Le fruit du travail : le repos

Publié le par Michel Durand

Premier mai. Fête du travail ! Il n’y a pas de meilleure journée pour écrire un article sur le repos. En effet, ce jour est plus la fête des travailleurs que celle du travail, sinon, ce jour, on travaillerait à en mourir pour voir accroître le dieu capital. Mais, en réalité, l’homme meurt s’il ne se repose pas. Autrement dit, le repos est le but de l’activité laborieuse. Celle-ci doit s’interrompre quand elle n’est plus nécessaire.
Depuis la fin du Moyen Âge, l’homme d’occident s’efforce d’accroître ses richesses. Il multiplie les inventions, trouvant de nombreux encouragements dans les progrès techniques qui lui facilitent ses tâches quotidiennes. Certes, il est heureux que l’homme se place dans le monde en tant que créateur. Il correspond ainsi à sa vocation de fils de Dieu, conçu à son image. Les géniales créations humaines ne s’opposent pas à l’unique création divine mais collaborent à son achèvement. C’est ce que déclarent les optimistes textes de Vatican II sur l’activité humaine. Pourtant, comme l’enseigne Jésus lui-même, il y a des limites dans cette infinie succession de progrès. Du reste, après avoir parcouru divers passages de la Bible, nous le savons, Dieu, le septième jour, se reposa et demanda que tout être vivant observe un confortable temps de repos. Il y a même eu le projet d’une année sabbatique, mise de la terre en jachère, qui ne fut, hélas, jamais réellement appliqué. Je dis hélas, car à quoi sert d’entasser productions sur productions quand, n’étant pas partagées, elles n’aboutissent qu’à enrichir le capital. Écoutons Jésus. Il y avait un homme riche dont la terre avait bien rapporté… Il se dit : « je vais démolir mes greniers, j’en bâtirai de plus grands et j’y rassemblerai tout mon blé et mes biens »… Dieu lui dit : « insensé, cette nuit même on te reprendra ta vie, et ce que tu as préparé, qui donc l’aura ? » Voilà ce qui arrive à celui qui amasse un trésor pour lui-même au lieu de s’enrichir auprès de Dieu » (Luc 12, 16…21).
L’arrêt bienfaisant à cette illusion de l’enrichissement infini renouvelé en des formules telles que « enrichissez-vous » ou  « travaillez plus pour gagner plus », réside dans le repos.
Non certes, le repos oisif, paresseux, boulimique, comblé de diverses consommations, repos passif de boisson et de  nourriture sans oublier les « aliments » virtuels que nous proposent instantanément les techniques informatiques, mais un repos actif où son propre corps est entièrement investi. Un repos offert au loisir.
J’emploie le mot au singulier pour le distinguer des loisirs qui appartiennent à la société de consommation.
Les loisirs dont je parle n’ont rien à voir avec l’adjectif oisif qui signifie être désœuvré, inactif, paresseux à l’image du riche propriétaire terrien qui agrandit ses réserves pour s’assurer un avenir de « bombance » (Luc 12,19). Le loisir recherché est le but du travail. Celui-ci, accompli pour répondre aux besoins de l’homme inséré dans une famille, une société solidaire et fraternelle, s’arrête pour laisser place à un autre type d’activité : rencontre, méditation solitaire, lecture, écriture, contemplation, prière etc… autant d’actions qui, matériellement, ne rapportent rien. Nous pourrions, ici, évoquer les multiples faces de la vie culturelle, tant nécessaire à l’épanouissement humain.
Ne rien faire de financièrement productif et ne pas s’ennuyer est le sommet de la vie humaine, car c’est la preuve  de la richesse intérieure. Les pensées, les connaissances, les souvenirs, le goût du beau comblent l’instant d’un heureux temps de repos, de loisir (otium). En conséquence, la culture de l’esprit doit être profondément et constamment entretenue.
Vivre de la vérité du travail humain, c’est savoir s’arrêter de produire afin de jouir du temps offert. Otium s’oppose à negotium (négoce), loisir aux affaires. N’est-ce pas ce que vivent les moines quand ils ne travaillent que 6 heures par jour ? Cela suffit pour subvenir aux besoins de tout le groupe. Tout le reste, hormis le repos biologique, temps de sommeil, est consacré à l’épanouissement convivial de la vie spirituelle.
