Les moteurs des pays riches se retrouvent soudains en concurrence avec les ventres des pays pauvres
Jean-Baptiste Ruelle, rencontré sur internet, publie le texte ci-dessous que je trouve utile pour éclairer le poids des révoltes que connaissent
les pays tiraillés par la faim. L'incapacité des pays riches à établir un juste commerce ne fait que pousser les révoltés à venir chez eux. Je relis ces évènements récents (voir ce blogue au 17/04/08) en me disant que la
décroissance économique des pays industrialisés ne peut que servir la sortie des autres de la misère et de la faim.
Avec le pétrole installé au-dessus des 100 dollars le baril, les partisans des biocarburants bénéficient d'une conjoncture très favorable pour faire progresser leur cause. Les initiatives fleurissent un peu partout, l'Amérique et l'Europe rivalisant de volontarisme pour faire de ces biocarburants (qu'il faudrait en fait appeler agro-carburants pour éviter toute confusion) une piste crédible pour réduire notre dépendance au méchant pétrole fossile.
Je ne rentrerai pas dans la virulente (mais très technique) polémique sur le bilan énergétique des biocarburants dont certains affirment qu'il est globalement négatif (ce qui serait un comble). Les biocarburants sont aussi accusés d'être le cheval de Troie des OGM (qui deviendraient de ce fait acceptables, puisque non-destinés à la consommation humaine). Il y a aussi le débat (à la mode mais récent et discutable) sur les possibles bienfaits des biocarburants contre le réchauffement climatique.
Cependant, tout cela parait un peu dérisoire, tant les vrais enjeux sont ailleurs. En effet, la très probable montée en puissance des biocarburants va avoir un impact fantastique sur l'économie mondiale dans les années qui viennent.
Pour comprendre les forces en jeu, il faut d'abord faire un petit tour par nos assiettes. On a beau s'empiffrer, chacun a une capacité d'absorption somme toute limitée. De fait, la demande en produits alimentaires est donc inélastique.
Cette particularité a eu une conséquence importante sur le secteur agro-alimentaire. Lorsque les rendements agricoles se sont envolés en Europe dans les années 70, on s'est rapidement trouvé avec des surplus qu'on ne pouvait plus écouler sur nos marchés domestiques (les Etats-Unis ont été confrontés encore plus tôt au même problème).
Face à cette demande inélastique, l'industrie agricole s'est donc tournée vers l'exportation. Ces énormes surplus ont nourri une baisse tendancielle des prix sur les marchés mondiaux. Dans les années 80, il a donc fallu lourdement subventionner les agriculteurs (via la PAC en Europe) pour compenser les prix trop bas, ce qui était assez paradoxale pour une industrie qui s'était par ailleurs illustrée par des gains de productivité époustouflants.
Depuis les années 2000, le décor a radicalement changé. La population mondiale s'est fortement accrue, mettant sous pression une révolution verte qui tend aussi à s'épuiser (notamment à cause de problèmes hydriques). En conséquence, les cours des matières premières agricoles explosent, à la plus grande joie des agriculteurs européens.
Et voilà qu'en parallèle, grâce à la divine montée du baril de brut, les biocarburants deviennent enfin rentables. La tentation est forte de spécialiser une partie de ces terres cultivables vers ce nouvel eldorado. Emmené par le Brésil et l'Indonésie, on assiste à la ruée des pays du sud (où par ailleurs les rendements des biocarburants y sont de loin les meilleurs) en mal de devises vers ce nouvel or vert.
Ce redéploiement accéléré vers une production non alimentaire va nourrir mécaniquement les tensions sur les prix des matières premières agricoles. Pour faire court. les moteurs des pays riches se retrouvent soudains en concurrence avec les ventres des pays pauvres. Vu les forces en présence. il n'y a besoin d'être très clairvoyant pour imaginer qui aura la part du lion.
Pour l'Europe et les Etats-Unis, cette redistribution des cartes procure une double aubaine irrésistible. Non seulement ils diversifient leurs approvisionnements en carburants, en limitant leurs achats de pétrole fossile à des régimes hostiles. Mais en plus, de par leur production alimentaire structurellement excédentaire, ils sont les grands bénéficiaires de la montée des prix agricoles. Face à de telles opportunités stratégico-économiques, il est à craindre que les considérations humanitaires ne pèsent pas lourds dans la balance.
