Connaître, agir, sentir
Les conversations que m’amènent le blogue se trouvent désormais, très visiblement, au carrefour de voies qui ne peuvent s’exclurent les unes des autres.
Comprendre pour croire.
La première voie qui se présente spontanément est celle de la raison. Nombreuses sont les personnes qui estiment qu’avant de croire, il faudrait au moins comprendre l’essentiel de ce qui est à croire. Connaître le sens de ce qui est à vivre se présente comme le fondement de tout engagement.
Croire conduit à l’acte de Charité.
Une deuxième voie semble ne pas tenir compte de cette exigence intellectuelle. Pour les tenants de cette orientation, il faut avant tout faire. Agir est le critère de l’attachement au Christ. En effet, vaine est la foi, si elle ne se concrétise pas en actes concrets. L’engagement au service de l’humanité sera le critère du message d’Amour.
Raisonne inlassablement la question : quand les chrétiens seront en plein dans les difficultés de la rareté du pétrole, comment vont-ils réagir ? Egoïstement ? Généreusement ? Personne de se préparant raisonnablement à cette éventualité, quels actes vont-ils poser une fois la crise installée ?

Croire, agir mais aussi émouvoir
Enfin, au-delà de la raison et de l’action, se fait entendre la voie de celles et ceux qui voudraient sentir. Antoine Chevrier écrivait : « sentez-vous monter en vous un attrait pour Jésus-Christ ? Alors cultivait le, prenez en soin ».
Le catéchisme de l’Eglise, où tout est rationnellement présenté, codifié, tant de la domaine de la connaissance (dogme) que dans celui de l’action (morale), ne suffit pas. C’est un squelette indispensable à la vie mais inapte pour la vie. Un structure vide de chair n’a pas ni saveur, ni émotion. Non seulement il convient de savoir et de comprendre ce que l’on sait, ou d’agir et de saisir le sens de l’action, encore faut-il sentir, toucher, vibrer, se remplir le cœur de sentiments vitaux.
Le rite de l’œuvre liturgique se trouve à ce croisement.
Saint Jean de la Croix n’apporta-t-il pas, en son époque, la poétique odeur sensuelle qui permit de lier entre elles ces diverses voies ?
Je suis porté à le penser.
C’est en sens que je vous donne à lire cette étude que Jean-Christian Bied, membre de Confluences, m’a récemment remise. Elle contribue, à mon sens, malgré la difficulté de l’approche d’un écrivain du XVIe, à garnir de chair le squelette dogmatique de la révélation chrétienne.
Connaître, Agir, Sentir.
Au fait, si j’écris tout cela, c’est aussi pour avoir votre avis. Soit directement sur ce blogue, soit par le biais d’un texte ou d’une rencontre parallèle.
Exposé de Jean Bied
Comprendre pour croire.
La première voie qui se présente spontanément est celle de la raison. Nombreuses sont les personnes qui estiment qu’avant de croire, il faudrait au moins comprendre l’essentiel de ce qui est à croire. Connaître le sens de ce qui est à vivre se présente comme le fondement de tout engagement.
Croire conduit à l’acte de Charité.
Une deuxième voie semble ne pas tenir compte de cette exigence intellectuelle. Pour les tenants de cette orientation, il faut avant tout faire. Agir est le critère de l’attachement au Christ. En effet, vaine est la foi, si elle ne se concrétise pas en actes concrets. L’engagement au service de l’humanité sera le critère du message d’Amour.
Raisonne inlassablement la question : quand les chrétiens seront en plein dans les difficultés de la rareté du pétrole, comment vont-ils réagir ? Egoïstement ? Généreusement ? Personne de se préparant raisonnablement à cette éventualité, quels actes vont-ils poser une fois la crise installée ?

Croire, agir mais aussi émouvoir
Enfin, au-delà de la raison et de l’action, se fait entendre la voie de celles et ceux qui voudraient sentir. Antoine Chevrier écrivait : « sentez-vous monter en vous un attrait pour Jésus-Christ ? Alors cultivait le, prenez en soin ».
Le catéchisme de l’Eglise, où tout est rationnellement présenté, codifié, tant de la domaine de la connaissance (dogme) que dans celui de l’action (morale), ne suffit pas. C’est un squelette indispensable à la vie mais inapte pour la vie. Un structure vide de chair n’a pas ni saveur, ni émotion. Non seulement il convient de savoir et de comprendre ce que l’on sait, ou d’agir et de saisir le sens de l’action, encore faut-il sentir, toucher, vibrer, se remplir le cœur de sentiments vitaux.
Le rite de l’œuvre liturgique se trouve à ce croisement.

Je suis porté à le penser.
