Pour un juste commerce entre les pays riches et les pays pauvres

Publié le par Michel Durand


Dans les conversations de table, notamment à l’occasion du choix d’une présidence pour la France, il arrive souvent que nous nous prononcions pour reconnaître que, si les habitants des riches pays industrialisés ne s’engagent pas de plein grès vers une mode de vie plus simple, plus pauvre, ils devront subir, malgré eux, un appauvrissement non volontaire. Mieux vaut s’y préparer.
Je ressens cet appel à la pauvreté comme une nécessité pour tout chrétien. On ne peut se tourner vers le Christ Pasteur (Thème du 4ème dimance de Pâques) et mépriser, en l’ignorant, la « foule immense de toutes nations ».

Sous la rédaction d’Isabelle de Gaulmyn, la Croix publie les lettres d’un échange entre le Pape et le Président en exercice du G8 et de l’Union Européenne. Je cède à mon désir de vous présenter ces « documents ».
Par ailleurs, récemment, j’ai redécouvert un petit livre d’Alfred Ancel daté de 1973. Il y a 34 ans, l’évêque auxiliaire de Lyon, supérieur du Prado, souhaitait déjà que la Société, dont l’Eglise, prenne en compte : - la surpopulation mondiale, les méfaits des pollutions et la survie de l’humanité – une morale adaptée aux esprits des hommes du XXIe siècle, - les jeunes, la famille, l’université et l’éducation permanente – la défense et l’animation de la cité. Quelle réponse donnons-nous aujourd’hui à tous ces problèmes ?
Nous en reparlerons.
Lisons d’abord cet article de « La Croix » et les deux lettres qui l’ont provoquées.


Benoît XVI fixe les priorités de l'Eglise pour le G8

C'est par un échange de courriers que le pape a fait connaître sa préoccupation pour que soit pris en compte, lors du sommet du G8, le développement des pays les plus pauvres. (Photo : Le Figaro)

En rendant public, lundi 23 avril, un échange de courrier entre Benoît XVI et Angela Merkel, chancelière de l’Allemagne, qui présidera le G8 en juin prochain, le Saint-Siège inaugurerait ainsi une nouvelle stratégie diplomatique. En effet, le pape rappelle, dans ce courrier, les priorités de l’Église catholique en matière de lutte contre la pauvreté dans le monde.

« C’est la première fois que ce pape adresse ainsi un courrier personnel dans le cadre des échanges bilatéraux », explique-t-on à la Secrétairerie d’État.

De plus, il s’agit d’une sorte de programme d’actions précises, et non, insiste le P. Federico Lombardi, directeur de la Salle de presse, d’un discours « abstrait ou moraliste ». Le pape, poursuit-il, « connaît les difficultés de la tâche politique, et il propose simplement la collaboration claire de l’Église catholique pour des objectifs concernant le bien commun » au nom « d’une même appartenance à la famille humaine ».

Il est vrai que le style rappelle celui d’une lettre de nonce, c’est-à-dire de diplomate… Jean-Paul II, sur ces sujets, choisissait de s’adresser en public, lors des angélus du dimanche notamment. Benoît XVI préfère l’écrit, dans un style plus concret et concis.
Annulation immédiate de la dette des pays pauvres
« C’est intéressant que le pape fixe à l’Union européenne une sorte de rôle moteur dans la lutte contre la pauvreté », estime par ailleurs un diplomate européen en poste à Rome.

D’autres diplomates notent aussi l’accent mis par ce pape sur l’Afrique, déjà perceptible lors de ses deux derniers messages urbi et orbi… Ainsi, Benoît XVI écrit son inquiétude de voir les pays riches incapables d’offrir « des conditions financières et commerciales qui rendent possible la promotion d’un développement durable ».

« L’objectif d’éliminer l’extrême pauvreté avant 2015 sur la planète est l’un des plus grands devoirs de notre temps », écrit le pape à la chancelière allemande.