Les biocarburants, moteur de la faim ? : le Blog de Jean-Baptiste Rudelle
Les biocarburants, moteur de la faim?
5 mars 2008
Avec le pétrole installé au-dessus des 100 dollars le baril, les partisans des biocarburants bénéficient d'une conjoncture très favorable pour faire progresser leur cause. Les initiatives fleurissent un peu partout, l'Amérique et l'Europe rivalisant de volontarisme pour faire de ces biocarburants (qu'il faudrait en fait appeler agro-carburants pour éviter toute confusion) une piste crédible pour réduire notre dépendance au méchant pétrole fossile.
Je ne rentrerai pas dans la virulente (mais très technique) polémique sur le bilan énergétique des biocarburants dont certains affirment qu'il est globalement négatif (ce qui serait un comble). Les biocarburants sont aussi accusés d'être le cheval de Troie des OGM (qui deviendraient de ce fait acceptables, puisque non-destinés à la consommation humaine). Il y a aussi le débat (à la mode mais récent et discutable) sur les possibles bienfaits des biocarburants contre le réchauffement climatique.
Cependant, tout cela parait un peu dérisoire, tant les vrais enjeux sont ailleurs. En effet, la très probable montée en puissance des biocarburants va avoir un impact fantastique sur l'économie mondiale dans les années qui viennent.
Pour comprendre les forces en jeu, il faut d'abord faire un petit tour par nos assiettes. On a beau s'empiffrer, chacun a une capacité d'absorption somme toute limitée. De fait, la demande en produits alimentaires est donc inélastique.
Cette particularité a eu une conséquence importante sur le secteur agro-alimentaire. Lorsque les rendements agricoles se sont envolés en Europe dans les années 70, on s'est rapidement trouvé avec des surplus qu'on ne pouvait plus écouler sur nos marchés domestiques (les Etats-Unis ont été confrontés encore plus tôt au même problème).
Face à cette demande inélastique, l'industrie agricole s'est donc tournée vers l'exportation. Ces énormes surplus ont nourri une baisse tendancielle des prix sur les marchés mondiaux. Dans les années 80, il a donc fallu lourdement subventionner les agriculteurs (via la PAC en Europe) pour compenser les prix trop bas, ce qui était assez paradoxale pour une industrie qui s'était par ailleurs illustrée par des gains de productivité époustouflants.
Depuis les années 2000, le décor a radicalement changé. La population mondiale s'est fortement accrue, mettant sous pression une révolution verte qui tend aussi à s'épuiser (notamment à cause de problèmes hydriques). En conséquence, les cours des matières premières agricoles explosent, à la plus grande joie des agriculteurs européens.
Et voilà qu'en parallèle, grâce à la divine montée du baril de brut, les biocarburants deviennent enfin rentables. La tentation est forte de spécialiser une partie de ces terres cultivables vers ce nouvel eldorado. Emmené par le Brésil et l'Indonésie, on assiste à la ruée des pays du sud (où par ailleurs les rendements des biocarburants y sont de loin les meilleurs) en mal de devises vers ce nouvel or vert.
Ce redéploiement accéléré vers une production non alimentaire va nourrir mécaniquement les tensions sur les prix des matières premières agricoles. Pour faire court. les moteurs des pays riches se retrouvent soudains en concurrence avec les ventres des pays pauvres. Vu les forces en présence. il n'y a besoin d'être très clairvoyant pour imaginer qui aura la part du lion.
Pour l'Europe et les Etats-Unis, cette redistribution des cartes procure une double aubaine irrésistible. Non seulement ils diversifient leurs approvisionnements en carburants, en limitant leurs achats de pétrole fossile à des régimes hostiles. Mais en plus, de par leur production alimentaire structurellement excédentaire, ils sont les grands bénéficiaires de la montée des prix agricoles. Face à de telles opportunités stratégico-économiques, il est à craindre que les considérations humanitaires ne pèsent pas lourds dans la balance.
Les biocarburants, moteur de la faim ? : le Blog de Jean-Baptiste Rudelle