Au lieu d’interroger sur le permis et de défendu, le Seigneur invite à la source ; acceptons de nous laisser interroger sur nos fragilités

Publié le par Michel Durand

Marc 10, 2-16 : « Au commencement du monde, quand Dieu créa l’humanité, il la fit homme et femme. »

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Conférence-débat à "toi d'écoute"

avec le groupe Reliance

Patrick Rollin, vicaire général pour l’Église à Lyon, le jour de la présentation de Michel Rose, curé à Craponne, prononça l’homélie suivante (voir ci-dessous) que je trouve opportun de relire actuellement dans le cadre des débats au sujet du mariage pour tous.  En l’église Saint-Polycarpe, nous avions écouté ce jour-là une homélie qui avait quelque peu perturbé les fidèles. Nous en parlions longuement au cours de l’apéritif et dans les jours suivants. Certains voulaient même prendre la parole publiquement. L’ont-ils fait ? Je suggère de lire (à la suite de la polycarpienne) l’homélie de P. Rollin qui apporte un autre regard sur l’Évangile.

Depuis le 15 août (voir mon post) que de matière avons-nous pour nous aider à une plus grande proximité avec la vérité de l’amour selon l’évangile !

Dimanche 7 Octobre 2012  - Evangile Marc 10, 2-16 ; Homélie à Craponne

P.rollin.jpgMes amis, la question du divorce, son actualité écrasante en Occident, la condition faite par l’Église aux conjoints remariés avec les polémiques qu’elle soulève, les difficultés pastorales qu’elle entraîne et surtout la souffrance qu’elle suscite chez celles et ceux qui ressentent cette position de l’Église comme une exclusion, et bien tout cela nous pousse ce matin, à examiner de près ce passage d’Évangile, à l’écouter avec précaution, tant ces paroles de Jésus peuvent être source de toute espérance pour les couples, mais sonner aussi durement aux oreilles de ceux dont l’amour a été trahi, dont l’union a explosé…

Oui, dans le contexte un peu tendu de la situation des divorcés remariés dans l’Église, auquel se rajoute aujourd’hui les tensions liées au projet de mariage pour tous, sous-entendu aux personnes homosexuelles, dont la situation dans l’Église n’est pas simple non plus, je dois vous avouer que j’ai ce matin une crainte. Comme Jésus, confronté ici à des pharisiens qui cherchaient à le mettre à l’épreuve, cette question de la répudiation, de la séparation, du divorce, cette question « brûlante » dans notre Église, me paraît une question redoutable, car elle met à l’épreuve notre rapport aux saintes écritures et à la Tradition, nos manières de comprendre et d’interpréter la Parole de Dieu dans nos vies.

Je m’explique : le piège qui est tendu ici à Jésus et qui nous met à l’épreuve nous aussi ce matin, c’est le piège de notre rapport à la Parole de Dieu consignée dans les saintes Écritures. Comme ces pharisiens qui savent le bien et le vrai, qui ont le cœur fermé, nous risquons à notre tour d’utiliser la Parole de Dieu pour légitimer nos prises de position, pour sacraliser nos partis pris, en un mot pour clore un débat qui semble-t-il ne date pas d’aujourd’hui. Bref, vis-à-vis de cette question disputée du divorce, le premier piège qui nous guette tous, c’est de réduire la Parole de Dieu à nos manières de voir, à nos étroitesses de cœur quand chercher la vérité demande toujours un esprit non pas borné, mais ouvert, voyageur, attentif.

Or justement dans cet évangile, les pharisiens quant à eux sont installés dans leurs certitudes alors que Jésus, lui, les dérange. Pour Jésus en fait, la Parole de Dieu est moins consignée dans des réponses toutes faites à nos questions que dans une mise en question permanente de notre trop bonne conscience. Oui, souvenez-vous, Jésus préférait toujours à ceux qui se croyaient en règle, ceux qui étaient en route, en marche sur la voie étroite, sur la voie risquée, sur la voie exigeante de l’amour. Jésus préférait toujours à ceux qui tenaient le haut du pavé, les femmes du trottoir !

Ceci rappelé, venons-en maintenant au cœur de cet Évangile. Des pharisiens prennent ici cette question de la répudiation, après celle du sabbat, comme une occasion de faire chuter Jésus. Cette question est pour eux un sujet d’école, loin des visages concrets qui aiment, peinent, recommencent. « Est-il permis à un homme de renvoyer sa femme ? » Il faut savoir que cette question  était vivement débattue parmi les rabbins de l’époque. Et deux doctrines célèbres s’affrontaient : l’une acceptant de multiples raisons à la séparation ; l’autre plus rigoriste, n’admettant qu’un nombre restreint de cas de répudiation.

Alors, Jésus au milieu de tout ça ? Jésus serait-il laxiste ou rigoriste ? Mais Jésus n’habite pas là. Sa demeure n’est pas dans les frontières « du permis et du défendu »,  dans le monde étroit de « ce qui se fait ou ne se fait pas ». Sa maison n’est pas le Code pénal, ni le droit canonique de l’époque, mais l’intention du Père. Voilà pourquoi il s’écarte de la manière dont la question lui est posée, « est-il permis ou défendu. » Il prend le large et du même mouvement il nous met au large, en remontant à la source. Oh, certes la Loi avait organisé le divorce depuis Moïse ( Dt 24, 1), mais était-ce à cause des drames, des échecs ?… Non, c’était plutôt la conséquence des arrangements des hommes aux cœurs endurcis, orgueilleux et envieux. Et Jésus de rappeler, comme à son habitude, que ce n’est pas la loi qui fonde le lien intime entre homme et femme, mais l’amour. Oui, l’union  conjugale est appelée à prendre sa source bien en amont de la Loi et à s’accomplir bien au-delà de la Loi, dans la tendresse même de Dieu, dans son ambition à ce que nos alliances humaines soient à « son image et à sa ressemblance ».

