Je suis musulman
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Dans le cadre des réflexions publiées sur ce blogue à propos des relations chrétiens et musulmans, Occident et Orient, il me semble que ce texte, remis par Robert Beauvery, se présente au bon moment. En le lisant, je me suis rappelé l'attitude d'un algérien du quartier, une connaissance due à mes conversations avec quelques SDF, venu à un office eucharistique pour penser à son ami mort récemment. Il se prosterna front contre le sol au moment de la consécration ; signe, m'expliqua-t-il, de la présence de Dieu qui l'unissait à son ami défunt.
Les musulmans entrent dans nos chapelles d'hôpital, des centres de pèlerinage, des églises ouvertes...
Certains y allument un cierge de dévotion et, plus rarement, écrivent sur le cahier, comme l'auteur de ces lignes :
"MON SEIGNEUR, JE SAIS QUE JE N'AI PAS LA MEME RELIGION, MAIS FAITES QUE DIEU ME PARDONNE POUR CE QUE J'AI FAIT COMME BETISES ET FAIT QUE ALLAH SOIT TOUJOURS AVEC MOI. CAR JE SAIS QUE JE SUIS MUSULMAN, MAIS C'EST PAREIL, ON N'A QU'UN SEUL DIEU."
1. Analyse
Un homme dont la maîtrise de la langue française, sans être parfaite, est bonne quant à la translation écrite des sentiments intérieurs : il s'exprime bien, malgré certaines variations du pluriel au singulier : du vouvoiement ou tutoiement quand il s'adresse au Seigneur ; malgré certaines imprécisions quant au jeu de rapport entre le Seigneur et Allah. Un homme de religion musulmane : il sait qu'il n'est pas catholique et, en même temps, il ne se sent pas totalement étranger dans ce lieu consacré à Dieu.
Sa posture est originale. À la différence de beaucoup d'autres, probablement enracinés peu ou prou dans la tradition catholique, qui adressent directement leur prière aux saints par exemple : une maman, Danièle, qui écrit sur le cahier : «Vierge, saints, archanges, intercédés (sic) pour moi et pour mon fils» ; ou quelques-uns qui en appellent à l'aide de la prière des prêtres, des religieuses... lui, musulman, s'adresse immédiatement au seul et unique Dieu, à l'aide de plusieurs vocables synonymes : Seigneur, Dieu, Allah, sans recourir à quelconque intercesseur que ce soit, alors que certains de ses coreligionnaires peuvent s'adresser à la mère de Jésus, la Vierge Marie.
Dès l'entame de la prière, le premier vocable utilisé SEIGNEUR est déterminé par l'adjectif possessif, utilisé à la première personne: MON... MON SEIGNEUR ! ce qui laisse clairement entrevoir une relation personnelle entre l'auteur, croyant, et Dieu qui est le SIEN et il le demeure jusques et y compris dans un lieu qui n'est pas une mosquée, mais une église catholique.
Sans aucune confusion religieuse, sans aucun syncrétisme confessionnel, l'auteur est et demeure musulman, certes ! et, en même temps, au-delà de cette identité prégnante, il s'ouvre spécialement à tous ceux, d'autres confessions, qui partagent la même foi monothéiste que lui.
A la différence de beaucoup d'autres qui demandent aides et protections devant tous les aléas de la vie quotidienne : gîte, travail, affection, santé, réussites, bonheur, etc.. ce qui est déjà éminemment respectable ! lui, demande des réalités spirituelles que Dieu seul peut donner : le pardon pour les bêtises commises, et la présence de Dieu, avec lui, toujours... comme le ferait un croyant qui assume un itinéraire de recherche de sainteté à travers ses chutes... pardonnées, et le recours à l'accompagnement de Dieu dans la vie de chaque jour.
Toute pause-église n'est pas systématiquement assortie d'une rentrée en soi-même, chez tous les individus. Il faut encore choisir librement de s'asseoir au fond de la conscience personnelle et
écouter sa voix.
Si toute rentrée en soi-même marque en vérité l'itinéraire du sujet, elle ne laisse pas de trace à la disposition des autres ; il faut, encore, qu'elle soit communiquée et, entre autres, par une
écriture, un témoignage sur le cahier, lui, ouvert à tous.
En l'occurrence, l'homme qui nous retient, a fait une pause-église, et est rentré en lui-même, il a écouté la voix de sa conscience, et, par écrit, il nous laisse son précieux témoignage. Sans
doute, cet homme connaît dans le déroulement de la vie des pauses, des entrées en soi-même, face à la conscience, dont il écoute la voix de Dieu... pour faire le point : c'est un croyant en
marche.
Cependant aujourd'hui, celle qui nous retient, devient SIGNE... de liberté manifestée par une entrée dans un lieu prière catholique, par la décision d'utiliser le cahier, d'y laisser le
témoignage d'un homme pécheur, attaché à Dieu dont il attend le pardon et la présence providentielle de liberté intérieure manifestée par la confiance fuite, à priori, aux autres croyants, de
confession différente, qui recevront son témoignage... UN SIGNE de liberté interreligieuse.
2. DISCERNEMENT
1. La fréquentation des lieux de culte par des musulmans est un phénomène relativement récent et, semble-t-il, en progression numérique, qui confirme que les « nombreuses dissensions et inimitiés
entre chrétiens et musulmans, dans le passé » tendent à être oubliées pour laisser place « à la compréhension mutuelle » Cf. La déclaration conciliaire « NOSTRA AETATE », sur les relations avec
les religions non chrétiennes, n° 3.
2. Ce qu'ils écrivent sur le cahier, et, tout spécialement, le témoignage qui nous retient, manifeste leur estime de la vie morale, cf. ibi., ils cherchent à se soumettre de toute leur âme aux
décrets de Dieu, même s'ils sont cachés, comme s'est soumis à Dieu Abraham, auquel la foi islamique se réfère volontiers.
3. Le musulman qui a pris cette liberté de s'exprimer avec l'engagement et la profondeur du témoignage, dit implicitement l'estime qu'il porte aux chrétiens. En réponse, on peut lui dire: « que
l'Église regarde avec estime les musulmans qui adorent le Dieu UN, VIVANT, SUBSISTANT, MISERICORDIEUX ... cf ibi. , n°3.
3. PERSPECTIVES PASTORALES
Les grands projets d'évangélisation de la ville, étudiés aujourd'hui dans la plupart des cités importantes de la région, auraient certainement intérêt à avoir recours aux informations contenues
dans les cahiers parce qu'ils sont écrits par des citoyens de tout horizon, de tout quartier, de toute condition, sociale, culturelle, morale, spirituelle... écrits comme des cris du cœur, de
l'âme confiés à d'autres, voire à UN AUTRE.
Ces cahiers ne constituent pas des réseaux, au sens sociologique du terme, mais des SITES de communications, d'aspirations authentiquement humaines.
Robert Beauvery.