Le ministère pétrinien est un gage d’unité à condition qu’il admette la diversité des Églises locales. Que Rome respecte leur autonomie
Christoph Theobald, Le courage de penser l'avenir.
Le petit groupe lisant cet ouvrage s’est donc retrouvé mercredi 9 octobre. Echange très fructueux. Nous avons découvert que nous étions plusieurs à lire de livre de Cesare Baldi, résidant à Saint-Maurice et nous avons noté notre accord sur ce même regard théologique, ecclésial. Je parlerai du livre quand j’en aurai terminé la lecture. Voir ici
Quel est ce même regard ?
Ma réponse sera brève : Un regard qui embrasse circulairement ce qui se vit au milieu des humains dans la reconnaissance du seul Père Dieu. Démarche radicalement opposée à la gourvernance pyramidale de l’Église.
Voici la lecture de Bernard. Elle est à situer avec ce que j’ai rédigé.
Commentaire sur Theobald Ch XIX de son livre :
Depuis les années 70 et le synode commun des évêchés allemands à Wiirzburg qui, en 1974 avait déjà proposé le même diagnostic alarmant d'un « affaiblissement de la volonté œcuménique » et rappelé qu'il s'agit d'un kairos donné par le Seigneur des temps, qui ne tolère pas de report (12/289) la question posée est avons-nous laissé passer l’opportunité de l’œcuménisme le kairos et enfin : qui constate si et quand le temps est mûr ? Les signes des temps ne sont-ils pas, eux aussi, une réalité théologique qu'il faut considérer ? [11/287]
Revenons aux huit thèses :
1– les vérités fondamentales telles qu’énoncées dans l’Ecriture, le symbole des apôtres et dans celui de Nicée Constantinople sont normatives pour toutes les Églises et l’Église une à venir.
2- Le principe réaliste de la foi veut que dans une Église particulière, A on ne proscrira pas un dogme d’une autre Église, B et on n’exigera pas d’une autre Église, B la confession d’un dogme qui, lui, est propre à A.
3- Dans l’Église unie, les Églises particulières peuvent garder leur structure propre.
4- Reconnaissance du ministère pétrinien comme garant de l’unité. De son coté le pape reconnait et respecte l’autonomie des Églises particulières en concorde et en contact avec l’épiscopat catholique entier.
5- Toutes les Église particulières ont à leur tête de leurs subdivisions des évêques avec des élections qui leur sont propres et pas nécessairement celles de l’Église catholique romaine.
6-Toutes les Églises vivent dans un mutuel échange vital de sorte que dans l’Église unifiée à venir l’expérience des Églises autrefois séparées puisse exercer leur influence sur les autres Églises particulières.
7- Toutes les Églises particulières s'obligent à procéder à partir de maintenant à l'ordination par la prière et par l'imposition des mains, de telle manière que leur reconnaissance, aussi par l'Église catholique romaine, ne pose pas de problèmes (Rahner).
8- Entre les différentes Églises particulières il existe la communion de l’autel et de la chaire.
Ces huit thèses ne vont pas sans tension à partir des années 80 et 90. Les hiérarchies des vérités telle qu’exprimées dans les huit thèses orientent vers un consensus différencié et une hiérarchie des vérités recevable par tous.
Des accords apparaissent comme la « Clarification du Conseil pontifical pour la promotion de l'unité des chrétiens » sur le Filioque en 1995 - Déclaration commune catholique et luthérienne sur la doctrine de la justification à Augsbourg en 1999. D'autres avancées peuvent être mentionnées comme le document d'étude luthéro-catholique sur l'apostolicité (2007)
Face à ces avancées il existe au passif de la démarche unitaire à partir de 1992 :
Le document Communionis notio - on s'en souvient - affirme une « intériorité mutuelle » entre les Églises particulières et l'Église universelle, en y ajoutant que « l'Église universelle est, dans son mystère essentiel, une réalité ontologiquement et chronologiquement préalable à toute Église particulière ».