Il est vrai que dans nos pays industrialisés, vivre cette béatitude est difficile. Le silence est trop absent, les contraintes urbaines trop stressantes, le climat social peu propice à la contemplation d’actes gratuits. Mais, est-ce vraiment impossible ? les parenthèses qu’offrent le temps des vacances à la campagne, les séjours sous la tente, l’aménagement de son appartement désencombré d’objets inutiles distrayants, le temps de retraite auquel on s’est sérieusement préparé… sont autant d’occasions pour vivre pleinement le loisir.
Certes, ce mode de vie qui est une forme d’objection de conscience au néo capitalisme, entraîne un certain appauvrissement. Est-ce un  mal ? Au contraire, c’est un bien. On constate que le pouvoir d’achat des occidentaux baisse. N’est-ce pas justice, vu la misère des pays marginalisés par la surconsommation des pays riches ? Vivre une pauvreté volontaire permet d’augmenter le temps de loisir et son enrichissement spirituel tout en nous préparant à un plus juste partage des biens élémentaires de consommation. Le repos actif est la clé de la porte ouverte sur demain.

Publié dans Politique

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O
Bonsoir,Je lève le sourcil en lisant le commentaire de Bénilde: vous vivez en 1950?Cela fait un moment que l' on ne demande plus aux prètres de parler du "bon Dieu"... Au contraire, ils ont du s' adapter aux moeurs modernes et abordent des sujets comme le cinéma, l' art, la musique, les relations familiales, les problèmes affectifs, le sexe, la politique et bien d' autres. Certains y sont parvenus, d' autres sont à des années lumières de ce personnage religieux que les laïcs attendent, qui sache les comprendre et les conseiller sans tabous.
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M
Je vous remercie de ce commentaire. J'espère que Bénilde le prendra bien. A la suite du Christ, le prêtre s'intéresse à tout ce qui fait la vie des gens. Ainsi, on le voit parler à une étrangère qui n'a pas eu moins de 5 maris et qui se montre bien fatiguée de venir régulièrement puiser de l'eau au puits. Jésus se glisse dans cette situation pour lui proposer de l'eau ; d'où la réponse : tu n'as même pas un seau... (Jean 4).
B
Je trouve ça étrange que les prêtres parlent toujours de ce qu'ils ne connaissent pas. On leur demande de parler du bon Dieu. Pour le travail, on a un chef, et quand on est fatigués on n'a pas besoin que quelqu'un vienne nous le dire.<br /> Signé : une catho (tradi) qui travaille de nuit.
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M
Merci de votre participation avec votre commentaire. Ayant moi-même, plus jeune, travaillé la nuit, je connais la difficulté de cet emploi du temps. Il se peut que vous ne connaissez pas bien les prêtres. Les prêtres travaillent comme saint Paul a travaillé. Et les prêtres parlent moins du "Bon Dieu" que de Jésus-Christ. Car, comment connaitre Dieu, le Père, si ce n'est par celui qui fut envoyé ? "Qui me voit voit le Père" (St Jean). Les prêtres, comme Jésus, parlent de ce qu'ils connaissent. "Un homme avait un figuier planté dans sa vigne, il vint y chercher du fruit... (Luc, 13,6...) Certes, l'histoire cite l'exemple de prêtres oisifs. Mais depuis que l'Eglise a heureusement perdu son pouvoir, tout a bien changé. Nous sommes aujourd'hui plus proches de l'Evangile qu'à l'époque du "haut-clergé".Les hommes et les femmes d'aujourd'hui, tellement pris par le désir d'avoir toujours plus, ont bien besoin qu'on leur rappelle l'importance du repos qui est une des bases du partage. L'année sabbatique biblique est un appel permanent à respecter tout être vivant. Abolition de toutes formes de servitude. Souhaitons que les hommes conservent bien la dimension sacré du repos du dimanche.
