J’ai éprouvé fortement un malaise à propos du débat actuel sur « le mariage pour tous. »

Publié le par Michel Durand

L’institution Eglise n’aurait pas le même langage quand elle parle de morale sociale et  politique ou de morale individuelle. C’est cette seconde communication qui a la faveur des médias. Le sexe. ! Une remise en cause du capitalisme de fait pas autant recette. Benoît arriverait-il à mettre les catholiques dans la rue dans une manifestation contre le libéralisme pervers ?

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Benoît XVI condamne à nouveau le « capitalisme financier débridé »

Au fil de ses trois interventions à l’occasion de la nouvelle année,

le pape a repris les grands thèmes de son Message pour la paix, publié le 14 décembre 2012.

 

Selon le quotidien La Croix : « Mardi matin, lors de la messe du 1er janvier, Benoît XVI a renouvelé sa condamnation du « capitalisme financier non réglementé ». Il a ainsi évoqué, reprenant son Message pour la Paix, les « foyers de tension et de confrontation provoqués par l’inégalité croissante entre riches et pauvres, et la prédominance de la mentalité égoïste et individualiste, qui est également l’une des manifestations du capitalisme financier non réglementé ».

Les évêques, pour reprendre le post d’hier, appellent-ils à rejoindre les cercles de silence dans une radicale défense de l’étrangers ? (Ex 22 :21 : « Tu n’exploiteras pas l’immigré (qui vit dans ton pays), tu ne l’opprimeras pas, car tu as été immigré en Égypte »).

Il me faut continuer de rendre compte des textes qui circulent sur internet. Aujourd’hui, Adrien, prêtre, communique la réflexion suivante que « l’on se passe », je suppose entre prêtres. Mais cela peut aussi être, tout simplement entre baptisés.

Je trouve profondément astucieuse cette réflexion. Elle aborde toute les grandes questions que nous affrontons et devrions, prêtres, étudier en profondeur.

Ceci dit, je relis le premier courriel du jour : rappel de la réunion de tous les curés du diocèse. « C’est une première qui s’inscrit dans les méthodes de travail que nous souhaiterions initier dans le cadre de la réforme territoriale en cours dans notre diocèse ».  

Où est l’essentiel ? Voir ci-dessous. On peut aussi à ce post qui d'une certaine façon traite du sujet. J'ai mis dans cet article Benoît XVI face à Dany Robert Dufour.

 

Explication d’ Elie Geffray …  A l’intention de :

-       mon évêque Denis Moutel, St Brieu et Tréguier

-       des amis qui m’encouragent

-       des correspondants exigeants qui font réfléchir.

 

Mon étonnement à propos de certains textes officiels de l’Eglise. Je parle ici de deux sortes de textes que, par commodité, je nommerai ici « catégorie 1 » et « catégorie 2. » Les textes de la catégorie 1 sont ceux qui traitent des questions sociales en général (politique – économie – solidarité sociale…). Les textes de la catégorie 2 sont ceux qui abordent les problèmes de vie personnelle (amour – mariage – sexualité – fin de vie…) Je suis depuis longtemps intrigué par le fait suivant : les textes de la catégorie 1 me sont facilement accessibles. La plupart du temps, ils sont pertinents, éclairants, stimulants. Ils sont ouverts au débat. A l’inverse, les textes de la catégorie 2 me dépaysent : ils sont péremptoires, idéalistes, souvent impraticables dans les sociétés d’aujourd’hui. J’ai encore éprouvé fortement ce malaise à propos du débat actuel sur « le mariage pour tous. »

J’ai essayé de comprendre la cause de ce malaise et je crois avoir détecté une sorte de « coupure épistémologique » entre ces deux catégories. Autrement dit, suivant qu’il traite de la catégorie 1 ou 2, le magistère de l’église change de système de pensée, « d’épistémè . »

Je voudrais m’en expliquer aussi brièvement et clairement que possible au risque de caricaturer quelque peu.

Les textes de la catégorie 1 sont élaborés dans le cadre d’une pensée humaniste.

