Etat-Eglise, Séparation. ? La Loi de 190

Publié le par Michel Durand


ginisty.jpgMerci à Henri qui me communique le texte de la chronique hebdomadaire de Bernard Ginisty. 

J’y ajoute un article de Mgr Hippolyte Simon. Des textes qui me parlent beaucoup alors qu’il m’est arrivé d’entendre les avis de la ville de Lyon (acceptés par l’Eglise à Lyon) sur le strictement cultuel : interdiction d’user l’église du Bon Pasteur (1er arr.) pour autre chose que du strictement cultuel. La raison est plutôt que la Mairie ne respecte pas ses engagements de rendre le bâtiment dans un état de fonctionnement. Voir les articles à ce sujet : ici et ici et enfin ici.


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Un divertissement suffisant ?

La fête du huit décembre a revêtu depuis quelques années à Lyon, une telle importance touristique et médiatique qu’on se souvient peu qu’en réalité, c’est le huit septembre, jour de la Nativité de la Vierge, qui constitue réellement entre Rhône et Saône une solennité.

« Communauté de nos aurores » 

Une fois encore, le débat religieux s’invite dans le débat politique, voire politicien. Réforme de la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat, débat sur l’identité nationale et sur la place de l’Islam dans la République. On ne peut que constater une utilisation de plus en plus risquée des appartenances religieuses. Le journal Le Monde titrait son éditorial du 5 mars ainsi : « Nicolas Sarkozy dévoie le débat religieux ». Lundi dernier, Robert Badinter, ancien Garde des Sceaux et ancien  Président du Conseil Constitutionnel s’est élevé avec force, sur France Inter, contre l’expression « Français d’origine musulmane » qui lui rappelait la bien triste époque où l’on stigmatisait « les Français d’origine israélite ».

 

La phrase attribuée à André Malraux, « le XXIe siècle sera spirituel ou ne sera pas », a très (trop) souvent été citée. En guise de spiritualité, le XXIe siècle s’ouvre par des guerres qui se justifient par les religions aussi bien chez les extrémistes chrétiens américains qu’avec des terroristes prétendant s’inspirer du Coran. Des religions orientales, supposées être plus douces, ne sont pas en reste. L’actualité nous informe de massacres, au nom de l’identité religieuse, dans certains pays asiatiques de tradition bouddhiste ou hindouiste.

En France, le XXe siècle avait débuté par la lutte contre le cléricalisme catholique qui pesait sur la société française. Mais, comme le note Marcel Gauchet, nous assistons à « l'épuisement des ressources intellectuelles et spirituelles de la laïcité militante » (1). Par ailleurs, les idéologies qui ont mobilisé les foules du XXe siècle sont elles aussi épuisées. Libérales ou marxistes, elles apparaissent comme la variante d'un dogme unique : « Cherchez premièrement le royaume de l'économique et tout le reste vous sera donné par surcroît ». Il y a donc un vide où peuvent s’engouffrer sectes, fondamentalismes, dogmatismes générateurs de violence.

D’où l’importance de créer des lieux qui échappent à la fois aux fondamentalismes religieux et au fondamentalisme laïc pour qui toute démarche spirituelle serait suspecte a priori. Chacun peut y faire l’épreuve personnelle de ce à quoi il croit. On peut déplorer que nous ne parlions pas les mêmes langues pour dire la vie et la mort, le sens et l’absurde, le mal et la grâce. Mais il est difficile de penser sans la médiation concrète d’une langue. « Dieu seul est laïque » (2) car, tous les mystiques l’attestent, il se situe  au-delà des langues qui l’expriment et des sentiments des croyants qui le vénèrent.

La quête spirituelle rejoint le travail psychique pour devenir sujet et le combat politique pour la citoyenneté : pouvoir commencer à chaque instant. C'est un thème majeur dans la pensée du grand mystique médiéval Maître Eckhart : la seule façon, dit-il, d'aller vers Dieu, « c'est de le saisir dans l'accomplissement de la naissance » (3).  La voie spirituelle se vit à travers un engendrement permanent. En cela, elle désespérera toujours les nostalgiques de la sécurité des systèmes clos. La spiritualité, ne vit que de la responsabilité de chacun par delà ses enracinements nationaux, raciaux, culturels ou religieux.