C’est en sens que je vous donne à lire cette étude que Jean-Christian Bied, membre de Confluences, m’a récemment remise. Elle contribue, à mon sens, malgré la difficulté de l’approche d’un écrivain du XVIe, à garnir de chair le squelette dogmatique de la révélation chrétienne.
Connaître, Agir, Sentir.
Au fait, si j’écris tout cela, c’est aussi pour avoir votre avis. Soit directement sur ce blogue, soit par le biais d’un texte ou d’une rencontre parallèle.
Exposé de Jean Bied
A la rencontre du jardin en parcourant le Cantique spirituel de Saint Jean de la Croix
Parmi les œuvres de Saint Jean de la Croix, c’est sur le « Cantique spirituel » que j’ai porté mon choix car c’est dans ce poème mystique que j’ai trouvé des illustrations du thème du jardin que j’ai choisi comme guide.
Introduction à la lecture du cantique Spirituel
Je dirai d’emblée que dans la lecture du poème « le cantique spirituel », je me suis attaché à la recherche du thème du jardin auquel j’ai été amené tout naturellement à associer celui de la fontaine
Le jardin est présent dans plusieurs strophes de cantique spirituel, mais il ne s’agit nullement d’une description mais plutôt d’une évocation faite avec une concision remarquable. Comme le fait remarquer Domingo Yndurain, Saint Jean de la Croix ne procède pas à une explication circonstancielle ou argumentaire, il n’y a pas de relations évidentes entre les parties, les unités narratives surgissent « de rien ». De la sorte, il n’y a pas surenchère sur ce qui est dit. Il règne une atmosphère d’indétermination et d’ambiguïté.
On sait que c’est dans le commentaire du poème écrit en 1584 à la demande d’Anne de Jésus, prieure des carmélites de Grenade que Saint Jean de la Croix nous livre des explications particulièrement utiles à la compréhension du poème pour un lecteur non averti : bien entendu, je m’y reporterai souvent.
Toutefois, Jean Baruzi (1924) fait part de l’avertissement initial de Saint Jean de la Croix qui met en garde contre une interprétation trop littérale et raisonnée. « Saint Jean de la Croix nous dit que le Cantique a été composé “en amour d’abondante intelligence mystique” et que le texte ne doit pas être entendu de façon étroite et qu’il se propose d’en donner “quelque lumière en général”. Laisser les paroles d’amour en leur “largeur” afin que chacun les utilise selon son mode d’esprit vaut mieux que de les limiter à un seul sens. Il estime d’ailleurs qu’aucune glose ne peut interpréter pleinement des paroles de cette sorte. Il nous avertit que bien qu’il apporte le commentaire de ses propres vers, nous ne devons pas nous sentir liés par l’explication proposée et cela parce que la sagesse s’insinue en nous par l’amour et n’exige pas pour accomplir en l’âme un effet d’amour une intelligence distincte ; elle ressemble à la foi “en laquelle nous aimons Dieu sans le comprendre” ».
Qu’en est-il du thème du jardin dans le cantique spirituel ?
Le jardin correspond, nous dit D. Yndurain, à la création d’un cadre artificiel à proximité des faubourgs (arrabales), bosquets plantés, vigne, rosiers, parterres fleuris, mur (jardin clos) au sein duquel nous ne manquerons pas de rencontrer une fontaine et le symbolique pommier ; il s’oppose à la nature sauvage, également évoquée : montages, vallées, fleuves “sonores” et leurs rives, avec la présence agitée des “lions et cerfs bondissants”. Est-il besoin de rappeler le caractère allégorique du cantique spirituel ? La rencontre de l’époux avec l’épouse n’est autre que la traduction poétique de l’union entre l’âme (l’épouse) et le Christ (l’époux, l’“Aimé”). On pensera bien sur au “Cantique des cantiques” biblique, modèle allégorique.
Saint Jean de la Croix nous cite, à propos de la strophe 4 ce passage de l’épître de Paul aux romains « les choses invisibles de Dieu sont connues de l’âme par la connaissance des choses crées visibles et invisibles ».
Cheminement analytique dans le cantique spirituel
Parmi les 39 strophes du cantique spirituel (j’ai laissé de côté une 40éme strophe ajoutée secondairement), j’en ai retenu 7 (N° 4, 11, 26, 27, 28, 30, 31) de la version A.
Nous pouvons dire avec D. Yndurain que ce texte se situe dans la ligne de l’idéalisme de la renaissance pour laquelle la nature est un modèle, la beauté du sentiment amoureux s’y reflète. Dans la strophe, les éléments évoqués vont du plus grand (bosquets) pour descendre aux fourrés puis au pré et enfin aux plus petits, les fleurs, qui sont néanmoins les plus beaux.