Le régime de la pensée humaniste présuppose au moins les trois éléments suivants :

-       L’existence humaine ne se déploie pas dans un monde dirigé par le fatum (le destin). Il n’est pas prédéterminé. La pensée humaniste envisage le déploiement de nos sociétés comme une histoire dont le futur n’est pas joué d’avance. Il reste à faire. Notons au passage le retour assez fréquent du fatum (consultation des astres, résignations du genre : c’est ce qui est écrit qui doit arriver. On n’y peut rien, c’est le destin, c’est la nature., etc.)

-       C’est l’homme qui est l’acteur de l’histoire individuelle et collective qu’il vit. Pour cela, il s’appuie sur trois dimensions du temps : le passé (l’expérience) qui nous permet de comprendre le présent et de nous projeter dans l’avenir. Cette conception est sous-tendue par l’idée de progrès (un idéal) et provoque chacun à l’action collective (engagement) pour réaliser l’histoire (faire entrer l’idéal dans le réel).

-       La finalité de l’action humaine en tant qu’acteur de l’histoire c’est l’épanouissement de l’homme. La politique, c’est l’art de construire la cité de telle sorte que les citoyens puissent y vivre ensemble dans la paix et la sérénité. L’une nos préoccupations actuelles, c’est précisément que l’économique a pris le pas sur le politique (volonté de l’homme) comme moteur de l’histoire

Quand nous parlons d’humanisme, c’est bien ces éléments-là qui sont à l’œuvre. Les textes de l’Eglise de la catégorie 1 sont construits selon cette structure de pensée et en cela, ils font sens dans la culture contemporaine. On s’y reconnaît. On peut les discuter, On sait de quoi on parle.

Les textes de la catégorie 2 sont fortement marqués par la pensée stoïcienne

Le stoïcisme, c’est l’envers d’une conception historique et humaniste d’un monde ouvert sur un avenir indéterminé. Selon les philosophes grecs, chefs de file de l’école stoïcienne, la totalité du réel, c’est le cosmos, grand ensemble organisé logiquement (logos). C’est un donné qui pré-existe à l’homme et qui s’impose à lui avec ses lois naturelles. L’homme n’est qu’une partie de ce grand tout dans lequel il doit trouver sa juste place. L’ambition de l’homme est de le bien connaître, d’en respecter les lois internes (lois naturelles), non pas pour le transformer mais pour s’y ajuster, s’y adjoindre. Toute action humaine qui tendrait à modifier le monde consisterait à troubler cet ordre et serait néfaste Pour les grecs anciens, les dieux n’avaient pas d’autre fonction que de garantir l’ordre immuable du monde. C’est pour cela qu’il fallait les honorer. Honorer les dieux, c’est l’équivalent de respecter la nature. ( Deus, sive natura = Dieu, c’est-à-dire la nature, dira Spinoza).

Dans les textes ecclésiaux de la catégorie 2, on a vraiment le sentiment de se retrouver dans cet univers de pensée, dans l’immutabilité du monde garanti par la nature dont les lois dictent la conduite des hommes qui ne sont plus acteurs de leur aventure humaine mais destinés à remplir un plan voulu par Dieu, lequel plan se révèle à nous dans les lois de la nature (ce Dieu a la même fonction que les dieux grecs : garantir un ordre immuable, an-historique.) Nous ne sommes plus ici dans le projet humaniste, mais dans le respect de ce qui est, dans la soumission consentie au « logos ».

 

NB : Le retour à une pensée de type stoïcienne est d’actualité dans la société contemporaine. Est-ce la fatigue de la charge de l’histoire ? On recourt de plus en plus à la spiritualité bouddhiste, à l’effacement des dimensions du temps au profit du présent, au culte de la nature (écologisme). Le paradoxe en politique est par exemple l’alliance des socialistes qui sont héritiers de la philosophie des Lumières, de la confiance dans les capacités de l’homme à transformer le monde avec les écologistes qui se méfient du progrès technique et veulent guider leur action sur le respect de la nature. Comme le magistère catholique, les écologistes passent de la logique 1 à la logique 2 sauf que ce c’est à l’inverse : les écologistes sont interventionnistes sur les problèmes de société

 (C’est Noël Mamère qui a célébré un mariage gay) mais respectueux de la nature en politique, là où le Magistère catholique s’avère humaniste.

