La maturité œcuménique d’une communauté se trouve au carrefour de l’écoute stéréophonique de la voix de Dieu et un intérêt pour la foi d’une autre église

Publié le par Michel Durand

Commentaire du Chap XXI du « Courage de penser l’avenir » ChristophTheobald

Le regard de Bernard Floret

Cette page du blogue est à situer avec celle-ci.

Dans ce chapitre XXI Christoph Theobald nous invite à voir dans quelles conditions les Eglises tiennent une unification pour possible. C’est une relecture du Ch XXI du Courage de penser l’avenir en reprenant de larges extraits de l’auteur.

L’unification des églises n’est possible que si elle est fondée sur la foi. S’ajoute un principe selon lequel « un énoncé qui dans une Eglise particulière représente une doctrine particulière et celui d’obliger une Eglise particulière à confirmer celui d’une autre Eglise. » Ce recadrage nous invite à un discernement collectif des effets positifs et négatifs de nos héritages ecclésiologiques respectifs et dans le catholicisme romain de l’héritage grégorien.

Le diagnostic de Frees - Rainer de 1983 tente d’inscrire les conditions d’une possible réunification en inscrivant la logique œcuménique dans une conception pluridimensionnelle de la tradition. On distingue trois pôles :

  1. La référence ultime qui est l’Evangile ou ce qui est à transmettre. (tradendum)
  2. Ceux qui transmettent cette Evangile les chrétiens et leurs Eglises. (tradentes)
  3. Les destinataires, à savoir les femmes et les hommes de toutes les sociétés humaines

L’exhortation apostolique « Evangelii gaudium » milite pour la diversité théologale et pastorale. A la métaphore de la sphère (parfaitement adaptée à une ecclésiologie grégorienne, entièrement centralisée) celle du polyèdre (plus apte) signifie une vision  pastorale de l’unité catholique Il s’agit de repérer dans l’autre Eglise la concordance stylistique entre la forme et le fond, entre sa manière de vivre et sa référence évangélique.

Les chances d’une nouvelle avancée sont tributaires des conditions spirituelles de nos sociétés : on peut distinguer trois aspects :

  • L’individualisme contemporain, le pragmatisme et surtout, le pluralisme radical des convictions.
  • Chacun vit avec des fragments du réel. Dans ces interstices de non savoir s’installent toute sorte de pouvoir qui génèrent fake news, théorie du complot et un regain alarmant d’antisémitisme et de racisme.
  • Nos styles de vie sont marqués par cette rationalité même les religions et inversement les religions utilisent ces techniques avec leurs fidèles pour arrondir leur « part de marché » le risque est l’instrumentalisation des groupes politiques qui se servent de la religion en quête d’électeurs pour le bien vivre ensemble. Et inversement certains mouvements religieux font du lobbying auprès de ces groupes pour en faire leur bras séculier.

Les Eglises et leur gouvernance ne sont pas épargnées de tels fonctionnements cléricaux.

A cela s’ajoutent les obstacles à l’œcuménisme que l’on peut distinguer en trois points :

  1. La disparition pour un certain nombre de chrétiens de l’intérêt pour un rapprochement entre Eglises.
  2. L’habitude de notre civilisation post moderne à tout instrumentaliser a laissé le pouvoir de compter sur les élites politiques pour s’opposer à ce qu’on nomme la décadence.
  3. Les élites œcuméniques et leurs experts travaillent sur des processus longs, ce qui conduit la base soit à des ruptures soit à être menée par des attentes identitaires. (Conséquence du schisme vertical)

L’individualisme contemporain conduit à une réévaluation du sensus fidei fidelium comme capacité suscitée par l’Esprit de discerner ce qui vient réellement de Dieu.

Il faut consentir à une évaluation polyédrique qui se doit d’être vigilante de toute instrumentalisation externe ou interne.

Le déficit de crédibilité se concentre dans le schisme vertical. La prise de conscience de leur responsabilité baptismale des communautés et des Eglises particulières ; leur investissement dans une formation ajustée et leur ouverture diagonale auront pour effet de déplacer le curseur vers l’essentiel ou le nécessaire évangélique.

Ce qui nous sépare aujourd’hui c’est l’entrée effective du peuple de Dieu dans une vision pluridimensionnelle de notre Tradition commune. Elle s’enracine dans le sensus fidei  fidelium de tous les fidèles dans une écoute stéréophonique toujours référer à un même univers biblique et à « l’insondable richesse du Christ » qui l’habite. Ne vaut-il pas mieux situer la tradition œcuménique au sein de la vision messianique de notre tradition commune, à savoir par rapport à la proximité du Royaume de Dieu. Le modèle polyédrique est le mieux adapté à ces principes.

Une autre manière de décentrer le travail œcuménique se trouve en particulier sur l’impératif de la redécouverte commune « de la puissance de l’Evangile de Jésus-Christ pour notre époque » et « le témoignage commun de la grâce de Dieu par la proclamation  de l’Evangile pour notre époque »

C’est la mission et la présence messianique des chrétiens dans la société qui leur permettent de découvrir leurs charismes propres. Grâce à cet échange de « dons » leurs senus fidei fidelium s’affine toujours plus et s’enrichit de leur capacité d’expression, d’interprétation et de mise en œuvre de ce qu’ils entendent de l’Evangile du Règne de Dieu.

La fragilisation actuelle de l’ensemble des Eglises historiques représente un « kairos » pour entrer dans une nouvelle phase œcuménique :

La traversée, par le catholicisme romain, de la crise systémique de la pédocriminalité et des abus de conscience sur autrui le met en demeure de remettre au centre la pastoralité du ministère ordonné, en relativisant l’obligation du célibat en distinguant sa sacramentalité seconde par rapport au baptême d’une sacralisation indue et en l’inscrivant dans un exercice de la synodalité à tous les niveaux

Pour les Eglises orthodoxes affermir la légitime autocéphalie contre son instrumentalisation politique et d’engager une réflexion sur le lien entre les conciliait des Eglises patriarcales et un ultime recours.

Pour les Eglises protestantes le risque permanent de fragmentation avec l’émergence et la multiplication de nouvelles églises dans la sphère évangéliques les invite à mettre leur légitime fondement « charismatique » en relation avec un ministère à dimension transnationale voir universelle.

Ce kairos ouvre deux options :

La réception des conciles généraux du 2ème millénaire à partir des acquis ecclésiologiques des cinquante dernières années dans une perspective œcuménique -en s’entourant d’observateurs et l’aide d’experts et expertes de toute provenance professionnelle.

L’unité visible serait l’ecclésiologie négative « ni un retour à Rome, ni à Constantinople, ni une simple fédération. »

La maturité œcuménique d’une communauté se trouve au carrefour de l’écoute stéréophonique de la voix de Dieu et un intérêt pour la foi d’une autre église. Ce qui exige du discernement et l’hospitalité eucharistique réciproques et des célébrations communes.

Que nous est-il permit d’espérer : il est bon de rappeler que l’apôtre Paul fait appel à un genre de radicalité de l’espérance : « L’espérance contre toute espérance » (Rm 4,18)

 

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