Mon entrée définitive au Prado a été fortement marquée par ma rencontre d’Alfred Ancel. Je souhaite en parler pour dire ce qu’il m’a apporté
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Et je dois dire que j'ai pensé à l'écrire car le comité de rédaction de Quelqu'un parmi nous prépare un numéro sur Alfred Ancel, supérieur du Prado pendant de très nombreuses années : 1942-1971.
De septembre 1962 à juin 1963, à la demande de l’évêque d’Autun, Mgr Lebrun, je me trouvais au Petit séminaire de Rimont en Saône et Loire pour faire une année de latin. J’avais rendu visite au responsable du séminaire du Prado à Limonest, mais je n’avais pas encore rencontré le responsable général du Prado, Mgr Alfred Ancel. Par la suite, ayant alors rejoint le séminaire du Prado, chemin Saint-André, en septembre 1963, j’ai sans aucun doute rencontré le Père Ancel. Mais je n’en garde aucun souvenir.
L’évêque d’Autun, ne souhaitant pas me voir au Prado, me proposa de faire mes études en vue de la prêtrise à l’Université Géorgienne à Rome et ainsi de rejoindre le Séminaire français. Parmi les arguments avancés, il parla du concile Vatican II et de la richesse des rencontres que l’on faisait à cette occasion. À Rome, me disait-on, nous avons vraiment, en permanence, le sens de l’Église universelle. C’est un avantage ! Est-ce que je devais quitter le Prado ? Les responsables du séminaire pradosien m’expliquèrent que le séminaire n’était pas un lieu mais un temps. Et, comme il y avait une équipe de séminaristes en marche vers le Prado au Séminaire Français de Rome, je pouvais sans crainte répondre positivement à la demande de l’évêque. Je resterai, quelque soit le lieu, en lien avec l’enseignement du Père Antoine Chevrier.
J’avais lu quelque part que le fondateur du Prado avait obtenu de l’évêque de Lyon, Mgr de Bonald, que ses premiers séminaristes terminent leurs études à Rome. Il souhaitait leur donner une formation qui soit vraiment dans la ligne du Véritable disciple : vie de pauvreté pour être proches des gens, des plus pauvres, de celles et ceux qui sont loins de l’Église, de l’Évangile. J’avais lu aussi, dans ma découverte de la spiritualité apostolique d’Antoine Chevrier, que le Père avait peur que les séminaristes se laissent prendre, dans le Grand séminaire de Lyon, par des habitudes trop marquées par la vie bourgeoise. Il écrit : « Comme on se fait vite à la vie de bourgeois ! ». Cela me parlait beaucoup. Tout cela les séminaristes du Prado, l’avait au Séminaire Français où ils pouvaient se retrouver en équipe « Prado »avec des privilèges vestimentaires : pas de col blanc avec la soutane, pas de ceinture à franges mais une simple ceinture, des réunions quotidiennes le matin pour prier l’esprit saint, des réunions de révision de vie. Ces réunions n’étaient pas permises aux autres séminaristes.
Me voilà donc à Rome.
C’est dans la cadre de la vie du séminaire français que j’ai eu la chance de rencontrer régulièrement le Père Ancel. Venant aux séances conciliaires, il logeait au séminaire français. À cette époque, 1963-1965, la concélébration n’existait pas encore. Les séminaristes, après la messe communautaire du séminaire (ou avant), étaient sollicités pour être présent à la messe privée des évêques. Un petit oratoire se trouvait (je ne sais pas actuellement) attenant à chaque chambre épiscopale. Alors, il m’arrivait d’être « enfant de chœur » à l’eucharistie du Père Ancel. J’ai le souvenir d’une liturgie très rigide. Tous les gestes et paroles étaient scrupuleusement posés selon les rubriques. Épitre lue d’un côté de l’autel contre le mur, Évangile lue de l’autre côté. Clochette pour l’élévation. Cela durait moins de 30 minutes. Pour terminer : lecture de Jean 1 : au commencement était le Verbe…
Bref, ce n’est pas en cette circonstance que je garde un bon souvenir du Père Ancel, mais plutôt quand il venait se joindre à l’une de nos réunions d’équipes. Il nous parlait des travaux du Concile. Il évoquait les rencontres qu’ils faisaient. Elles étaient nombreuses. Pas toujours facile. Nous faisions aussi, avec lui, révision de vie.