Une ambiguïté demeure sur la notion d’Église tête et d’Églises sœurs. Mais l’encyclique de 1995 ut unum sint renonce à la notion d’Église tête pour valoriser celle d’Églises sœurs. Des voix s’élèvent contre ceux qui favorisent cette ambiguïté sémantique qui minimisent les différences doctrinales voire les contradictions au profit de rassemblement soit sous l’égide d’une ecclésiologie romaine, soit celui du COE (conseil œcuménique des Églises)
À cela se mêle le contexte politico spirituel auquel est confronté le monde d’aujourd’hui : la question des ordinations de femmes prêtres et de femmes évêques dans l'Église anglicane et les réactions catholiques et orthodoxes, la forte présence du Pentecôtisme dans le COE, le débat avec et sur les minorités sexuelles et, sur un autre plan, l'intervention d'intérêts politiques, par exemple dans les conflits entre l'orthodoxie russe et d'autres Églises orthodoxes.
Nous sommes dans un monde sécularisé « celle (condition culturelle) d’un athéisme mondial et militant et celle d’un relativisme sceptique » Avant on se comprenait et pouvait se faire comprendre au sein d'un même ensemble culturel de plausibilités partagées. De plus les frontières entre gens cultivés et d’autres sans culture sont devenues floues. Le consensus évolue de la concordance dans les convictions fondamentales (au sein de l'ancienne Europe) vers un consensus qui se réduit à l'identité de mêmes conditions matérielles et de besoins.
Est-ce que Rome ne contourne pas trop de façon irréversible les huit thèses au profit d’une affirmation de l’autorité que lui donne l’opportunité de l’époque où les gens réclament de l’autorité. C’est une manière de se situer dans la post voire l’ultra modernité, ce qu’on appelle le réflexe identitaire.
Il ne faut certes pas changer ou abandonner la substance authentique de la foi chrétienne - ce que les Églises existantes considéraient comme appartenant à leur substance « définie ». Mais la manière selon laquelle cette compréhension de la foi des Églises existantes peut et doit être introduite dans l'unique Église de la foi de l'avenir peut différer de la manière selon laquelle on pensait jusqu'à maintenant l'unité de la foi dans les controverses entre Églises et confessions [35 S./303 s.
Cela suppose un double renoncement, celui de proscrire un énoncé qui, dans une autre Église particulière, représente un dogme obligatoire, et celui d'obliger une Église particulière de confesser un dogme d'une autre Église particulière. Chaque Église a sa propre hiérarchie des vérités et comme chaque individu peut renoncer à un énoncé qui ne tient pas compte par exemple parce que cet énoncé est sans intérêt pour la situation existante. Sans pour autant ne pas honorer la vérité. In necessariis unitas, in dubiis libertas, in omnibus cartas. Encyclique de Jean XXIII 1959 Ad Petri cathedram (1959) et Unitatis integratio (1964).
Eilert Herms prône l'« œcuménisme de tensions constructives ». « Les Églises particulières vivent dans un mutuel échange fraternel qui concerne toutes leurs dimensions vitales», lisons-nous dans la thèse VI, «de sorte que l'histoire et l'expérience des Églises, autrefois séparées, puissent exercer leur influence dans la vie des autres Églises particulières.
Le ministère pétrinien est un gage d’unité à condition qu’il admette la diversité des Églises locales. L'exigence pour toutes les Églises particulières est de reconnaître, « en vérité et avec amour », le ministère pétrinien et, de l'autre côté, l'obligation qui incombe à l'évêque de Rome de respecter l'autonomie de ces Églises.
Pour répondre à l’objection de confondre l’unité des Églises avec un nouveau COE ou une récupération par de toutes les Églises sous l’autorité pétrinienne le projet Fries-Rahner défend certes la visée d'une unité visible, mais une unité qui implique le «ni... ni » d'une ecclésiologie «négative»: ni un «retour» à Rome, ni une simple fédération œcuménique.
Eilert Herms soupçonne cette notion d'être récupératrice de la différence des autres traditions, en particulier de la tradition réformée, défendant lui-même un « œcuménisme des tensions constructives. … Ce qui est chrétien et catholique [...] a la force d'une reconnaissance universelle ; il est grand en sachant voir comme étant grand ce qui est autre ».
En conclusion il s’agit d'entendre le commandement du Christ Jésus, sur leur capacité théologale de se laisser atteindre par la contradiction entre sa parole et la division effective d'une chrétienté menacée par l'érosion et sur leur courage spirituel d'anticiper un avenir commun.
Les thèses de Fries-Rahner (les 8 thèses citées), reconsidérées sous cet angle plus large, ont une chance d'être à nouveau lues, comprises et reçues, la réponse relève d'un nouveau « kairos » offert par le Seigneur des temps à notre capacité de nous en saisir.