Le fruit du travail : le repos

Publié le par Michel Durand

Dans le dossier sur le Temps Libre, publié par Écoutes & Regards, N ° 67, Mai-juin 2007, J'ai publié l'article suivant.

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Le fruit du travail, le repos.


Premier mai. Fête du travail ! Il n’y a pas de meilleure journée pour écrire un article sur le repos. En effet, ce jour est plus la fête des travailleurs que celle du travail, sinon, ce jour, on travaillerait à en mourir pour voir accroître le dieu capital. Mais, en réalité, l’homme meurt s’il ne se repose pas. Autrement dit, le repos est le but de l’activité laborieuse. Celle-ci doit s’interrompre quand elle n’est plus nécessaire.
Depuis la fin du moyen âge, l’homme d’occident s’efforce d’accroître ses richesses. Il multiplie les inventions trouvant de nombreux encouragements dans les progrès techniques qui lui facilitent ses tâches quotidiennes. Certes, il est heureux que l’homme se place dans le monde dans le monde en tant que créateur. Il correspond ainsi à sa vocation de fils de Dieu conçu à son image. Les géniales créations humaines ne s’opposent pas à l’unique création divine mais collaborent à son achèvement. C’est ce que déclarent les optimistes textes de Vatican II sur l’activité humaine. Pourtant, comme l’enseigne Jésus lui-même, il y a des limites dans cette infinie succession de progrès. Du reste, après avoir parcouru divers passages de la Bible, nous le savons, Dieu, le septième jour, se reposa et demanda que tout être vivant observe un confortable temps de repos. Il y a même eu le projet d’une année sabbatique, mise de la terre en jachère, qui ne fut, hélas, jamais réellement appliqué. Je dis hélas, car à quoi sert d’entasser productions sur productions quand, n’étant pas partagées, elles n’aboutissent qu’à enrichir le capital. Écoutons Jésus. Il y avait un homme riche dont la terre avait bien rapporté… Il se dit : « je vais démolir mes greniers, j’en bâtirai de plus grands et j’y rassemblerai tout mon blé et mes biens »… Dieu lui dit : « insensé, cette nuit même on te reprendra ta vie, et ce que tu as préparé, qui donc l’aura ? » Voilà ce qui arrive à celui qui amasse un trésor pour lui-même au lieu de s’enrichir auprès de Dieu » (Luc 12, 16…21).
L’arrêt bienfaisant à cette illusion de l’enrichissement infini renouvelé en des formules telles que « enrichissez-vous » ou  « travaillez plus pour gagner plus », réside dans le repos.
Non certes, le repos oisif, paresseux, boulimique, comblé de diverses consommations, repos passif de boisson et de  nourriture sans oublier les « aliments » virtuels que nous proposent instantanément les techniques informatiques, mais un repos actif où son propre corps est entièrement investi. Un repos offert au loisir.
J’emploie le mot au singulier pour le distingué des loisirs qui appartiennent à la société de consommation.
Les loisirs dont je parle n’ont rien à voir avec l’adjectif oisif qui signifie être désœuvré, inactif, paresseux à l’image du riche propriétaire terrien qui agrandit ses réserves pour s’assurer un avenir de « bombance » (Luc 12,19). Le loisir recherché est le but du travail. Celui-ci, accompli pour répondre aux besoins de l’homme inséré dans une famille, une société solidaire et fraternelle, s’arrête pour laisser place à une autre type d’activité : rencontre, méditation solitaire, lecture, écriture, contemplation, prière etc… autant d’action qui, matériellement, ne rapporte rien. Nous pourrions, ici, évoquer les multiples faces de la vie culturelle, tant nécessaire à l’épanouissement humain.
Ne rien faire de financièrement productif et ne pas s’ennuyer est le sommet de la vie humaine, car c’est la preuve  de la richesse intérieure. Les pensées, les connaissances, les souvenirs, le goût du beau comble l’instant d’un heureux temps de repos, de loisir (otium). En conséquence, la culture de l’esprit doit être profondément et constamment entretenue.
Vivre de la vérité du travail humain, c’est savoir s’arrêter de produire afin de jouir du temps offert. Otium s’oppose à negotium (négoce), loisir aux affaires. N’est ce que vivent les moines quand ils ne travaillent que 6 heures par jour ? Cela suffit pour subvenir aux besoins de tout le groupe. Tout le reste, hormis le repos biologique, temps de sommeil, est consacré à l’épanouissement convivial de la vie spirituel.
Il est vrai que dans nos pays industrialisés, vivre cette béatitude est difficile. Le silence est trop absent, les contraintes urbaines trop stressantes, le climat social peu propice à la contemplation d’actes gratuits. Mais, est-ce vraiment impossible ? les parenthèses qu’offrent le temps des vacances à la campagne, les séjours sous la tente, l’aménagement de son appartement désencombré d’objets inutiles distrayants, le temps de retraite auquel on s’est sérieusement préparé… sont autant d’occasions pour vivre pleinement le loisir.
Certes, ce mode de vie qui est une forme d’objection de conscience au néo capitalisme, entraîne un certain appauvrissement. Est-ce un  mal ? Au contraire, c’est un bien. On constate que le pouvoir d’achat des occidentaux baisse. N’est-ce pas justice vue, la misère des pays marginalisés par la surconsommation des pays riches ? Vivre une pauvreté volontaire permet d’augmenter le temps de loisir et son enrichissement spirituel tout en nous préparant à un plus juste partage des biens élémentaires de consommation. Le repos actif est la clé de la porte ouverte sur demain.

Publié dans Anthropologie

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