E
Bonjour !<br /> Tout-à-fait d'accord pour reconnaître que la pression exercée par la société est énorme. Mais il existe des soupapes de sécurité dans toutes les cocotes-minutes, même celle qui nous concerne. Cela pourrait être les bonnes choses qui existent dans notre environnement actuel. Une des solutions ne pourraient-elles pas être de choisir ce qui nous convient et laisser tomber, ou refuser énergiquement, ce qui nous paraît nocif ? Pas exclus, mais certainement pas esclaves non plus...<br /> Que pensez-vous de la possibilité de pouvoir discuter avec des personnes que nous n'aurions jamais l'occasion de rencontrer s'il n'y avait pas Internet et ses forums ? Par exemple...<br /> Edith
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O
Bonjour Edith,Bien sur, je vous suis lorsque vous écrivez que l'on peut toujours choisir sa manière de vivre. Seulement, notre société actuelle nous pousse naturellement et nous incite à choisir une voie, LA voie qui sera la plus profitable pour ceux qui detiennent les responsabilités.Certes, un choix personnel est toujours possible, mais il faut alors s'attendre à devenir un marginal, un exclus de cette société sous pretexte de ce choix de vie.Se résoudre à choisir un mode de vie comme celui la est bien sur très courageux (je n'en serais pas capable) mais il est totalement inadapté à notre temps...L'individu en question deviendrait une sorte de Diogène, le tonneau en moins (et peut-être le cynisme aussi)En attendant, soulignons le changement de philosophie de vie de la nouvelle génération: l'hédonisme a peut-être du bon...[Quand à mon pseudonyme, énumerer toutes les contradictions serait trop long]
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E
Bonjour,<br /> Pour répondre à Oxymore, je connais des gens qui vivent dans notre société tout en refusant certaines caractéristiques comme la course à l'argent, le temps compté, etc... Ils travaillent à temps partiel, ne sont jamais à l'heure (!!!), prennent tout le temps qu'il leur faut. En fait, ce sont la plupart des gens qui sont très autonomes. Ils gagnent le minimum d'argent pour vivre, et font tout ce qu'ils peuvent eux-mêmes : ils savent faire beaucoup de choses . Il y en a d'autres aussi, peut-être plus intellectuels, qui choisissent de se passer d'argent et de certains biens parce qu'ils veulent garder du temps pour étudier, réfléchir, ceux qui ont des convictions religieuses pour prier. Ce sont des choix qu'il est plus facile de faire lorsqu'on est seul ou en couple. Il est vrai que lorsqu'on a des enfants, il est difficile de leur imposer ce style de vie une fois qu'ils sont adolescents. Le choix des parents n'est pas forcément le leur. <br /> Je crois que la première erreur c'est de croire qu'il n'y a qu'une seule manière de faire, qu'une seule voie, qu'une seule solution... La richesse et la variété des possibilités est une réalité. Comme dans la nature : Dieu a créé une telle variété autour de nous qu'ils serait illogique de croire que seul l'être humain serait limité dans ses capacités, ses compétences, ses choix.<br /> Au fait, où est votre contradiction, "Oxymore" ?<br /> Edith. 
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M
Merci, Edith, pour ce témoignage. J'espère rencontré bientôt des réflexions rédigées par ceux et celles qu'on appelle "objecteurs de croissance", expression préférable, me semble-t-il, à celle de "décroissance".
O
Certes, je suis d' accord avec vous lorsque vous parlez des lois visant à garantir à l' Homme des conditions décentes de travail. Ce combat n' est surement pas gagné, et il faut continuer à le mener chaque jour comme vous l' avez souligné.Je cherche plus à désigner cette notion de "financièrement productif". Comment se séparer de ce mode de vie auquel nous avons été conditionné depuis notre naissance (plus ou moins selon les générations, je parle surtout pour la mienne ici)? Il est trop tard, tout nous rapelle ces mots qui sont surement devenus partie intégrante de notre vie, que nous le voulions ou non: médias, éducation, politique, loisirs...S' en séparer reviendrait à un "suicide social" pour qui désirerait rester dans la vie active.S' isoler serait-il le seul moyen de quitter ce mode "financièrement productif"? Hélàs, tout le monde ne le peut pas.Nous pouvons bien sur nous offrir quelques moments de repos financier (comme ici au moment ou j' écris ces lignes), mais je ne peut m' empècher de jeter un coup d' oeil sur l' horloge en bas à droite de mon écran, sombre rappel des secondes, minutes ou heures d' inactivité financière que j' accumule...Ainsi, à mon sens, chercher à supprimer ce trait de caractère de notre société revient tout simplement à quitter cette même société.On l' accepte ou on dégage. C' est malheureusement aussi simple que ça.
