8 - La création artistique, continuation de la création ? - 3

Publié le par Michel Durand

3 - Le corps, support de l'activité artistique
Présenté par Danielle Fouilloux, colloque octobre 2003, "L'homme dans l'art actuel, lieu de la révélation".

Dans la contestation des années 60, des artistes, refusant les tableaux de chevalet, ont pris leur propre corps comme matériau, pour s'exposer personnellement dans les galeries, à disposition du public, ou bien intervenant en infligeant des blessures faisant apparaître le sang, ce qu'on a appelé le Body-art. ou bien des tatouages, non pas comme l'art du maquillage ou des soins de beauté, mais comme une recherche de quelque chose de plus primitif. Ils poussaient au paroxysme le tragique de la vie humaine.

Ces pratiques semblent pour le moins étranges, pour ne pas dire plus, dans un temps où l'on cherche à fuir la souffrance et la mort. J'y verrais plutôt la recherche dans le sang d'un sacré païen, apparenté aux sacrifices humains, ce dont le sacrifice de Jésus de Nazareth nous avait justement délivrés.


Herman Nitsch allongé au sol recevait le sang d'une brebis, comme les disciples de Mithra recevaient le sang du taureau, Gina Pane attaquait sa peau, Chris Burden se faisait tirer dessus à la carabine. Photographies et vidéos gardaient la trace de ces performances. Vouloir éprouver une douleur auto-provoquée était une réaction contre une vie où les décisions sont prises par d'autres. Cette forme étrange d'exhibitionnisme a cessé dans les années 80.

Il y a moins dramatique : la parure a toujours permis d'embellir visages et corps, mais Orlan fait modifier son visage par des implants de silicone, elle a ainsi des arcades sourcilières supplémentaires. Ses opérations sont filmées, l'anesthésie locale lui permet de réciter des poèmes. un véritable spectacle.

Contre le corps idéalisé par la publicité, qui utilise la nudité pour faire vendre n'importe quoi, la réaction de certains est de le morceler. Le corps est photographié ou peint en morceaux : François Rouan, après ses tressages, utilise le corps photographié en partie, recomposé pour en tirer des formes nouvelles qui n'ont jamais existé, ce qui est le propre de la création, dans ses Epreuves d'artiste 2002.

Annette Messagier découpe la photo d'un corps et colle les fragments sur des planchettes liées par des chaînettes : chaque élément semble acquérir une vie propre.

Antoni Tapiès, Matière en forme d'aisselle, 1968, étale sur la toile une croûte épaisse de plâtre, qu ïl peut griffer, graver, le spectateur reconstitue le corps entier, imagine la tête : est-ce celle d'un crucifié ?

Damien Hirst, anglais, donne avec Hymn une sculpture de six mètres de haut, en bronze peint, un torse en partie écorché, faisant apparaître les organes : il y a à la fois chez lui une grande hantise de la mort, et une grande curiosité sur le corps et la façon dont il est traité, par la médecine notamment. En face du traitement technique du corps, de la médicalisation de la société, que l'artiste peut-il suggérer d'humain, d'éthique ?

On fera la différence avec un médecin allemand, Gunther von Hagens, (voir à la sucrière, à Lyon jusqu'au 3/08/08) qui a inventé un procédé de plastification de cadavres écorchés, leur donnant des attitudes réelles : 25 corps entiers et 175 fragments sont ainsi exposés dans des galeries d'art où les foules se sont précipitées par millions au Japon, en Autriche, en Suisse, en Allemagne et en Angleterre. Nous sommes en face d'une volonté de montrer quelque chose de toujours plus sensationnel, avec une confusion entre les amphithéâtres d'anatomie et les lieux artistiques. Les modèles en cire des écoles de médecine étaient pourtant bien suggestifs, sans utiliser de cadavres.


La volonté de briser les tabous, d'en finir avec la pudeur entretient la provocation : on se demande si la démarche est vraiment artistique, chercheuse de sens, ou bien s'il s'agit seulement d'en montrer toujours plus, d'atteindre les limites du supportable. Considérant que le monde est horrible, mais que les images des magazines et de la publicité sont fausses, les artistes vont le plus loin possible pour exprimer leurs angoisses ou leurs critiques, mais sans projet ni social ni politique.

En témoigne à la Biennale de Lyon les 3 salles consacrées à Larry Clark, qui photographie et filme avec complaisance les adolescents en dérive d'alcool, de drogue et de sexe.

A se croire créateur auquel tout est permis, l'artiste en vient à se prendre pour un démiurge : de tout temps les artistes ont créé des monstres : ceux-ci étaient associés à l'enfer, ou aux contes fantastiques, ils apparaissaient pour ce qu'ils étaient, c'est-à-dire des figures imaginaires. Alors que le traitement des images par l'ordinateur permet de leur donner une réalité nouvelle.

Nous sommes entrés depuis peu dans l'ère du virtuel : c'est vrai des jeux vidéos, dont certains figurent dans les grandes manifestations artistiques, lorsque les plasticiens devenus informaticiens utilisent les machines pour révolutionner le visage humain. Mélanger plusieurs visages ou corps, les croiser avec des animaux ou des végétaux devient possible : en témoigne Robert Gligorov Orange face, autoportrait 1997, mélange d'une photo et de peau d'orange Keith Cottingham dans Fictious portraits, 1992 mixe son propre visage réduit à des points par l'ordinateur, avec d'autres visages. Jurgen Ostarhild (Sans titre #5 « Uberbabes) 2002 remplace les yeux humains par ceux d'un félin.

Est-il avéré que l'apparence de réalité apporte un supplément de force à l'image ? Un visage, de grand format, constitué de pochoirs de mains d'enfant, représente avec plus de force une institutrice anglaise accusée de meurtres d'enfants, qu'un portrait menaçant (Marcus Harvey Myra, 396x320, acrylique sur toile, 1995)

 


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