Pour être plus concret, prenons quelques exemples historiques :

 1884 : loi sur le divorce. Bien entendu l’Eglise s’y oppose au nom de l’indissolubilité d’une institution voulue par Dieu (sacrement) et donc immuable, comme si le mariage n’était pas un produit de l’histoire et par là-même échapperait aux aménagements décidés par les hommes. Même le Pape Léon XIII, qui incite les catholiques français à se rallier à la République dans une Encyclique de 1892 ( logique de la catégorie 1) y met cependant comme condition de lutter contre les mauvaises lois ( celle sur le divorce en particulier), assertion de la catégorie 2

 

1967 : loi Neuwirth sur la contraception. Les temps ont changé : nous ne sommes plus dans des sociétés démographiquement fragiles. La fonction de la sexualité n’est plus exclusivement finalisée par la reproduction. La loi enregistre cette mutation historique et donne un cadre légal à la contraception et à une fécondité maîtrisée humainement et non plus laissée aux hasards de la nature. L’Eglise s’y oppose et dès l’année suivante, le Pape Paul VI, contre l’avis de la majorité de sa commission théologique qui avait voté  (démarche de la logique de la catégorie 1), publie Humanae vitae qui refuse toute autre contrôle que celle de la loi naturelle (logique de la catégorie 2).

 

1975 : Loi Weil sur l’IVG. Pour faire face à des dérives d’une certaine gravité : avortements clandestins dans des conditions précaires, déplacements à l’étranger pour les femmes fortunées… le législateur prend ses responsabilités et donne un cadre juridique assorti de droits et d’obligations pour assainir la situation. On connaît la réaction de l’Eglise : refus absolu. L’Encyclique de Jean-Paul II, Evangelium Vitae va jusqu’à évoquer une menace d’excommunication… Elle va sacraliser la nature jusqu’à reconnaître  à l’embryon le statut d’un être humain.

Aujourd’hui, même scénario de la part du magistère à propos du projet du mariage entre homosexuels. Nous sommes toujours dans la thématique de la catégorie 2. Sur ce sujet d’ailleurs le vocabulaire de l’Eglise pour désigner les homosexuels est éclairant : au début on parlait de perversion, de maladie, puis de péché contre nature, puis de désordre. Toujours cette référence à un ordre naturel qui dépasse l’homme et lui interdit de faire entrer l’homosexualité dans une histoire qui est la sienne, qu’il conduit, qu’il assume et qui progresse par tâtonnements. Ici, il n’y a pas de mutation historique qui compte, il n’y a pas d’initiative humaine autre que celle de respecter un ordre immuable.

Dans cette logique, les décisions ne sont pas le fruit d’une délibération de type démocratique. S’agissant de réalités déclarées transcendantes à l’histoire, c’est un magistère qui décide seul parce que ces vérités-là sont censées circuler de haut en bas.

Si la société civile s’était calée sur ce type d’enseignement, il n’y aurait pas de législation sur le divorce, pas d’encadrement juridique de la contraception, pas de prise en charge légale de l’IVG, et demain la reconnaissance de l’homosexualité serait méconnue socialement et abandonnée aux frustrations d’une catégorie de la population. L’absence de loi, de prise en charge des aléas de notre histoire relève d’un angélisme irresponsable débouchant sur l’anarchie, et toutes sortes de dérives incontrôlables puisque nous ne disposerions pas de références juridiques pour les apprécier.

L’expérience me conduit à penser que la démocratie est l’outil le moins mauvais pour traiter de nos affaires et que la pensée humaniste s’inscrivant dans une perspective historique est la plus responsable. …même si rien n’est parfait. Mais nous ne vivons pas dans l’Absolu.

Voilà où j’en suis. Ma cohérence, c’est de toujours réfléchir dans les catégories d’une pensée humaniste et je comprends mal le changement de terrain épistémologique de l’Eglise selon les sujets abordés.

 

Elie Geffray ( Eréac – 15 décembre 2012)


Publié dans Anthropologie

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