Nous nous sommes également retrouvé en semble à Borghésiana, dans la maison du Prado de cette petite paroisse en bordure de Rome, au milieu des vignes. J’ai le souvenir qu’il se souciait vraiment de nous, séminaristes. Il nous demandait si tout allait bien : santé, étude, vie au séminaire. Il gardait toujours avec nous une grande simplicité. Je me souviens qu’il s’inquiétait vraiment de nos besoins financiers. « Avez-vous besoin d’argent ? » « Avez-vous tout ce qu’il vous faut ? » Le responsable de notre équipe pradosienne, Georges Sabatier (mort trop jeune), vivait dans une très grande pauvreté. J’en garde un profond souvenir. Édifiant. Alfred Ancel se souciait de savoir de quoi il avait besoin.
C’est à la suite de cette formation au sein du Séminaire Français, qu’en présence du Père Ancel, en été 1964, j’ai prononcé mon engagement pradosien dans la chapelle du séminaire Saint André à Limonest.
Il faut attendre 1976 pour que je rencontre de nouveau Alfred Ancel. Je me trouve alors à Lyon après avoir quitté la ville du Creusot où j’avais été nommé à la sortie du séminaire en septembre 1971. Cette période était, en ce qui me concerne, plutôt incertaine. Le Père Ancel devient alors, comme on disait, directeur de conscience. Je le rencontrais dans son petit logement, 5 rue Bonnefoi. La petitesse de sa chambre m’a toujours impressionné. Et l’escalier pour l’atteindre ? Trop raide ! Fragile ! Mais, mon souvenir est-il exact ?
Je garde d’Alfred Ancel à cette époque, le souvenir d’un véritable père. Nous parlions de tous les aspects de mon existence. Les plus intimes comme les plus généraux. Je réfléchissais à cette époque sur une forme de présence dans le monde par le travail. Fallait-il s’engager dans n’importe quel métier ? Choisir le travail le plus pauvre pour être avec les gens ? Alfred Ancel me conseilla de m’engager dans un métier qui me plaise vraiment. Une profession où je puisse m’épanouir. Ainsi, il me déconseilla les travaux trop physiques où je risquais de m’épuiser à la tâche n’ayant pas été formé pour cela. Voici un exemple. Je pouvais devenir peintre en bâtiment. Travail que j’avais accompli au Creusot. Mais j’avais aussi des propositions de peindre des enseignes sur les devantures de magasin. Alfred Ancel me conseilla d’être peintre en lettres. Un peintre en lettres est, indique Wikipédia, un peintre spécialisé dans l’écriture et la décoration pour la réalisation de toute sorte de signalétique intérieure et extérieure, pour l’information et la publicité. Sous sa forme traditionnelle, cette activité est encore exercée par des spécialistes. Alfred me conseilla aussi de raviver mes études en bac technique, afin de trouver un travail épanouissant. Devenir dessinateur industriel. Les ordinateurs n’existaient pas encore. J’ai repris les rotrings.
Bref, tous les domaines de la vie personnelles étaient abordés avec lui : vie professionnelle, vie affective, vie relationnelle, vie ecclésiale, vie familiale, vie religieuse. Il comprenait très bien les besoins de repos, de détente à la campagne, au bord de la mer… que je lui présentais. Mes besoins de solitude. J’ai le souvenir que dans nos échanges, il n’y avait pas de tabou. Il osait montrer sa présence paternelle en prenant dans ses bras un frère, un fils qui, dois-je le dire, ne savait plus bien, à cette époque, où il en était. La simplicité et pauvreté de son logement allait de pair avec le vérité de son affection.
Je terminerai ce bref récit de souvenir d’un regret. Je pense ne pas avoir été à la hauteur de son amitié humaine, évangélique et spirituelle au moment de sa fin de vie en la maison de retraite des Petites Sœurs des Pauvres. Souvent je me disais que je devais lui rendre visite. Et je ne l’ai pas fait.