7- Le regard porté sur l'œuvre actuelle et l'artiste
colloque : l'homme dans l'art actuel, lieu de la révélation, octobre 2003.
On est parfois surpris, voire choqué par les œuvres d'aujourd'hui. Le dialogue ébauché par Brownstone et Mgr Rouet en a interrogé plus d'un, a suscité des réactions très vives. On est dans une période nouvelle par rapport à celle que l'on a pu connaître jusqu'il y encore quelques décennies où l'art était un art de commande, un art illustratif. Maintenant on est face à un art de témoignage. L'artiste ne passe plus par une commande faite par un mécène ou par l'église.
Beaucoup d'œuvres nous déroutent, quel rapport a-t-on à cette œuvre ? On est choqué, on est outré. Première réaction, on fuit. Avons-nous pris le temps de nous demander ce que l'artiste est en train de nous dire. Je suis face à un témoignage. Il y a tout l'engagement de l'artiste : son œuvre est le reflet de la société dont nous faisons partie. Le Pape a parlé dans sa lettre de 1999 de prophète, terme repris plusieurs fois.
L'artiste doit être un éveilleur. Quand on est devant une œuvre violente : des os avec encore des amas de chair dessus, de cadavres enveloppés dans un linceul, on est révolté, on n'éprouve aucune émotion esthétique, on ne ressent pas un bonheur comme lorsque l'on est face à une œuvre plus classique, mais nous sommes animés d'un mouvement de répulsion.
En fait l'artiste ne signifie-t-il pas quelque chose du milieu dans lequel nous habitons, et n'est-il pas en train de nous montrer quelque chose que nous voyons tous les soirs à la T.V. au journal de 20 heures ? L'horreur, nous avons l'horreur tous les soirs et nous sommes totalement anesthésiés face à cette douleur qui nous est présentée. L'artiste qui nous renvoie ce que nous voyons tous les jours nous fait réagir. Il a gagné : il y a un message qui est en train de passer.
A la T.V..., il y a une fascination morbide face à ce que l'on nous montre : des cadavres décomposés. Les statistiques montrent que les trois quarts des Français dînent face à la T.V, l'horreur est rentrée dans le quotidien et on ne réagit plus.
Par contre l'artiste quand il nous montre des œuvres dans lesquelles on voit le corps martyrisé, le corps souffrant, le corps défiguré, il dit quelque chose de notre société. Il a le rôle du prophète, de l'éveilleur: réveillez-vous, cela ne va pas dans notre société. Il est naturel que nous ayons un mouvement de répulsion, mais ne fuyons pas, écoutons ce qu'il nous dit, ce qu'il nous montre. Laissons-nous interpeller.
Les artistes alors poussent un cri, protestent.
Quand Picasso expose en 1937, à l'Exposition de Paris, Guernica, Manessier l'évoque dans un de ses souvenirs, dans le pavillon de l'Espagne à l'ombre de celui de l'Allemagne nazie et du pavillon soviétique, Picasso proteste. Manessier va être marqué tout au long de son œuvre par les passions vécues des hommes de notre temps. Quand il peint un tableau de 4 mètres de long sur 2 mètres de haut sur le procès de Burgos en 1991, l'un des derniers procès de l'Espagne franquiste alors que les juges ont le crucifix sur le mur, ce tableau rouge et noir d'une violence extrême, c'est un cri. Un cri de peintre. Manessier dit que pour qu'un cri s'entende, il faut qu'il soit fort et il fait donc un tableau de 4 mètres sur 2.
Le tableau est une œuvre dans laquelle on ne rentre pas immédiatement c'est un cri d'indignation. Les artistes sont, pour reprendre l'expression de Gilbert Brownstone dans La Chair et Dieu, le porte-parole de l'humanité.
En tant que chrétien quand on lit l'Evangile, à toutes les pages que voit-on ? A toutes les pages le Christ parle aux Pharisiens qui ferment leur cœur, qui n'entendent pas. Ceux qui accourent vers le Christ sont les estropiés, les aveugles, les boiteux, le paralytique que l'on porte jusqu'au Christ, des pécheurs, des gens exclus, des prostituées, des publicains. Ce sont ceux-là que le Christ va rencontrer, avec lesquels il va rentrer en dialogue. Il touche leur corps. Il les relève. Il se fait proche. Le fils de Dieu se fait proche de tous ceux-là.
Quand les artistes aujourd'hui, nous montrent une chair blessée, un homme à la dérive, le péché, nous disons : on ne nous montre que le péché, le mal, le diable sous toutes ses œuvres. Le Christ était proche des gens possédés.
Comme chrétien, j'ai à porter un regard chrétien sur ces œuvres et moi aussi à être proche de ce que les artistes sont en train de me montrer ou de me dire. La vie est violente et l'artiste nous montre quelque chose de la vie. J'ai à me faire proche de cela, à me déplacer. Leur message doit avoir une résonance dans ma vie.