L’attention est attirée par l’expression “plantés par la main de l’Aimé”. Ici, laissons la parole au saint dans son commentaire : « La main seule du Bien-Aimé a pu réaliser cela… car encore que Dieu fasse maintes autres choses par une main étrangère – comme celle des anges ou des hommes – pourtant il ne crée jamais que par sa propre main, ce qui incite fort l’âme à l’amour de son Bien-Aimé, voyant que ses créatures ont été faites par sa propre main ».
Saint Jean de la Croix nous éclaire aussi sur la signification du “prado de verduras” : « ce qui y est créé ne finit ni ne se flétrit point avec le temps… demeure toujours en sa verdure inaltérable ».
Le saint continue ensuite l’explication de la transition allégorique : « L’Église attribue aussi ce nom de verdures aux choses célestes lorsque, priant Dieu pour les âmes des défunts, elle dit : Constituat vos Dominus inter amœna virentia ; ce qui signifie ; Qu’ils vous mette parmi les agréables verdures ». Et l’âme dit aussi que ce pré est “émaillé de fleurs” ; par ces fleurs, il convient d’entendre les anges et les âmes saintes avec lesquelles ce lieu est embelli, comme serait un vase d’or resplendissant d’un riche et agréable émail.
Strophe 11
Ô fontaine cristalline,
Si dans le miroir de tes eaux argentées,
Tu me laissais voir soudain
Les yeux que sans fin je cherche
Et que je garde à l’ébauche dans mon cœur…
La voici, la fontaine emblématique !
Si le qualificatif de “cristalline” employé par Saint Jean de la Croix se retrouve assez fréquemment dans la poésie du siècle d’or, il revêt chez le saint, une signification particulière. Laissons le s’expliquer : « Elle appelle la foi cristalline pour deux causes (la foi étant assimilé à la fontaine) : la première parce qu’elle est du Christ son Époux ; et la seconde, parce qu’Elle a les propriétés du cristal, étant pure dans les vérités, et forte, et claire, et nette d’erreurs et de formes naturelles (nette d’impureté) ».
Saint Jean de la Croix s’explique aussi sur le symbolisme de la foi de la fontaine : « Elle l’appelle fontaine parce d’elle découlent dans l’âme les eaux de tous les biens spirituels. D’où vient que notre Seigneur, parlant à la Samaritaine, appela la foi du non de fontaine, disant qu’en ceux qui croiraient en lui il, se ferait une fontaine dont l’eau irait saillant jusqu’à la vie éternelle ; et cette eau est l’Esprit que les croyants devaient recevoir en leur foi ».
Par “miroir de tes eaux argentées”, il faut percevoir que la “foi est comparée à l’argent dans les propositions qu’elle nous enseigne”. Enfin, par les yeux entendre : “les rayons et les vérités divines”. Elle appelle ici ces vérités les yeux à cause de la grande présence qu’elle sent de l’Ami par laquelle il semble qu’il la regarde toujours ».
Rejetant le vent du nord (cierzon = aquilon) froid, l’épouse appelle le vent du sud (auster) dont la chaleur et les parfums sont propices à enflammer les cœurs (c’est une image classique dans la littérature poétique depuis l’antiquité. “Souffle par mon jardin”. Saint Jean de la Croix s’explique : « elle ne dit pas souffle en mon jardin mais par mon jardin ; car il y a une grande différence de la part de Dieu entre souffler dans l’âme et souffler par l’âme. Parce que souffler dans l’âme, c’est y verser la grâce, les dons et les vertus alors que souffler par l’âme, c’est quand Dieu vient à toucher les vertus et perfections qui sont déjà données à l’âme, les renouvelant et les agitant de sorte qu’elles rendent une odeur et une suavité admirables – comme quand on remue des parfums… parce que l’âme ne sent pas continuellement et ne jouit pas toujours en acte des vertus qu’elle a en soi : elles sont en cette vie comme des fleurs closes en bouton ou comme des parfums couverts dont on ne sent pas l’odeur jusqu’à ce qu’on les découvre et les remue ».
Pour le dernier vers : “Et l’Aimé mangera entre les fleurs”, le saint fait remarquer « qu’elle ne dit pas qu’il se nourrira de fleurs mais parmi les fleurs parce que la délectation de l’Epoux est dans l’âme « et la chose dont il se nourrit c’est l’âme elle-même, la transformant en soi, … confite et salée avec les fleurs des vertus, des dons et des perfections ».
Le caractère agréable (ameno) du jardin est souligné.
L’épouse s’est introduite : « le mariage spirituel… est beaucoup plus que les fiançailles parce que c’est une totale transformation en l’Aimé… C’est une entière possession par une union d’amour consommée en laquelle l’âme est rendue divine et faite Dieu par participation ».