Il développe pour cela quelques pistes de travail. Ainsi, pour les pays pauvres, Benoît XVI demande à ce que soit créées et garanties des conditions commerciales favorables, ce qui passe par « un accès important et sans restrictions aux marchés ».

Il reprend à son compte la demande d’une annulation immédiate et totale de la dette des pays pauvres fortement endettés, et aussi des pays les moins développés.
Insistance nouvelle sur le trafic des armes et la corruption
Le pape allemand rappelle aussi l’importance de développer l’accès de tous à des médicaments pour le traitement du sida, de la tuberculose et de la malaria, et demande notamment un effort financier pour la recherche d’un vaccin contre la malaria.

Le pape insiste sur la libération des droits de propriété intellectuelle sur les médicaments, une bataille menée depuis quelques années par le Saint-Siège au sein de l’Organisation des Nations unies.

Autre thème, le Saint-Père souhaite voir adopter, par les pays du G8, une réduction significative du commerce des armes. Tout comme d’ailleurs pour le « trafic illégal des matières précieuses » et « toutes les pratiques de recyclage d’argent sale » et de corruption.

« Cette insistance sur le trafic des armes et la corruption est nouvelle, note-t-on encore à la Secrétairerie d’État, et manifeste une préoccupation propre de Benoît XVI ».

Pourquoi cette lettre, qui date de décembre, n’a-t-elle été publiée que maintenant ? à la Curie, on explique qu’« il a fallu demander l’autorisation de Berlin, et attendre la réponse ». Le pape souhaitait aussi recevoir d’abord le secrétaire des Nations unies, Ban Ki-moon, ce qu’il a fait le 18 avril dernier.

Enfin, il semble que le Saint-Siège ait voulu, par cette publication, répondre à tous ceux qui reprochent à Benoît XVI de ne pas être suffisamment présent et intéressé par l’actualité internationale : « Cette lettre montre que le pape n’est pas eurocentré, contrairement à ce que certains soutiennent », a ainsi expliqué le P. Lombardi, et que, sur ces sujets aussi, « il est en totale continuité avec son prédécesseur ».

Isabelle DE GAULMYN, à Rome
La forme est inhabituelle. Le fond, lui, s’inscrit dans la tradition des interventions de Rome depuis quelques années en faveur du développement des pays les plus pauvres.



Echange de lettres entre Benoît XVI et la chancelière allemande Angela Merkel, avant le sommet du G8


Vatican, le lundi 23 avril 2007
Source : site du Vatican (traduction La Croix)



