Philippe : « Notre peuple est loin de l'Eglise. Il nous faut marcher à son pas, partager ses risques, ses espoirs, ses triomphes »

Publié le par Michel Durand

Philippe : « Notre peuple est loin de l'Eglise. Il nous faut marcher à son pas, partager ses risques, ses espoirs, ses triomphes »

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Philippe Plantevin

1* mai 1936 - 16 juin 2025

mission de france

 

 

« Nous portons un feu, nous sommes brûlés par Quelqu'un, un Homme de chair qui nous fait aimer tout homme de chair et surtout les "humiliés" et il y en a beaucoup : il nous rappelle l'humilité de la Croix. »

Philippe Plantevin, 1979.

 

 

Philippe, est né le 1er mai 1936 à Thueyts, dans « l'Ardèche de l'huile ». Ardéchois au cœur fidèle et au sourire légendaire, il est le second d'une fratrie de neuf enfants. Son père est directeur d'une usine de tissage. Dès neuf ans il fait l'expérience de l'internat qu'il vit avec un côté frondeur. Après une scolarité chez les Salésiens puis chez les jésuites à Lyon, il entre en 1954 au séminaire Saint Sulpice à Issy-les-Moulineaux (92), en suivant les pas d'un de ses cousins. A l'âge de 20 ans, il est mobilisé pour la guerre et part en Algérie. Pendant plus de deux ans, il connaît la vie des postes avancés en montagne et se lie d'amitié avec des appelés Algériens. Il est bouleversé par ce qu'il vit : « J'y suis parti séminariste candide, j'en suis revenu meurtri, hébété puis converti : l'Évangile me parlait pour la première fois très gravement des hommes : de leur soif, de leur faim de leur destinée, de leurs péchés ». Sa vocation s'affermit : « C'est Lui [le Christ] qui m'a terrassé au retour d'Algérie, un peu comme Paul au chemin de Damas. L'Esprit m'a guidé, je le pense, à la Mission de France. Je voulais être prêtre-ouvrier dans le bâtiment et les travaux publics, non pas tant au départ pour la classe ouvrière, mais pour rejoindre ce peuple des petits qui m'avait ouvert les yeux sur la condition humaine, et continuer avec eux une marche selon cet Évangile. Bonne nouvelle en priorité pour eux ». Jamais pleinement effacé, le traumatisme de la guerre d'Algérie continue à l'habiter. Il ne cesse de faire l'expérience d'être lui-même une gueule cassée, empli de doutes, ce qui n'est sûrement pas pour rien dans son immense attention aux plus petits.

Philippe rejoint alors en 1960 le séminaire de la Mission de France à Pontigny (89) avec « l’option ouvrière ». Il est ordonné prêtre le 26 avril 1964 à l'abbatiale de Pontigny par le Cardinal Liénart. Il est envoyé comme prêtre ouvrier à Vénissieux (69) où il travaille dans le bâtiment (peintre, vitrier, maçon, ...) tout en étant nommé à la paroisse de Vénissieux-centre : « Quatre années passionnantes bourrées de vie, d’amitié entre prêtres et avec des chrétiens, des communistes, des arabes, des voyous, des mémés... Mais j'ai gardé toujours cet appel au coude à coude, au quotidien dans le travail ». Il fait équipe, avec notamment, Jacques Pelletier, Norbert Guillot, René Coulaud, Raymond Boutefeux, rejoints par André Laforge et Paul Deladeuille.

En 1972, Philippe intègre une des deux équipes de prêtres ouvriers présents dans les travaux publics avec André Bousquié, Michel Claude, Charlie Genoud. Il devient conducteur de pompe à béton et participe d'abord à la construction du port de Marseille à Fos-sur-Mer (13), puis en 1975 à celle de la centrale du Blayais en Gironde. Victime d'un accident sur un chantier, il perd un œil. « Dès le départ nous avons connu l'anonymat, la simple présence inutile dans ce monde marqué par l'absence de Dieu et l'indifférence à l’Eglise, et c'est comme un désert que nous avons traversé. Après maintenant sept ans de cette vie, notre foi a évolué et notre conviction s'est fortifiée que nous devions être là. On y parle fort, on étale peu de sentiments ; ce sont des amitiés en grosse moustache, à la poignée de main redoutable, mais qui cache une grande soif de tendresse ». Philippe y affermit la compréhension du ministère: « Notre peuple est loin de l'Eglise. Il nous faut marcher à son pas, partager ses risques, ses espoirs, ses triomphes. Le travail que je fais ne détériore en rien le prêtre que je suis : sauf, bien sûr, pour ceux qui gardent une image unique et figée du prêtre. Mais il faudrait bien que ces chrétiens s'habituent doucement, au titre de leur propre mission, à avoir quelques-uns de leurs prêtres gaspillés pour le don gratuit de Dieu, pour l'Évangile de Jésus-Christ offert à tous les hommes ». Il essaie de « repérer les routes humaines qui pourraient devenir un jour route d'Emmaüs ». Ordonné au ministère de la Parole, il pose avant tout des actes où s'expriment la solidarité. « Notre ministère de la parole s'exprime parfois dans des silences quand souffle le vent du désespoir, du racisme, de la haine et que notre foi nous interdit de hurler avec les loups. Il nous faut risquer une parole, et les mots que nous prononçons alors sont des lampes posées au creux de l'hiver, que [certains] recueillent au creux de leurs mains, parce que cette parole issue de l'Évangile trouve un écho au plus profond de leur conscience d'homme. C’est dans cette imprudence de la Parole de Dieu, semée aux sillons des paroles humaines, que pourra naître un langage vrai de la foi, inscrivant dans notre histoire la bonne nouvelle de Jésus-Christ ».