Aucune institution, aucun parti politique, aucune Eglise, aucun personnage emblématique ne saurait dispenser chacun d'entre nous de risquer de nouvelles naissances. Croire que de simples appartenances pourraient nous en dispenser conduit aux pires aberrations. L'avenir ne sera fait ni de la répétition du passé ni de l'installation satisfaite dans la critique de nos idolâtries. Il est ce que nous allons commencer ensemble. Nous vivrons alors ce que le poète et résistant René Char appelle « l'aventure personnelle, l'aventure prodiguée,  communautés de nos aurores » (4).

 

Bernard Ginisty

 

(1) Marcel GAUCHET : La religion dans la démocratie. Parcours de la laïcité. Editions Gallimard 1998, page 29

 

(2)  Tommy FALLOT, fondateur du mouvement protestant « Christianisme social » écrivait ceci : « Dieu seul est laïque ; hélas, l’homme souffre de maladies religieuses, cléricalement transmissibles ». Cité par Pierre Pierrard in Anthologie de l’humanisme laïque. Editions Albin Michel, 2000, page 12.

 

(3)  Maître ECKHART : Sermons, Tome II, Editions du Seuil, 1978, page 113

 

(4)  René CHAR : Les Matinaux in Oeuvres complètes Editions Gallimard, La Pléiade Paris 1988 p. 250

 

 


 

Dans la Croix du 14 mars 2011 :

Eglise de France ou Eglise en France ? Mgr Hippolyte Simon, archevêque de Clermont, vice-président de la Conférence des évêques de France

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Arrestation de Boniface VIII, 1303, attentat d'Agnani


Depuis quelques semaines une question agite l'opinion publique française. À la suite de l'annonce, par le président de la République, d'un débat consacré à la laïcité, une expression revient souvent : il faudrait aménager un « islam de France » et refuser un « islam en France ».

Je n'ai aucune compétence, et évidemment encore moins d'autorité pour parler de l'islam. Mais je voudrais apporter ici une petite contribution à la réflexion en posant la question d'un point de vue catholique : faisons-nous partie de « l'Église de France » ou de « l'Église en France » ?

La première formule a pour elle toutes les apparences de la simplicité, et presque de l'évidence. Puisque nous sommes des citoyens français, nous formons l'Église de France. Et les catholiques allemands sont l'Église d'Allemagne, les catholiques italiens l'Église d'Italie, etc. Mais sous ces apparences trop simples se cache une erreur...

En effet, pour nous catholiques, il n'existe pas d'« Églises nationales », il n'y a que l'Église catholique, présente dans tous les pays du monde, dans la diversité de ses diocèses. C'est pourquoi il n'est pas juste de parler de l'Église de France, même si cette expression est courante dans les médias. Pour comprendre cela, un détour historique est nécessaire. (On me pardonnera d'être schématique, mais tous les compléments sont disponibles sur Internet.)

L'affaire est ancienne. On en trouve déjà une attestation dans les débats qui opposèrent le roi de France Philippe le Bel et le pape Boniface VIII au tournant des années 1300. Le roi de France, voulant contrôler le clergé français, envoya un corps expéditionnaire arrêter le pape, à Anagni, en 1303. L'opération échoua, mais le pape mourut un mois après ce coup de force. Au cours des siècles suivants, l'idée d'une Église de France organisée sous l'autorité du roi, et plus ou moins indépendante de Rome, a continué de se développer. J'en rappelle quelques étapes : après la « pragmatique sanction de Bourges », en 1438, sous Charles VII, le « concordat de Bologne », en 1516, sous François Ier, donne au roi de France la faculté de nommer les évêques et les abbés. C'est ce que l'on appelle le régime de la « commende » qui n'a pas laissé que de bons souvenirs aux catholiques. Plus tard, en 1682, Bossuet rédige la « Déclaration des Quatre Articles » et la fait adopter par une assemblée extraordinaire du clergé du royaume de France. C'est la doctrine du gallicanisme, qui atteint son sommet avec la « constitution civile du clergé », votée le 12 juillet 1790 par l'Assemblée nationale constituante.

À juste titre, le pape Pie VI invite les évêques et les prêtres à refuser de prêter serment de fidélité à cette constitution civile, qui officialisait la mainmise de l'État sur l'Église, à l'exact opposé de l'invitation de Jésus : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » (Luc 20).

Tout le monde sait ce qu'il advient alors : la division de l'Église catholique en France entre « constitutionnels » et « réfractaires », les persécutions, le pays livré à la terreur et, quelques années plus tard, la disparition quasi complète de l'Église constitutionnelle présidée par l'abbé Grégoire, devenu évêque de Blois.