A l’attention d’Angela Merkel, Chancelière de la République fédérale allemande

Le 17 juillet 2006, en conclusion du sommet de Saint-Pétersbourg, vous aviez annoncé que, sous votre présidence, le groupe constitué des sept pays les plus industrialisés du monde avec la Russie (G8) maintiendrait à son ordre du jour le thème de la pauvreté dans le monde. En outre, le 18 octobre dernier, le gouvernement de la République fédérale allemande a déclaré que l’aide à l’Afrique serait un thème prépondérant du sommet de Heiligendamm.
Je vous écris donc pour vous exprimer la reconnaissance de l’Eglise catholique et ma gratitude personnelle pour ces annonces.
Je suis heureux que le thème de la pauvreté, avec une référence explicite à l'Afrique, soit à l'ordre du jour des pays du G8. Cette thématique mérite en effet la plus grande attention et doit être la priorité, au profit des pays pauvres mais aussi des pays riches.
Le fait que la présidence allemande du G8 coïncide avec celle de l'Union européenne offre une occasion unique de se pencher sur ce thème.
Je suis confiant que l’Allemagne assumera de manière positive le rôle de guide qu’on attend d’elle face à cet ensemble de questions, qui sont importantes à l’échelle mondiale et nous concernent tous.
A l’occasion de notre rencontre le 28 août dernier, vous m’avez assuré que l’Allemagne partage la préoccupation du Saint-Siège pour l’incapacité des pays riches à offrir aux pays les plus pauvres, en particulier ceux d’Afrique, les conditions financières et commerciales adéquates qui leur rendraient possibles la promotion d’un développement durable.
Le Saint-Siège a souligné à plusieurs reprises que, alors que les gouvernements des pays les plus pauvres ont, pour leur part, la responsabilité de la bonne gouvernance et de l’élimination de la pauvreté, la collaboration active de la part des partenaires internationaux est indispensable.
Il ne s’agit pas d’un « extra » ou de concessions qu’on pourrait reporter à cause d’intérêts nationaux urgents. Il s’agit plutôt d’un impératif moral grave et inconditionnel, fondé sur l’appartenance commune à la famille humaine ainsi que sur la dignité commune et le destin partagé des pays pauvres et des pays riches dont le développement est de plus en plus étroitement lié à travers le processus de la mondialisation.
Pour les pays pauvres il faudrait créer et garantir, de manière fiable et durable, les conditions commerciales favorables qui incluent principalement un accès large et sans réserve aux marchés.
Il faut prendre également des mesures pour une annulation rapide, complète et sans conditions de la dette extérieure des pays pauvres fortement endettés et des pays moins développés. Pareillement, il faudrait prendre des mesures pour que ces pays ne tombent pas à nouveau dans une situation d'endettement insoutenable.
En outre, les pays industrialisés doivent être conscients des engagements qu’ils ont pris en ce qui concerne les aides au développement et les assumer pleinement.
Par dessus tout, il faut d’autres investissements dans le domaine de la recherche et de la mise au point de médicaments pour le traitement du sida, de la tuberculose, du paludisme et d’autres maladies tropicales. Dans cette optique, les pays industrialisés doivent affronter d’urgence le devoir scientifique de créer enfin un vaccin contre le paludisme. De même, il est nécessaire de mettre à disposition les technologies médicales et pharmaceutiques tout comme les connaissances dérivées de l’expérience dans le champ de l’hygiène, sans pour autant appliquer en retour des exigences juridiques et économiques.
Enfin, la communauté internationale doit poursuivre ses efforts pour aboutir à une réduction significative du commerce, légal et illégal, des armes, du trafic illégal de matières premières précieuses et de la fuite de capitaux de pays pauvres, aussi bien qu’à l’élimination du blanchiment de l’argent sale ainsi que de la corruption des fonctionnaires dans les pays pauvres. Si tous ces défis doivent être relevés par l'ensemble des Etats membres de la communauté internationale, le G8 et l'Union européenne doivent vraiment jouer un rôle de guide.
Les membres des différentes religions et cultures dans le monde entier sont convaincus que l’objectif d’éliminer l’extrême pauvreté d’ici 2015 est l’une des tâches les plus importantes de notre époque. Ils partagent en outre la conviction que cet objectif est lié indissolublement à la paix et à la sécurité dans le monde. Leur regard est maintenant tourné vers le gouvernement allemand pour la prochaine période, durant laquelle il faut garantir que le G8 et l’Union européenne prennent les mesures nécessaires pour éradiquer la pauvreté. Les fidèles catholiques sont prêts à offrir leur propre contribution à de tels efforts et soutiennent de manière solidaire leur engagement.
Implorant la bénédiction de Dieu pour l’activité du G8 et de l’Union européenne, sous la présidence allemande, je profite de cette occasion pour vous exprimer de nouveau, Madame la chancelière fédérale, ma grande considération.
Depuis le Vatican, le 16 décembre 2006


