Travail (negotium) et Vie (otium)
Comme je l'ai indiqué précédemment, dans cette catégorie "anthropologie", je donne diverses réflexions sur le sens, ou non sens, du travail.
Textes qui me semblent d'une grande importance alors qu'on veut augmenter la durée du travail salarié tout en critiquant "mai 68".
Cette semaine, je vous propose la réflexion de Paul Moreau. Paul Moreau, philosophe, se présente lui-même au début de son intervention. Celle-ci fut donnée au cours du Colloque "travail et temps libre" organisé par L'Association Confluences.

Cette semaine, je vous propose la réflexion de Paul Moreau. Paul Moreau, philosophe, se présente lui-même au début de son intervention. Celle-ci fut donnée au cours du Colloque "travail et temps libre" organisé par L'Association Confluences.
Intervention de Mr. Paul Moreau

Dans les bulletins de Confluences j’avais été surpris par le caractère audacieux de la façon dont était
posée la question du temps et du temps libre et même je peux dire que je me reconnaissais, me reconnais très globalement dans les propos qui sont habituellement tenus dans l’Association. Donc je
suis très heureux de participer aujourd’hui à cette rencontre.
En tant que philosophe, j’enseigne à la Faculté de Droit des Sciences Economiques et Sociales et spécialement à
l’Institut des Sciences de la Famille. Je ne dirai sans doute pas beaucoup plus que ce que vient de dire Michel Durand. Peut-être reprendrai-je tel ou tel point, préciserai-je tel ou tel concept.
Je crois que sur l’essentiel je suis d’accord avec la perspective qui est celle de la recherche d’une nouvelle sagesse à partir d’une entreprise paradoxale qui consiste à chercher un sens
véritablement positif aux loisirs et notamment à partir d’un fait historique dont il ne m’appartient pas de dire s’il est ou non inéluctable, mais qui est constaté par les spécialistes : la
raréfaction du travail, raréfaction qui, nous le savons, est un véritable drame habituellement dans la société et pour une raison sur laquelle je reviendrai, c’est que, de fait, l’emploi est
encore un des moyens les plus sûrs d’insertion sociale ; et donc notre objectif ici c ‘est de chercher si à partir de ce fait on peut explorer les voies pour que la vie sociale puisse être
repensée, au-delà de la logique du travail, dans celle du loisir. J’ai prévu quelques points que je présente de façon successive et quand même organique, mais sans pouvoir - et ce n ‘est pas le
but bien sûr - vous proposer un exposé systématique. Il y aura beaucoup de questions encore, bien sûr, heureusement.
1. Travail et vie
Pourquoi travailler ? On entend, on connaît la formule : il faut travailler pour vivre. C’est ce que l’on dit habituellement, notamment aux enfants lorsqu’ils vont à l’école. D’abord on leur dit : tu dois bien travailler à l’école pour avoir ensuite un travail professionnel, parce qu’il faut bien avoir une profession pour vivre ; ce qui, au passage, j’y reviendrai, fait qu’à l’école on oublie de nous apprendre à vivre. D’ailleurs je vais y revenir tout de suite : si le travail est un moyen de vivre selon le bon sens le plus élémentaire, cela signifie que la seule fin qui soit digne de l’homme, c’est la vie. Donc on dira : nul ne saurait vivre sans travailler, ou bien sans qu’autrui ne travaille pour lui. Je rappelle qu’il n’y a pas si longtemps il était entendu que des hommes pouvaient vivre sans travailler parce que d’autres travaillaient pour eux. C’était le temps de l’esclavage, c’était, disons, le temps de l’ancien régime, le temps de la domesticité. Aujourd’hui il y a encore des gens pour qui l’on travaille et ceci est assez bien intégré dans la société. Ce sont les retraités, il faut le dire. Les retraités ne travaillent plus, on travaille pour eux. Ce sont les enfants, les adolescents, les jeunes gens qui ne travaillent pas ; on travaille pour eux et, ma foi, on trouve que cela est tout à fait normal. Puis, bien sûr, malheureusement, il y a ceux pour qui on travaille, qui vivent encore tout de même, ils n’en meurent pas : ce sont les chômeurs. Donc la question qui se pose est s’il faut travailler pour vivre ; si le travail est un moyen, alors le travail n’est pas la vraie vie. Là c’est un constat que l’on peut faire assez facilement dans ce que Marx appelait au XIXème siècle le travail aliéné. Il est évident que le travailleur, les travailleurs de ce temps, beaucoup de travailleurs aujourd’hui ne vivent pas véritablement tandis qu’ils travaillent. C’est comme si la vraie vie se réfugiait dans des activités privées. Dans un autre texte, Marx faisait voir que le travailleur moderne n’a de capacité de vivre vraiment qu’à la maison, dans la vie familiale et dans des activités que Marx considérait, à tort ou à raison, comme de moindre importance que les activités publiques. Donc le fait est que pendant que l’on travaille, on ne vit pas. Donc de ce point de vue-là, l’activité laborieuse qui constitue une des parties importantes de l’activité publique est disqualifiée.
1. Travail et vie
Pourquoi travailler ? On entend, on connaît la formule : il faut travailler pour vivre. C’est ce que l’on dit habituellement, notamment aux enfants lorsqu’ils vont à l’école. D’abord on leur dit : tu dois bien travailler à l’école pour avoir ensuite un travail professionnel, parce qu’il faut bien avoir une profession pour vivre ; ce qui, au passage, j’y reviendrai, fait qu’à l’école on oublie de nous apprendre à vivre. D’ailleurs je vais y revenir tout de suite : si le travail est un moyen de vivre selon le bon sens le plus élémentaire, cela signifie que la seule fin qui soit digne de l’homme, c’est la vie. Donc on dira : nul ne saurait vivre sans travailler, ou bien sans qu’autrui ne travaille pour lui. Je rappelle qu’il n’y a pas si longtemps il était entendu que des hommes pouvaient vivre sans travailler parce que d’autres travaillaient pour eux. C’était le temps de l’esclavage, c’était, disons, le temps de l’ancien régime, le temps de la domesticité. Aujourd’hui il y a encore des gens pour qui l’on travaille et ceci est assez bien intégré dans la société. Ce sont les retraités, il faut le dire. Les retraités ne travaillent plus, on travaille pour eux. Ce sont les enfants, les adolescents, les jeunes gens qui ne travaillent pas ; on travaille pour eux et, ma foi, on trouve que cela est tout à fait normal. Puis, bien sûr, malheureusement, il y a ceux pour qui on travaille, qui vivent encore tout de même, ils n’en meurent pas : ce sont les chômeurs. Donc la question qui se pose est s’il faut travailler pour vivre ; si le travail est un moyen, alors le travail n’est pas la vraie vie. Là c’est un constat que l’on peut faire assez facilement dans ce que Marx appelait au XIXème siècle le travail aliéné. Il est évident que le travailleur, les travailleurs de ce temps, beaucoup de travailleurs aujourd’hui ne vivent pas véritablement tandis qu’ils travaillent. C’est comme si la vraie vie se réfugiait dans des activités privées. Dans un autre texte, Marx faisait voir que le travailleur moderne n’a de capacité de vivre vraiment qu’à la maison, dans la vie familiale et dans des activités que Marx considérait, à tort ou à raison, comme de moindre importance que les activités publiques. Donc le fait est que pendant que l’on travaille, on ne vit pas. Donc de ce point de vue-là, l’activité laborieuse qui constitue une des parties importantes de l’activité publique est disqualifiée.