Maintenant c’est l’Aimé qui parle – c’est ici qu’apparaît l’image hautement symbolique du pommier.
Même sans l’aide du commentaire, le lecteur pourra évoquer le pommier du paradis terrestre sous lequel la nature humaine fut corrompue ; « là où ta mère fut violentée » ; « parce que ta mère, la nature humaine, fut corrompue (violée) entre tes premiers parents sous l’arbre ».
Plus loin, dans le commentaire apparaît l’autre signification du pommier ; l’arbre de la croix qui a permis la rédemption ! Reprenons la citation : « Et là aussi, sous l’arbre de la croix, tu as été réparée. De manière que si ta mère, sous l’arbre te causa la mort, quant à moi, je t’ai donné la vie sous l’arbre de la croix ». Mais, allons plus loin en nous portant sur le Cantique des cantiques par le passage suivant cité par Saint Jean de la croix : « sub arbore malo suscitavi te ; ibi corrupta est mater tua, ibi violata est genitrix tua ; soit : sous le pommier de t’ai relevé ; là, ta mère a été corrompue, là celle qui t’a engendrée a été violée ». A ce propos D. Yndurain rapporte que F.G. Lorea fait remarquer que le « ibi corrupta » du texte biblique a disparu chez Saint Jean de la Croix, mais cet auteur ne s’engage pas à en tirer une signification doctrinale. Toujours est-il que l’identification de l’arbre de la faute originelle avec celui de la rédemption (la croix) avait déjà été prononcée par Pagan en 1564 (donc 20 avant le cantique spirituel) dans son « Historia de la Sagrada Passion de
Andrew Sinclair, dans son ouvrage « jardin de gloire, de délice et de paradis » (2000), nous gratifie d’une belle illustration de cette interprétation : « Plusieurs manuscrits enluminés représentant la croix ornée de bourgeons comme si l’agonie du Christ faisait reverdir le bois mort. Plus tard, au XVIIe siècle, le hollandais H. Goltzius peindra Jésus crucifié sur un pommier, entouré de chérubins ailés. Une pomme reposait dans le giron de la Vierge comme si elle tenait là le livre du Verbe. Cette remarquable image cristallisa la controverse portant sur l’expulsion du paradis et le péché originel. La mort du Christ sur l’arbre de la tentation, attribut du serpent, rend sa pureté à Eve et lave les hommes de la malice apparue dans leur âme après l’épisode de la pomme. Maintenant, ce fruit de discorde et de malheur repose sous les regards bienveillants de la mère de Dieu, la mort de son Fils ayant tout absout.
Les lyres, les sirènes : voilà une résurgence de la mythologie païenne dans le contexte poétique de la renaissance ; mais, Saint Jean de la Croix rejette les références historiques, locales, concrètes.
« Et ne touchez pas le mur ».
Ainsi, nous voyons qu’il s’agit d’un jardin limité donc protégé au calme préservé. C’est, nous dit Saint Jean de la Croix dans le commentaire « la défense du jardin de son bien Aimé. Dans les Cantiques, c’est un jardin fermé : « Horus conclusus soror mea ». Ne pas toucher à ce mur pour préserver la quiétude de l’épouse ».
Il ne paraît pas inintéressant de signaler que le terme « paradis », hérité du grec paradeisos, viendrait du persan « paradaiza », signifiant enclos (pairi : autour, daeza : mur).
C’est l’épouse qui parle ici. D. Yndurain, à l’encontre de certains, ne trouva pas anormal de voir apparaître des nymphes (compatibles avec le style poétique de l’époque), l’étrange résidant dans le qualificatif « de Judée ». Là, revenons au commentaire de Saint Jean de la Croix. « Elle appelle “Judée”, la partie inférieure de l’âme qui est la sensitive et cette dénomination lui est attribuée parce qu’elle est faible et charnelle et de soi aveugle, comme le peuple juif ».
En réponse, les vers suivants : « tandis que dans les fleurs et rosiers, l’ambre parfumé « exalte la partie supérieure de l’âme ».
Voici les termes du commentaire : « Les fleurs sont les vertus de l’âme… les rosiers sont les trois puissances de l’âme (ce qu’elle contient) … l’entendement, la mémoire et la volonté… » Ces fleurs génèrent « actes d’amour et vertus ». L’ambre, c’est le divin esprit qui demeure dans l’âme, se liant à ses vertus et conférant à celle-ci « un parfum de suavité divine ».
