pour toujours, je ne peux pas me retirer et pour continuer à vivre, à agir selon ma vocation d’homme ordonné dans le presbytérat, il est juste que je sois pensionné. « Restez dans cette maison, mangeant et buvant ce que l’on vous sert ; car l’ouvrier mérite son salaire. Ne passez pas de maison en maison » (Luc 10,7).
Dans le vieillissement, jamais nous nous retirons de la mission de témoigner de la résurrection, de la vie dans la gloire de Dieu, l’Éternel.
- Je pense, à propos de l’agonie au Dialogue des Carmélites de Georges Bernanos où la mère supérieure, atteinte d’un mal incurable, meurt dans l’épouvante et la solitude