travailler pour être concurrentiel

Publié le par Michel Durand

Je viens de terminer la lecture de « Besoin d'air » dont ont besoin les entreprises pour mieux vivre. (Medef, sous la direction de Laurence Parisot, Seuil, février 2007.
Ce texte entre dans le débat que je trouve important à propos de la place du travail dans la société. Il est facile et agréable à lire. Un bon travail de journalisme.
Aussi je remercie la personne qui m'a donné l'occasion de cette lecture.
Supposons que Laurence Parisot entende ou lise, notamment dans ce blogue, certaines de mes idées. Je la devine, complaisante et polie, mais n'arrivant pas à réprimer un petit sourire ironique devant l'idéalisme désuet de mes réflexions. Effectivement, pour être vraiment moderne, il ne faut de pas craindre la liberté, accepter le risque d'entreprendre tout en se comparant sans cesse au voisin pour faire mieux. « Nous ne pourrons pas devenir le pays du bien produire si nous ne défendons pas d'abord notre compétitivité. Et si nous cessons d'être un pays prospère, c'est-à-dire compétitif et attractif, nous ne pourrons pas peser à l'échelle du monde ... On ne saurait être attractif si l'on (l'entreprise) n'est pas en bonne santé. On ne saurait être en bonne santé si l'on est asphyxié de charges ». Trop d'impôts, trop d'État, pas assez de libre marché !"
J'avoue ne pas être compétent pour discerner le bien fondé de la conduite des réformes nécessaires. Dans ce livre, tout semble à réformer. Il y a tellement de choses qui ne vont pas que je me demande si la somme n'équivaut pas à une révolution qu'il doit falloir conduire sans état d'âme. Mais, voilà, comme je l'ai dit récemment à un délégué d'un service de l'Église : «moi, en fait, je n'ai que des états d'âme ».
Ce n'est pas avec cela que l'on fait des affaires qui rapportent. En fait, pour bien me faire comprendre, il faut que je précise, que même au sein d'une paroisse, on nous demande (parfois) de faire du chiffre : obtenir le nombre adéquat d'honoraires de messes, trouver les moyens d'une meilleure quête à la messe du dimanche, avoir des mariages, des baptêmes où les gens se montrent généreux.
Bref, avant ces modalités pratiques, il y a une philosophie et une théologie : un art de vivre, des convictions. Pour ma part, je les souhaite au plus prêt de l'Évangile
La lecture de « Besoin d'air », tout en m'enthousiasmant par son dynamisme, me laisse un malaise. L'esprit de compétitivité qu'il dégage, selon moi, est totalement en dehors du message évangélique. Pauvreté volontaire, amour des ennemis, solidarité, désir de partage... tout ce que l'on enseigne aux enfants du catéchisme, semble bien désuet à côté du réalisme de la nécessité de produire.
Certes, la parabole des talents permettrait de trouver une harmonie entre les modes de vie productifs et contemplatifs. On pourrait associer l'invitation à faire fructifier son bien (Mt 25,14ss) avec celle de ne pas se soucier du lendemain (Mt 6,25ss). Mais cette contradiction aussi, toute biblique qu'elle soit me dérange. Avant ces épisodes, il y a fondamentalement un art de vivre. N'est-ce pas celui-ci qui est qualifié de ringard ? Le souci du frère, de celui qui se fatigue sur une mauvaise terre du Sahel ne risque-t-il pas de devenir l'obstacle passéiste au moderne devoir de compétitivité ? Que pense le Medef de la prise de parole des évêques de France : "qu'as-tu fait de ton frère ?" ?

"Le texte des évêques « Qu'as tu fait de ton frère ? » a rencontré des attentes et le besoin de situer le politique sur un autre plan que la seule prise du pouvoir, en le centrant sur des questions fondamentales comme la famille, l'emploi, l'accueil de l'étranger"

Mgr Gérard Defois, archevêque-évêque de Lille




Est-ce bien moderne de vouloir vivre simplement en espérant que ce mode de vie permettra aux pays pauvres de sortir de la misère ? Pourtant proche de la mondialisation inévitable, ce thème, dans « Besoin d'air » est totalement ignoré. On n'y parle des pays non encore industrialisés que quand, dans leur émergence économique ils menacent la bonne santé économique de la France. Enfin, je vous laisse lire en vous invitant à venir partager, ici même, vos impressions.
Puisque j'ai entrepris une réflexion sur le travail, je vous livre le passage qui conduit, selon l'actuelle tendance, les 35 heures à l'échafaud.

"Sauver le travail
Il est temps de refuser les vues de l'esprit, les pensées qu'aucune réalité n'alimente et qui se satisfont de leur apparente cohérence. Nous aimons le réel, pas seulement parce qu'il est aimable en soi, mais surtout parce qu'il est le seul matériau à partir duquel on peut construire. Bizarrement, cette approche n'est pas évidente en France. Bien souvent, on pense le contraire et on veut imposer à la réalité une idée qu'on croit juste. Le gouvernement de Lionel Jospin n'a pas eu peur d'instituer uniformément la durée légale du travail à 35 heures à partir de l'utopie dangereuse de la fin progressive et inéluctable du travail et de l'idée, non moins fausse, que les emplois pourraient se diviser. Quiconque a travaillé en entreprise a pu observer l'inverse. La diminution du temps de travail de 10% d'un responsable commercial dans une PME ne crée pas une part d'emploi supplémentaire ; en revanche, elle fait courir un risque sérieux à l'entreprise pour le développement de sa clientèle. Le dessinateur industriel qui passe de 39 à 35 heures conçoit un peu moins de croquis dans la semaine et finit par mobiliser un seul technicien de fabrication de maquettes au lieu de deux auparavant. A contrario, et pour prendre un exemple extrême: le patron d'une très petite entreprise (TPE) qui travaille 7 heures et emploie une assistante aura besoin de deux assistantes si son rythme augmente et s'il passe de 7 à 10 heures. Les emplois ne se divisent pas, ils se multiplient, et cela en proportion du facteur travail. En vérité, la seule variable qui permette d'évaluer l'optimum de temps de travail et de l'ajuster - à la hausse et parfois à la baisse ! -, c'est la productivité. Durée du travail, quantité de travail, emploi et expansion économique sont indissociables. Pour quiconque voyage aujourd'hui en Asie, le lien saute aux yeux ! L'utopie de la fin du travail se fracasse sur la grande muraille de Chine. Du reste, penser qu'on peut accomplir en 35 heures la même chose ou mieux que ce que les autres font en 38 ou en 40 heures, sous prétexte que notre économie serait plus développée ou que nous aurions une recette particulière, quel paradoxe, quel déni du réel et, pire, quelle superbe, quel sentiment de supériorité invraisemblable et choquant !"

Publié dans Anthropologie

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