Quant au terme de faubourgs (arrabales), il représente pour Saint Jean de la Croix « les sens intérieurs comme la fantaisie, l’imagination ». Pour nous, le terme de faubourgs introduit de façon un peu insolite dans le poème, ramène celui-ci sur terre en évoquant la ville proche. Ainsi, le poème est tiré du domaine purement idéaliste, redevenant en quelque sorte plus humain. Quoi qu’il en soit, je pense intéressant de reproduire encore quelques mots du commentaire.
« Vu qu’il y a une communication naturelle des habitants de ces faubourgs de la partie sensitive – qui sont les nymphes dont nous avons parlé – avec ceux de la ville (partie sensitive divertissant et inquiétant la partie raisonnable) l’âme leur dit « qu’ils demeurent en leurs faubourgs ». Le dernier vers est d’ailleurs une mise en garde de préservation de la partie raison de l’âme. La partie sensitive avec toutes les forces et faiblesse est « désormais soumise à l’esprit ».
Finalement, Saint Jean de la Croix nous dit : « D’où vient qu’il y a là une vie heureuse, semblable à celle de l’état d’innocence où toute l’harmonie et l’habileté de la partie sensitive de l’homme lui servait pour une plus grande récréation et une plus grande aide de connaissance et d’amour de Dieu, en paix et concorde avec la partie supérieure ».
Ainsi s’achève mon parcours dans le jardin poétique et mystique de Saint Jean de la croix qui nous élève vers Dieu et nous pouvons bien dire avec G.B. Shaw : « le jardin est le lieu idéal où rencontrer Dieu ».
Jean-Christian Bied.
Parmi les œuvres de Saint Jean de la Croix, c’est sur le « Cantique spirituel » que j’ai porté mon choix car c’est dans ce poème mystique que j’ai trouvé des illustrations du thème du jardin que j’ai choisi comme guide.
Introduction à la lecture du cantique Spirituel
Je dirai d’emblée que dans la lecture du poème « le cantique spirituel », je me suis attaché à la recherche du thème du jardin auquel j’ai été amené tout naturellement à associer celui de la fontaine
Le jardin est présent dans plusieurs strophes de cantique spirituel, mais il ne s’agit nullement d’une description mais plutôt d’une évocation faite avec une concision remarquable. Comme le fait remarquer Domingo Yndurain, Saint Jean de la Croix ne procède pas à une explication circonstancielle ou argumentaire, il n’y a pas de relations évidentes entre les parties, les unités narratives surgissent « de rien ». De la sorte, il n’y a pas surenchère sur ce qui est dit. Il règne une atmosphère d’indétermination et d’ambiguïté.
On sait que c’est dans le commentaire du poème écrit en 1584 à la demande d’Anne de Jésus, prieure des carmélites de Grenade que Saint Jean de la Croix nous livre des explications particulièrement utiles à la compréhension du poème pour un lecteur non averti : bien entendu, je m’y reporterai souvent.
Toutefois, Jean Baruzi (1924) fait part de l’avertissement initial de Saint Jean de la Croix qui met en garde contre une interprétation trop littérale et raisonnée. « Saint Jean de la Croix nous dit que le Cantique a été composé “en amour d’abondante intelligence mystique” et que le texte ne doit pas être entendu de façon étroite et qu’il se propose d’en donner “quelque lumière en général”. Laisser les paroles d’amour en leur “largeur” afin que chacun les utilise selon son mode d’esprit vaut mieux que de les limiter à un seul sens. Il estime d’ailleurs qu’aucune glose ne peut interpréter pleinement des paroles de cette sorte. Il nous avertit que bien qu’il apporte le commentaire de ses propres vers, nous ne devons pas nous sentir liés par l’explication proposée et cela parce que la sagesse s’insinue en nous par l’amour et n’exige pas pour accomplir en l’âme un effet d’amour une intelligence distincte ; elle ressemble à la foi “en laquelle nous aimons Dieu sans le comprendre” ».
Qu’en est-il du thème du jardin dans le cantique spirituel ?
Le jardin correspond, nous dit D. Yndurain, à la création d’un cadre artificiel à proximité des faubourgs (arrabales), bosquets plantés, vigne, rosiers, parterres fleuris, mur (jardin clos) au sein duquel nous ne manquerons pas de rencontrer une fontaine et le symbolique pommier ; il s’oppose à la nature sauvage, également évoquée : montages, vallées, fleuves “sonores” et leurs rives, avec la présence agitée des “lions et cerfs bondissants”. Est-il besoin de rappeler le caractère allégorique du cantique spirituel ? La rencontre de l’époux avec l’épouse n’est autre que la traduction poétique de l’union entre l’âme (l’épouse) et le Christ (l’époux, l’“Aimé”). On pensera bien sur au “Cantique des cantiques” biblique, modèle allégorique.