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M
Je lis votre texte avec un grand intérêt. Aussi, je veux prendre le temps de la réflexion pour m'y associer longuement. J'espère que notre voix se feront également entendre.
L
Quand j'étais (plus) jeune, mes enseignants me disaient avec enthousiasme que grâce aux technologies nouvelles nous n'aurions plus à travailler aussi dur que les générations précédentes et que nous pourrions consacrer le temps libéré aux loisirs, à la réflexion, à la culture, etc.... C'est vrai que nous ne passons plus des heures à faire la lessive, à préparer des repas, que la voiture nous permet d'arriver plus vite à destination, sans parler du TGV ou de l'avion, etc... mais j'ai l'impression que le temps ainsi gagné est tout de suite réinvestit dans une activité professionnelle usante, stressante, et que nous sommes encore à la recherche d'un temps pour souffler. Que s'est-il donc passé ?<br /> Je trouve également difficile à vivre le fait que la flexibilité exigée ne l'est que dans le domaine professionnel. Dès qu'il s'agit de prendre du temps pour autre chose, vie de famille, santé, besoin de lever le pied pour de multiples raisons, etc... C'est non : le travail est la seule valeur, la seule obligation. Enseignante, je suis lasse du programme qu'il faut suivre de toute façon quel que soit le climat, le moment de l'année, la capacité des enfants à suivre... Le cadre est tellement rigide qu'il en devient inhumain. Pourtant, il y a des moments de fête à vivre ensemble, des occasions de faire autre chose parce que le moment s'y prête. Hélas, on ne peut pas, à cause du "programme".<br /> Lucie
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M
Il y a plus de 10 ans j'ai eu l'occasion d'accompagner une étude sur le sens du travail : faut-il encore travailler ? C'était dans la ligne de la libération d'un travail aliénant, orientation taxée aujourd'hui de "soixantehuitarde" . Mais justement, puisque l'on se remet à défendre sans discernement la morale du rendement productif, encouragé par votre réflexion, je vais réouvrir le dossier. La véritable utopie (dans le sens d'erreur) n'est-ce pas la volonté de vouloir toujours plus ?A suivre donc.
O
Il est facile de critiquer ce système principalement riche en défauts, mais serions nous réélement capables de nous en passer?Un changement du jour au lendemain ne nous arrangerais certainement pas, ne nous voilons pas la face, nous serions perdus et desarmés.La seule chose qu'il nous reste à faire est alors de montrer que nous nous en rendons compte, des défauts de ce système, mais que finalement nous vivons très bien avec cela sur la conscience.
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M
Toute société a besoin de lois et heureusement que les pays industriels se sont donnés un code du travail. Ce dernier défend l'homme contre les abus, par exemple, de la durée du travail. J'ai lu dans votre blogue, vous interrogations sur le sport. Quel est le sens d'un sport professionnel ? Il ne devrait être qu'activité gratuite pour le plaisir de jouer ensemble et de se surpasser en se respectant. L'esprit de compétition poussé à bout supprime cette mutuelle stimulation. Il est facile de critiquer. Oui, mais n'oublions pas qu'une critique se doit d'être constructive. Quand on interroge un système, c'est pour tenter de mieux le comprendre et d'imaginer comment le faire évoluer dans le sens de la promotion de l'homme, son épanouissement. Rien ne se fait donc du jour au lendemain. Il faudrait savoir quels sont les motifs de eux et celles qui attaquent aujourd'hui "mai 68". On ne peut pas tourner la page et ignorer le passé. Il faut au contraire écrire une nouvelle page en tenant compte des leçons de l'histoire. Montrer que nous sommes conscients de ce qui ne va pas est une très bonne chose. Discerner les injustices, les aberrations face au développement de l'homme est le premier pas. Mais peut-on vivre "très bien avec cela, (cette prise de conscience), sur la conscience"  ?La suppression de l'esclavage a mis des siècles à être universellement effective et nous devons encore y travailler. Les respects des droits de l'homme acquis représente déjà un remarquable progrès.