Réponse d’Angela Merkel à Benoît XVI

Votre Sainteté,
C’est avec une grande joie que j’ai lu votre lettre du 16 décembre 2006 dans laquelle vous formulez vos souhaits les meilleurs et exposez vos requêtes pour notre présidence de l’Union européenne ainsi que pour le G8. Je me réjouis particulièrement de ce que le chef de l’Eglise catholique appuie les priorités de la présidence allemande de l’Union européenne et du G8. Permettez-moi de souligner que votre soutien me tient particulièrement à cœur.
Nous voulons mettre à profit la présidence allemande du G8 et le semestre de présidence du Conseil de l’Union européenne pour accomplir des progrès dans la lutte contre la pauvreté et dans les objectifs de développement du millénaire. Dans ce contexte nous considérons comme prioritaires les potentiels de développement et les défis du continent africain. Durant la présidence allemande du G8 nous affronterons en premier lieu le développement économique du continent et les questions de bonne gouvernance ainsi que de paix et de sécurité. Il m’importe beaucoup que les relations entre les pays du G8 et l’Afrique soient intensifiées dans l’esprit d’un partenariat de réforme. Outre des efforts supplémentaires de la part des états africains eux-mêmes, il est important de renforcer l’engagement de la communauté internationale.
La lutte contre le sida ainsi que le développement des systèmes de santé sont des priorités importantes, en particulier pour la présidence du G8. Nous nous sommes donné pour objectif de modifier les stratégies de lutte contre le sida afin de tenir compte des situations des femmes et des jeunes filles en particulier. Tous ces efforts demeurent néanmoins incomplets si, à long terme, on n’améliore pas les systèmes de santé.
Dans le cadre du G8, nous nous engagerons plus fortement à affronter les défis que vous nous indiquez concernant la transparence des marchés financiers et des matières premières en nous consacrant particulièrement au développement et au renforcement de l’initiative déjà en cours "Extraction Industries Transparency Initiative" (EITI) que nous soutenons pleinement.
Les initiatives pour annuler la dette que vous mentionnez représentent un facteur important dans la lutte contre la pauvreté. Les mesures prises au cours des sommets du G8 de Cologne (1999) et de Gleneagles (2005) ont permis aux pays bénéficiaires de réaliser des économies financières qui peuvent être destinées à la lutte contre la pauvreté dans leur propre pays. Pour mettre en pratique l’annulation de la dette multilatérale de Gleneagles en faveur des pays les plus pauvres et endettés, le gouvernement fédéral a garanti une participation allemande globale de 3,6 milliards d’euros. Le gouvernement fédéral appuie également l’institution d’un cadre de soutien de la dette (Debt Sustainability Framework). Il s’agit d’un instrument précieux pour limiter le risque d’un endettement ultérieur excessif de la part des pays les plus pauvres. Dans le même temps, les pays qui ont vu leur dette annulée ont pu augmenter leurs dépenses en matière de lutte contre la pauvreté de 7% en 1999 à 9% du PIB en 2005 – des fonds qui peuvent être destinés, par exemple, aux écoles et aux structures sanitaires.
Dans le domaine commercial, nous avons l’intention, pour favoriser le développement, de parvenir à une conclusion des accords de partenariat économique entre l’UE et les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique.
En outre, nous mettrons à profit notre présidence de l’UE et du G8 pour faire avancer le dialogue avec les pays émergents. Ces pays comme le Brésil, la Chine, l’Inde, le Mexique et l’Afrique du Sud revêtent une importance toujours plus grande dans la résolution des problèmes mondiaux comme l’approvisionnement énergétique, le changement climatique et l’exploitation des matières premières. Pour autant nous nous sommes donné pour objectif ambitieux de parler avec ces pays aussi de questions difficiles. En effet nous ne pourrons établir davantage de justice et de paix que si tous les sujets puissants de ce monde assument leurs responsabilités.
Je pense qu’avec les priorités thématiques que j’ai illustrées, nous pouvons apporter un élan à un développement soutenable et ainsi une contribution pour rendre la mondialisation plus équitable, à l’échelle planétaire.
Je vous remercie encore de votre lettre.
Avec mes salutations distinguées,
Angela Merkel

Publié dans Politique

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