Saint Jean de la Croix nous cite, à propos de la strophe 4 ce passage de l’épître de Paul aux romains « les choses invisibles de Dieu sont connues de l’âme par la connaissance des choses crées visibles et invisibles ».
Cheminement analytique dans le cantique spirituel
Parmi les 39 strophes du cantique spirituel (j’ai laissé de côté une 40éme strophe ajoutée secondairement), j’en ai retenu 7 (N° 4, 11, 26, 27, 28, 30, 31) de la version A.
Strophe 4
Questions aux créatures
Ô forêts et fourrés
plantés par la main de l’aimé
ô pré de verdures
de fleurs émaillé
dites si par vous il est passé
Questions aux créatures
Ô forêts et fourrés
plantés par la main de l’aimé
ô pré de verdures
de fleurs émaillé
dites si par vous il est passé
Nous pouvons dire avec D. Yndurain que ce texte se situe dans la ligne de l’idéalisme de la renaissance pour laquelle la nature est un modèle, la beauté du sentiment amoureux s’y reflète. Dans la strophe, les éléments évoqués vont du plus grand (bosquets) pour descendre aux fourrés puis au pré et enfin aux plus petits, les fleurs, qui sont néanmoins les plus beaux.
L’attention est attirée par l’expression “plantés par la main de l’Aimé”. Ici, laissons la parole au saint dans son commentaire : « La main seule du Bien-Aimé a pu réaliser cela… car encore que Dieu fasse maintes autres choses par une main étrangère – comme celle des anges ou des hommes – pourtant il ne crée jamais que par sa propre main, ce qui incite fort l’âme à l’amour de son Bien-Aimé, voyant que ses créatures ont été faites par sa propre main ».
Saint Jean de la Croix nous éclaire aussi sur la signification du “prado de verduras” : « ce qui y est créé ne finit ni ne se flétrit point avec le temps… demeure toujours en sa verdure inaltérable ».
Le saint continue ensuite l’explication de la transition allégorique : « L’Église attribue aussi ce nom de verdures aux choses célestes lorsque, priant Dieu pour les âmes des défunts, elle dit : Constituat vos Dominus inter amœna virentia ; ce qui signifie ; Qu’ils vous mette parmi les agréables verdures ». Et l’âme dit aussi que ce pré est “émaillé de fleurs” ; par ces fleurs, il convient d’entendre les anges et les âmes saintes avec lesquelles ce lieu est embelli, comme serait un vase d’or resplendissant d’un riche et agréable émail.
Strophe 11
Ô fontaine cristalline,
Si dans le miroir de tes eaux argentées,
Tu me laissais voir soudain
Les yeux que sans fin je cherche
Et que je garde à l’ébauche dans mon cœur…
La voici, la fontaine emblématique !
Si le qualificatif de “cristalline” employé par Saint Jean de la Croix se retrouve assez fréquemment dans la poésie du siècle d’or, il revêt chez le saint, une signification particulière. Laissons le s’expliquer : « Elle appelle la foi cristalline pour deux causes (la foi étant assimilé à la fontaine) : la première parce qu’elle est du Christ son Époux ; et la seconde, parce qu’Elle a les propriétés du cristal, étant pure dans les vérités, et forte, et claire, et nette d’erreurs et de formes naturelles (nette d’impureté) ».
Saint Jean de la Croix s’explique aussi sur le symbolisme de la foi de la fontaine : « Elle l’appelle fontaine parce d’elle découlent dans l’âme les eaux de tous les biens spirituels. D’où vient que notre Seigneur, parlant à la Samaritaine, appela la foi du non de fontaine, disant qu’en ceux qui croiraient en lui il, se ferait une fontaine dont l’eau irait saillant jusqu’à la vie éternelle ; et cette eau est l’Esprit que les croyants devaient recevoir en leur foi ».
Par “miroir de tes eaux argentées”, il faut percevoir que la “foi est comparée à l’argent dans les propositions qu’elle nous enseigne”. Enfin, par les yeux entendre : “les rayons et les vérités divines”. Elle appelle ici ces vérités les yeux à cause de la grande présence qu’elle sent de l’Ami par laquelle il semble qu’il la regarde toujours ».