Napoléon Bonaparte, alors premier consul, tente de pacifier les esprits en signant un concordat ratifié par le pape Pie VII le 15 août 1801. Mais il faut bien voir ici qu'un tel concordat, qui est une sorte de traité international, n'implique pas la soumission de l'Église à l'État, mais suppose au contraire l'indépendance et la reconnaissance mutuelle des deux parties qui s'accordent sur un texte. À partir de là, il n'y a plus de sens à parler de « l'Église de France », puisque l'État reconnaît que c'est le Saint-Père, le successeur de l'Apôtre Pierre, qui représente l'Église catholique et qui s'engage en son nom.

En mai 1904, le gouvernement français dénonce unilatéralement le Concordat de 1801. Pour éviter justement l'erreur de la constitution civile du clergé, Aristide Briand propose non pas de séparer l'Église de France de l'autorité de Rome, mais de séparer l'Église catholique de l'État. Ainsi, la loi de 1905 établit, en son article 2, que « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ». Mais il ne faut pas oublier l'article 1, qui stipule : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes... »

À tous ceux qui disent que la religion ne relève que de « la sphère privée », il convient de faire observer ce premier article de la loi de 1905. Le libre exercice des cultes est un problème public, car il s'agit bel et bien d'une liberté publique, garantie par la loi. Quant à la « reconnaissance », il ne faut pas commettre de contresens. S'il n'y a plus de « reconnaissance juridique » au sens de ce qui était établi par le Concordat (à l'exception notable de l'Alsace, de la Moselle, de la Guyane et de Saint-Pierre-et-Miquelon, etc.), il reste que la mise en œuvre de la loi de 1905 ne peut pas faire abstraction d'une « reconnaissance de fait » des Églises et des communautés religieuses. Car comment garantir le libre exercice des cultes à des communautés que l'État ne (re)connaîtrait pas ?

Pour nous catholiques, ceci se vérifie surtout depuis 1924, lorsque la République a, de facto, « reconnu » la légalité des associations cultuelles diocésaines demandées par le pape Pie XI. Mais il est bien clair que la République ne connaît que l'Église catholique romaine, qui est en France, et non pas l'Église de France. La preuve est ici expérimentale : depuis que Lionel Jospin en a pris l'initiative en 2002, lorsque le premier ministre reçoit une délégation de l'Église catholique, cette délégation est conduite par le nonce apostolique en France. Et ceci est parfaitement conforme à la tradition et au droit actuel de l'Église catholique.

Du fait de l'absence d'une autorité religieuse universellement reconnue pour les autres cultes présents dans la République, la question est sans doute plus difficile à résoudre pour eux. On sait que Napoléon a tenté de la régler pour les protestants et les juifs : ce sont les « articles organiques », ajoutés au Concordat, en 1802 et 1808. Malgré la disparition du Concordat, les organisations religieuses mises en place pour ces cultes présents en France en 1905 continuent leur mission de représentation de leurs communautés auprès de l'État.

Toute la difficulté pour le culte musulman tient donc à cette absence de représentants « religieux » vis-à-vis de l'État. Depuis 1990, tous les ministres successifs de l'intérieur, qui sont en charge du bureau des cultes, et non pas « ministres des cultes » comme on le dit parfois, ont œuvré à la création d'un Conseil français du culte musulman. Ce conseil a été créé en 2003, mais il est régi par la loi de 1901 sur les associations et non pas par la loi de 1905 sur les associations cultuelles.

Comme évêque catholique, je n'ai pas à intervenir dans les débats relatifs à cette instance. Car c'est aux musulmans qui sont en France qu'il revient de savoir ce qui est bon pour eux, dans le cadre institutionnel de la laïcité établie par la République française. 

Toutefois, il me semble que l'avertissement limpide du cardinal Lustiger reste toujours d'actualité. Avec quinze ans de recul, il prend encore plus de relief au regard des événements qui se déroulent actuellement dans les pays du sud de la Méditerranée : « L'islamisme regarde d'abord les pays musulmans. Ce n'est pas en France que seront résolues les questions posées à l'islam, mais là où il est majoritaire. Et ce n'est pas au gouvernement français de créer un islam à la française. C'est se tromper de siècle que de rêver d'organiser les "cultes"comme Louis XIV ou Napoléon. Aujourd'hui, il n'y a guère d'autre solution que de faire respecter avec sagesse et bienveillance la loi républicaine et d'attendre trente ans, à peu près deux générations, le temps nécessaire pour que, dans une société aussi unitaire que la nôtre, les musulmans de nationalité française se perçoivent et soient perçus comme des Français de religion musulmane. » (Libération, 14 novembre 1995.)

Publié dans Eglise

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