En 1980 Philippe est nommé supérieur du séminaire de la Mission de France. Il gardera le souvenir de quatre années difficiles où il sera exposé à des conflits institutionnels qui le dépassent. Il saura être, malgré tout, passeur de générations pour l'avenir de la Mission. A la même époque il accepte la responsabilité de deux jeunes confiés par DASS. En 1985 Philippe est à l'origine de la création du foyer des marins de Port-de-Bouc qui accueille les marins étrangers de passage. Le monde entier s'y croise ! « C'est pour être témoins des questions des hommes, de leur dépassement ou de leur conversion que nous nous entretenons avec eux en chemin, partageant leur vie, leurs amours et leurs peines, car nous sommes ordonnés à l'humanité et au plus humain de l'humanité ». Il est alors en équipe de la Mission de la Mer avec Ambroise Boucherie, Roland Doriol, Hervé Bienfait, Jacques Brosset, René Tanguy et Jacques Pelletier. À la retraite en 2000 il continue comme bénévole sa présence au foyer des marins. Il fait partie de l'équipe Mission de France des Deux-Rives, avec Jean-Yves Constantin, André Brager, Antoinette Filippi, Jean-Paul Havard, Michaël et Claire Salce. Il est délégué diocésain aux migrants et réfugiés, et chargé des relations avec l'Islam, en vivant à la cité des Pins à Vitrolles (13). En 2006 il accepte d'être envoyé sur le secteur pastoral de Saint Fons-Feyzin (69), non sans nostalgie du monde de la mer : « Je tâtonne aux murs et aux portes de l'Eglise établie dans les paroisses ». Il retrouve le fil rouge de sa vie de prêtre, « l'immigré et le voyageur », en s'engageant dans le collectif Roms de Lyon. « Avec les Roms, je prends un grand bol d'air frais. Je ne résous pas les problèmes mais on est ensemble autour d'un grand feu de palettes, et on regarde le ciel pour la météo et aussi pour Dieu, et on fait le signe de la croix, et les enfants rient en essayant le signe de la croix, et nous aussi on rit ! Rom, ça veut dire l'Homme, tout un programme pour nous, ordonnés à l’humanité ! En tout cas, ça s'accorde très bien avec la parole de Dieu qui nous vient du fin fond de la Bible : " Tu ne maltraiteras pas l'immigré qui réside chez toi ... ".Des immigrés, des réfugiés, des exclus il y en aura sans doute longtemps. Ce sont eux qui me font dresser l'oreille à la parole de Dieu ».

Philippe participe aussi à la pastorale des gens du voyage et s'investit avec la Ligue des Droits de l'Homme, Médecins du Monde, le Secours populaire et la Coordination Urgence migrants (CUM) où il lie de belles amitiés. Il est en équipe notamment avec Jacques Purpan, Gabriel et Madeleine Debilly, Pascale Arfeux, Franck Bettendorff, Gérard et Marie-Claude Rongier. Il entretient une belle complicité presbytérale avec Jean-Marc Galau et Guillaume Roudier, comme avec Philippe Deterre, Bruno Régis et Anton Kitanov-Doutreleau, dernier ordonné en 2024. En 2022 il a dû renoncer à vivre à la cité de l'Arsenal à St Fons pour entrer en foyer logement à Vénissieux. Il y continue, avec les résidents, « l'être avec » qui a été structurant de toute sa vie. Les « cousines de la Mission de France » depuis 50 ans, Gisèle et Monique Vinamand, sont pour lui un appui précieux. Il est « passeur de génération » au milieu de celles et ceux avec qui il fait désormais équipe dans l'agglomération lyonnaise. Au cours de ces derniers mois, l'état de Philippe se dégrade et il est de plus en plus affaibli. Après plusieurs jours d'hospitalisation, il entre en EHPAD en mai 2025. Sa famille, ses amis et les membres des équipes Mission de France de Lyon et de la Région se rendent très présents à ses côtés.

Amoureux de l'abbatiale de Pontigny, il aimait, dans le silence du « bateau blanc », se prostrer sur les dalles, comme au jour de son ordination. Laissons-le, nous redire ce qu'il avait formulé en juillet 2005 : « Hier soir, dans cette abbatiale que j'aime, belle et pure, je marchais avec ma petite loupiotte allumée et je chantais inlassablement comme une ritournelle de marcheur : “dans nos obscurités allume le feu qui ne s’éteint jamais ... ”. Je pensais aux compagnons d'Emmaüs sur le chemin ; comme eux, avec mes doutes et mes misères plein la tête, j'avais quand même le cœur tout brûlant et je vous regardais tous en me disant : ça, c'est pas des rigolos ! Ce sont tous et toutes des "brûlants" prenant le relais d'autres "brûlants" ! »

Philippe s'en est allé, avec son sourire et sa bonté, sur la route avec Dieu. Il est parti sans sa valise de chantier mais en confiance et en fidélité, une fois encore, à cet appel entendu et gravé, avec son canif à deux lames, dans la cour de récréation de ses 12 ans : « VSM: Viens, Suis-moi » ! Ses obsèques seront célébrées à l'église du Père Chevrier, 5 avenue Aristide Briand à St Fons (69), le lundi 23 juin 2025 à 13h30. L’inhumation aura lieu au lieu au cimetière de Vénissieux le même jour à 16h15. Nous nous associons, dans la Foi et l'Espérance qui l'animaient, à la peine de sa famille, des membres de la Mission de France et de ses amis.

 

L'équipe épiscopale Mission de France

 

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