Autant dire que la rencontre de l’homme et de la femme n’est jamais banale. Et Jésus ne trouve pas de mots plus beaux pour qualifier ce lien conjugal que ceux de la Genèse : « Tous deux ne feront plus qu’un ! ». Oui, depuis le premier cri d’admiration et d’amour de l’homme envers la femme : « Voici l’os de mes os et la chair de ma chair », devenir une seule chair, c’est relier la parole et l’affection, le respect et le partage, le désir et la fidélité. C’est dire combien le « oui » du mariage ne scelle pas un contrat quelconque, mais plonge ceux qui le prononcent dans l’amour de Dieu, ce Dieu qui ne reprend jamais son amour.

Par son recours à l’Écriture, Jésus resitue donc l’alliance conjugale dans l’horizon de l’histoire d’Alliance de Dieu avec notre humanité, cette histoire qui commence par une belle histoire d’amour. Et c’est ce qui explique que dans la Bible, depuis des millénaires, de la Genèse à l’Apocalypse, en passant par le Cantique des cantiques, les croyants n’ont pas trouvé de plus belle image que celle de la tendresse entre un homme et une femme pour évoquer l’amour de Dieu. Comme si le couple était comme une « icône » vivante dans laquelle il est possible d’apercevoir le reflet du « Très-Haut », ce Dieu avec qui les rêves les plus fous deviennent réalité, lui qui veut toujours donner à nos vrais « je t’aime » le goût de son amour, infini et éternel !

Mais, dans sa réponse aux pharisiens, Jésus nous enseigne aussi cette autre vérité. Le lien conjugal n’est pas dans la rigidité ou dans le laisser-faire, car nos vies aujourd’hui comme hier sont faites de détours, d’échecs, de relèvements. Séparations parfois si douloureuses, mémoires si souvent blessées. Et Jésus ne se prononce pas ici sur cette souffrance. Il le fait ailleurs, dans d’autres pages d’évangile, en consolant, en relevant, en accueillant chaque vie meurtrie. Là est l’intention du Père, l’intention de ce Dieu qui veut inlassablement nous partager son Amour.

Aussi comme ces pharisiens, ne faisons pas du mariage et du divorce, une question d’école, de débat théologique, d’appartenance ou non à l’Eglise, mais considérons plutôt la situation des divorcés remariés, comme un appel à veiller sur ce fragile lien conjugal où l’homme et la femme sont invités à éprouver de quel amour Dieu nous aime. C’est la grâce du mariage, et cette grâce-là, la grâce de l’amour est toujours une responsabilité, car, vous le savez bien, aimer ne va jamais de soi, et rien, jamais, n’est gagné d’avance. Il y faut un intense, un incessant et toujours neuf investissement de soi. L’amour n’est pas un instinct, l’amour est un don, et un don plus obstiné, plus entêté que toutes les « bonnes raisons » qu’on lui oppose, parce qu’il prend sa source en Dieu, ce Dieu qui nous a donné un cœur justement pour aimer !

Voilà, au lieu de nous interroger encore sur le « permis et de défendu » , le Seigneur nous invite plutôt à revenir à la source, en acceptent de nous laisser interroger sur nos fragiles alliances humaines : sont-elles inspirées par cet amour de Dieu qui préfère toujours l’autre à soi-même ? Oui, vous les couples, quelle que soit votre histoire, n’oubliez jamais que l’important, dans le mariage, ce n’est pas tant de durer que de grandir, mais que pour grandir il faut durer aussi, c’est l’enjeu de la fidélité.

Et vous les couples en difficulté, que vous dire, sinon que le Seigneur vous aime, qu’il est fidèle, qu’il est un Père et non un juge. Je souhaite que vous ne soyez pas victimes de nos jugements, véritables fardeaux de plus sur vos épaules, mais que vous puissiez compter sur nos alliances humaines reflets de la fidélité de Dieu pour notre humanité malmenée.

Quant à vous les célibataires, vous qui n’êtes pas mariés, et ceci, pour de multiples raisons, n’oubliez pas que, s’il est vrai que le lien conjugal chante l’Alliance de Dieu avec notre humanité, Jésus, lui, est resté célibataire…et cela ne l’a pas empêché pour autant de se faire l’époux fidèle de notre humanité, « os de ses os et chair de sa chair ». Oui le mariage n’épuise pas toutes les manières d’aimer, mais personne ne peut se dispenser d’aimer !

Allez, pour tous, votre paroisse est aussi ce lieu privilégié où vous êtes appelés à vivre en alliance avec Dieu et les uns avec les autres. Ne séparons donc pas ce que Dieu a uni.

Quant à toi, Michel qui reçois aujourd’hui la charge pastorale de cette paroisse, que ton ministère ouvre les cœurs afin qu’ils ne fassent plus qu’un avec le Seigneur

Père Patrick Rollin

Publié dans Anthropologie

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