Strophe 26
Contiens-toi aquilon mort
viens auster qui rappelles les amours
souffle par mon jardin et que courent ses parfums
et l’aimé mangera entre les fleurs
Contiens-toi aquilon mort
viens auster qui rappelles les amours
souffle par mon jardin et que courent ses parfums
et l’aimé mangera entre les fleurs
Rejetant le vent du nord (cierzon = aquilon) froid, l’épouse appelle le vent du sud (auster) dont la chaleur et les parfums sont propices à enflammer les cœurs (c’est une image classique dans la littérature poétique depuis l’antiquité. “Souffle par mon jardin”. Saint Jean de la Croix s’explique : « elle ne dit pas souffle en mon jardin mais par mon jardin ; car il y a une grande différence de la part de Dieu entre souffler dans l’âme et souffler par l’âme. Parce que souffler dans l’âme, c’est y verser la grâce, les dons et les vertus alors que souffler par l’âme, c’est quand Dieu vient à toucher les vertus et perfections qui sont déjà données à l’âme, les renouvelant et les agitant de sorte qu’elles rendent une odeur et une suavité admirables – comme quand on remue des parfums… parce que l’âme ne sent pas continuellement et ne jouit pas toujours en acte des vertus qu’elle a en soi : elles sont en cette vie comme des fleurs closes en bouton ou comme des parfums couverts dont on ne sent pas l’odeur jusqu’à ce qu’on les découvre et les remue ».
Pour le dernier vers : “Et l’Aimé mangera entre les fleurs”, le saint fait remarquer « qu’elle ne dit pas qu’il se nourrira de fleurs mais parmi les fleurs parce que la délectation de l’Epoux est dans l’âme « et la chose dont il se nourrit c’est l’âme elle-même, la transformant en soi, … confite et salée avec les fleurs des vertus, des dons et des perfections ».
Strophe 27
elle s’est introduite l’épouse
en l’agréable jardin désiré
et à son gré elle repose
le cou appuyé
sur les doux bras de l’aimé
elle s’est introduite l’épouse
en l’agréable jardin désiré
et à son gré elle repose
le cou appuyé
sur les doux bras de l’aimé
Le caractère agréable (ameno) du jardin est souligné.
L’épouse s’est introduite : « le mariage spirituel… est beaucoup plus que les fiançailles parce que c’est une totale transformation en l’Aimé… C’est une entière possession par une union d’amour consommée en laquelle l’âme est rendue divine et faite Dieu par participation ».
Strophe 28
Au pied du pommier
là avec moi tu fus fiancée
là je te donnais ma main
et tu fus réparée
où ta mère fut violentée
Au pied du pommier
là avec moi tu fus fiancée
là je te donnais ma main
et tu fus réparée
où ta mère fut violentée
Maintenant c’est l’Aimé qui parle – c’est ici qu’apparaît l’image hautement symbolique du pommier.
Même sans l’aide du commentaire, le lecteur pourra évoquer le pommier du paradis terrestre sous lequel la nature humaine fut corrompue ; « là où ta mère fut violentée » ; « parce que ta mère, la nature humaine, fut corrompue (violée) entre tes premiers parents sous l’arbre ».
Plus loin, dans le commentaire apparaît l’autre signification du pommier ; l’arbre de la croix qui a permis la rédemption ! Reprenons la citation : « Et là aussi, sous l’arbre de la croix, tu as été réparée. De manière que si ta mère, sous l’arbre te causa la mort, quant à moi, je t’ai donné la vie sous l’arbre de la croix ». Mais, allons plus loin en nous portant sur le Cantique des cantiques par le passage suivant cité par Saint Jean de la croix : « sub arbore malo suscitavi te ; ibi corrupta est mater tua, ibi violata est genitrix tua ; soit : sous le pommier de t’ai relevé ; là, ta mère a été corrompue, là celle qui t’a engendrée a été violée ». A ce propos D. Yndurain rapporte que F.G. Lorea fait remarquer que le « ibi corrupta » du texte biblique a disparu chez Saint Jean de la Croix, mais cet auteur ne s’engage pas à en tirer une signification doctrinale. Toujours est-il que l’identification de l’arbre de la faute originelle avec celui de la rédemption (la croix) avait déjà été prononcée par Pagan en 1564 (donc 20 avant le cantique spirituel) dans son « Historia de la Sagrada Passion de
Nuestro Redemptor ».
En el sibol fue cometido
lo que peccaron los dos
y el castigo desto ho sido
Que en un arbol muero Dios
de humana carne vestido.
En el sibol fue cometido
lo que peccaron los dos
y el castigo desto ho sido
Que en un arbol muero Dios
de humana carne vestido.
Andrew Sinclair, dans son ouvrage « jardin de gloire, de délice et de paradis » (2000), nous gratifie d’une belle illustration de cette interprétation : « Plusieurs manuscrits enluminés représentant la croix ornée de bourgeons comme si l’agonie du Christ faisait reverdir le bois mort. Plus tard, au XVIIe siècle, le hollandais H. Goltzius peindra Jésus crucifié sur un pommier, entouré de chérubins ailés. Une pomme reposait dans le giron de la Vierge comme si elle tenait là le livre du Verbe. Cette remarquable image cristallisa la controverse portant sur l’expulsion du paradis et le péché originel. La mort du Christ sur l’arbre de la tentation, attribut du serpent, rend sa pureté à Eve et lave les hommes de la malice apparue dans leur âme après l’épisode de la pomme. Maintenant, ce fruit de discorde et de malheur repose sous les regards bienveillants de la mère de Dieu, la mort de son Fils ayant tout absout.
