Combien sont-ils dans nos rues ? Quelles sont leur vie, leur avenir ? Ils sont visage du Christ, humilié, rejeté que l'on ne regarde pas
Quel regard avons-nous sur les personnes qui mendient à la porte des magasins, dans la rue ou à la porte des églises ? Et il y a ceux qui ne mendient pas.
À l’homélie de ce dimanche, je rappelai que des familles dorment dans la rue. N’ayant pas de quoi leur donner un logement, je n’ose pas leur parler. Travaillant toujours sur les textes de Geneviève Gleisner, je pense à celui-ci rédigé en décembre 2008 qui me parlent assurément des personnes envers qui nous avons plus de mal à reconnaitre la dignité, les Roms.
Rencontres
De semaine en semaine, je croise ce tout jeune homme assis sur le trottoir, le dos contre le mur, toujours à la même place. Par camionnette, déposé là depuis le matin, avec une majorité de femmes parfois accompagnées de jeunes enfants, ce qui permet en principe d'attirer davantage la compassion des passants.
Dans tous ces visages implorants, je découvre le visage du Christ livré et souffrant. D'où viennent-ils ? De Roumanie sûrement ? Qu'elle était leur vie là-bas, chez eux ? Où habitent-ils aujourd'hui et dans quelles conditions ? Sur un terrain squatté en bordure de grandes voies dans la boue et les ordures, sans doute. Il n'est que de voir l'état de ses chaussures !
Qui est-il ce jeune homme sur qui chaque semaine, je pose mon regard en lui adressant un « bonjour, comment t'appelles-tu ? » mais qui reste sans réponse, impassible à mon désir de relation. Me comprend-il ou fait-il semblant de ne pas comprendre ?
Serait-il uniquement conditionné pour tendre la main en implorant de ses tristes yeux bleus, sans vie ? Il est là, posé là pour récupérer quelques euros dont il devra sans doute rendre compte à la fin de la journée lorsque la camionnette viendra reprendre son « chargement ».
Quels sont ses véritables sentiments, souffre-t-il de son inactivité, du froid et de l'humidité ? Il attend sans bouger de son carton, sans broncher, sans la moindre révolte. A-t-il toutes ses facultés ? Je ne sais pas. Dans sa situation, que lui reste-t-il de sa dignité ? Homme-objet « déposé » là pour sa journée de « travail ».
Et combien sont-ils dans nos rues et nos couloirs de métro… des milliers ! Quelles sont leur vie, leurs désirs, leur avenir ? Ils sont visage du Christ, humilié, rejeté, visage du Christ que l'on ne regarde pas ou si peu.
Et je suis toujours mal à l'aise de le rencontrer. Si l'on peut parler de rencontre, car rien en lui ne réagit sinon son geste machinal de tendre son gobelet à la vue des passants qui ne s'arrêtent pas.
Je reviens du marché, il est midi. Je l'aperçois au loin. Il n'a pas bougé depuis ce matin. Je rentre avant à la boulangerie. Un jeune homme me suit de peu. J'achète mon pain et un pain au chocolat. Le jeune client derrière moi demande deux croissants « enveloppés séparément » précise-t-il à la vendeuse, pas fréquent, mais pourquoi pas? J'ai même failli lui dire en boutade, « c'est deux paquets cadeaux ! » Je ressors... quelques mètres et je tends le pain au chocolat à ce jeune mendiant dont je ne saurai pas le prénom. Il baisse les yeux sans rien dire, prend le pain au chocolat. Je lui dis « regarde-moi ? » et il lève la tête, enfin un signe !
Et pratiquement au même instant, à deux secondes d'intervalles, le jeune de la boulangerie lui tend aussi un croissant ! Les deux générations se regardent fraternellement et il me dit : « C'est incroyable ça, on a eu la même idée ! On aurait voulu le faire exprès qu'on n'aurait pas fait mieux. »
Puis, laissant là, hélas notre jeune roumain, toujours impassible, je l'aborde et nous conversons. « Moi, je travaille tous les jours à Soisy-sous-Montmorency, je ne rencontre pas beaucoup de pauvreté là-bas, la mendicité est interdite et réprimée. Je me mets à la place de ce jeune homme, Je sais qu'en restant là, il a plus besoin de se réchauffer et de manger que d'argent.
Dans notre vie d'aujourd'hui, il faut savoir garder son équilibre malgré ce qui va mal. Il ne faut pas réfléchir sur toutes ses situations difficiles car on ne connaît pas tous les problèmes et alors on ne fait plus rien.
Vous savez ce n'est pas beaucoup ce que j'ai fait là. Il n'y a rien d'héroïque, c'est normal. »
Ce jeune s'appelle Romain et il a 21 ans !
En la personne de Romain, je découvre le visage du Christ, serviteur de ses frères et je rends grâce.