Strophe 30
par les agréables lyres
et le chant des sirènes je vous conjure
que cessent vos colères
et ne touchez pas le mur
pour que l’épouse ait sommeil plus sûr
par les agréables lyres
et le chant des sirènes je vous conjure
que cessent vos colères
et ne touchez pas le mur
pour que l’épouse ait sommeil plus sûr
Les lyres, les sirènes : voilà une résurgence de la mythologie païenne dans le contexte poétique de la renaissance ; mais, Saint Jean de la Croix rejette les références historiques, locales, concrètes.
« Et ne touchez pas le mur ».
Ainsi, nous voyons qu’il s’agit d’un jardin limité donc protégé au calme préservé. C’est, nous dit Saint Jean de la Croix dans le commentaire « la défense du jardin de son bien Aimé. Dans les Cantiques, c’est un jardin fermé : « Horus conclusus soror mea ». Ne pas toucher à ce mur pour préserver la quiétude de l’épouse ».
Il ne paraît pas inintéressant de signaler que le terme « paradis », hérité du grec paradeisos, viendrait du persan « paradaiza », signifiant enclos (pairi : autour, daeza : mur).
Strophe 31
L’épouse
Ô nymphes de Judée
tandis que dans les fleurs et rosiers
l’ambre parfume
demeurez dans les faubourgs
et veuillez ne pas toucher nos seuils
L’épouse
Ô nymphes de Judée
tandis que dans les fleurs et rosiers
l’ambre parfume
demeurez dans les faubourgs
et veuillez ne pas toucher nos seuils
C’est l’épouse qui parle ici. D. Yndurain, à l’encontre de certains, ne trouva pas anormal de voir apparaître des nymphes (compatibles avec le style poétique de l’époque), l’étrange résidant dans le qualificatif « de Judée ». Là, revenons au commentaire de Saint Jean de la Croix. « Elle appelle “Judée”, la partie inférieure de l’âme qui est la sensitive et cette dénomination lui est attribuée parce qu’elle est faible et charnelle et de soi aveugle, comme le peuple juif ».
En réponse, les vers suivants : « tandis que dans les fleurs et rosiers, l’ambre parfumé « exalte la partie supérieure de l’âme ».
Voici les termes du commentaire : « Les fleurs sont les vertus de l’âme… les rosiers sont les trois puissances de l’âme (ce qu’elle contient) … l’entendement, la mémoire et la volonté… » Ces fleurs génèrent « actes d’amour et vertus ». L’ambre, c’est le divin esprit qui demeure dans l’âme, se liant à ses vertus et conférant à celle-ci « un parfum de suavité divine ».
Quant au terme de faubourgs (arrabales), il représente pour Saint Jean de la Croix « les sens intérieurs comme la fantaisie, l’imagination ». Pour nous, le terme de faubourgs introduit de façon un peu insolite dans le poème, ramène celui-ci sur terre en évoquant la ville proche. Ainsi, le poème est tiré du domaine purement idéaliste, redevenant en quelque sorte plus humain. Quoi qu’il en soit, je pense intéressant de reproduire encore quelques mots du commentaire.
« Vu qu’il y a une communication naturelle des habitants de ces faubourgs de la partie sensitive – qui sont les nymphes dont nous avons parlé – avec ceux de la ville (partie sensitive divertissant et inquiétant la partie raisonnable) l’âme leur dit « qu’ils demeurent en leurs faubourgs ». Le dernier vers est d’ailleurs une mise en garde de préservation de la partie raison de l’âme. La partie sensitive avec toutes les forces et faiblesse est « désormais soumise à l’esprit ».
Finalement, Saint Jean de la Croix nous dit : « D’où vient qu’il y a là une vie heureuse, semblable à celle de l’état d’innocence où toute l’harmonie et l’habileté de la partie sensitive de l’homme lui servait pour une plus grande récréation et une plus grande aide de connaissance et d’amour de Dieu, en paix et concorde avec la partie supérieure ».
Ainsi s’achève mon parcours dans le jardin poétique et mystique de Saint Jean de la croix qui nous élève vers Dieu et nous pouvons bien dire avec G.B. Shaw : « le jardin est le lieu idéal où rencontrer Dieu ».
Jean-Christian Bied.