Le Réalisme est précisément le bon sens des salauds.
A la suite d'un bref rappel historique, je donne le point de vue de Vincent de "Chrétiens et pic de pétrole". Ne pas hésiter à se rendre directement à cette partie : Vincent commente.
Je vais cette semaine, sauf si l’actualité me conduit vers d’autres réflexions, davantage me consacrer à l’étude des rapports de l’Eglise et du monde notamment dans l’indispensable regard sur l’impossible développement durable.
La semaine passé, je fus plutôt conduit à regarder l’Eglise en son intériorité avec la lecture de la seconde lettre pastorale de Philippe Barbarin. Mais, à prendre quelque distance, on aperçoit les liens qui existent entre ces diverses réflexions.
Regardons à grands traits l’Histoire de l’Eglise.
Avec le Concile de Trente, l’Eglise (Institution) s’est constituée contre les Protestants. Eglise de la contre-Réforme qui est devenue, par la force des choses,
Eglise de la réforme catholique. Tout en s’opposant à la pratique de lecture de la Bible par tous dans une langue vernaculaire, on exalte l’eucharistie, le tabernacle, le très Saint Sacrement.
Alors que les Calvinistes construisent des chaires monumentales, les Romains montrent des tabernacles ou même l’hostie dans des meubles ostensoirs fabuleux (Rome, Ste-Marie-Majeure).
Au XVII-XVIIIe siècle l’opposition de l’Eglise se manifeste principalement contre la recherche scientifique. La peur d’un monde moderne, existant déjà, se durcit. L’Eglise, en ce domaine, perd irrésistiblement sa crédibilité. Elle se constitue plus que jamais en forteresse pour se protéger d’un monde dangereux. Démocratie contre monarchie. Foi contre science et raison. Le XXe siècle signera cette tendance fondamentale avec le serment antimoderniste (1er nov 1910, Pie X).
Le milieu du XXe siècle a su s’ouvrir aux diverses recherches scientifiques et si dans les séminaires, au cours des années 60, on prononçait ce serment, les directeurs expliquaient que cela n’était qu’une formalité sans conséquence. C’est au moins ce que j’ai vécu au séminaire français de Rome, sans bien comprendre, l’enjeu de la situation.
Le concile de Vatican II ouvrait l’Eglise sur le monde. C’était, en quelque sorte sa première sortie en cette direction depuis le concile de Trente (1545-1563). J’ai abordé cette question la semaine passée à propos du texte de Vatican II, Gaudium et spes.
L’Eglise s’ouvre. Plus exactement, elle prend conscience de l’incarnation du Verbe, de la présence de Dieu parmi les hommes. Le travail de l’action catholique, la présence de séminaristes et de prêtres à l’armée pendant les deux guerres mondiales, la réalité des prêtres ouvriers, la force de la pastorale de l’enfouissement… ont aidé à prendre conscience de l’importance de la réalité du monde pour lequel Jésus est venu. Le monde effraie toujours, mais l’urgence de la mission qui pousse à sortir de son intérieur l’emporte. On comprend et vie spirituellement l’amour du monde.
Sur la fin du XXe et en ce début de XXIe siècle l’hostilité envers le monde, la science, la raison, l’emporte de nouveau. Liée à la Monarchie, l’Eglise, jadis située en forteresse contre les Réformés, se barricade aujourd’hui face aux idées qui visent à remettre en cause les habituels modes de vie hérités de la bourgeoise des affaires. De tout temps, finalement elle entretient une peur de la modernité et se constitue en forteresse contre toute nouveauté. L’ouverture des années conciliaires ne serait qu’une dangereuse parenthèse, désormais refermée, et devant laquelle il faut construire une forteresse afin de maintenir l’identité ecclésiale traditionnelle ! Je demande : quelle tradition ?
Vincent, prenant connaissance de la position ecclésiale et intellectuelle d’un écrit de Mgr Crepaldi, me communique sa réflexion. Je vous la présente comme témoin de l’actuelle fermeture de l’Institution catholique. Fermeture qui, justement, me place "en manque d’Eglise".
A propos de la doctrine sociale de l'Eglise
Mgr Crepaldi, archevêque de Trieste, est le président de
l'Observatoire international « Cardinal Van Thuân ». Il parle de la décroissance comme étant autant erronée que le sur développement qu’elle combat (Sur la doctrine sociale de l’Eglise, Jeudi
25 Novembre 2010).
« Le matérialisme est également évident dans le développementalisme, qui consiste à examiner les problèmes de développement uniquement comme des problèmes matériels, sans tenir compte de la vie culturelle, religieuse ou spirituelle. D'un autre côté il y a aussi l'idéologie de la décroissance, ou du post-développement, qui nie la valeur du développement et exprime une vision pessimiste de l'homme. Le paupérisme est à l'inverse l'idéologie selon laquelle pour aller tous mieux et pour qu'il y ait plus de justice, nous devrions tous être pauvres et répartir en parts égales le gâteau de la richesse. Le paupérisme est souvent marié au tiers-mondisme, qui revient à attribuer toutes les fautes du sous-développement aux pays développés -simplifiant ainsi le cadre des responsabilités ». [...]
« Le catholique engagé en politique devrait se méfier des pièges de ces idéologies, qui sont aujourd'hui très insidieuses. Il devrait être guidé par un sain réalisme, je dirais par un réalisme chrétien. La vérité est la réalité. Le bien n'est autre que la réalité pour autant qu'elle est désirable.
Que le catholique adhère à cette réalité et il verra que souvent, les choses ne sont pas comme les idéologies les présentent. Qu'il conserve sa liberté de jugement, qu'il promeuve des approches alternatives : aujourd'hui le réalisme catholique est l'approche la plus alternative aux problèmes qui existent. »
Vincent commente :
Georges Bernanos affirmait que « Le Réalisme est précisément
le bon sens des salauds. » (Pléiade, Tome 2, p. 977, préface à son essai livre La France contre les robots -1946) notamment face à tous ceux qui, pendant la guerre, invoquaient ce fameux «
réalisme » pour justifier leur collaboration au régime de Vichy. « Des possédants possédés par ce qu'ils possèdent » observait de Gaulle face à la faiblesse de l'engagement de la classe
bourgeoise pour la Résistance.
Ce procès d'intention, Mgr Crepaldi, est une nouvelle démonstration que la doctrine sociale de l'Eglise est aux mains des classes possédantes qui instrumentalisent et détournent le message du Christ pour servir ses intérêts : ceux de Mammon.
Leur réaction face à ce discours est invariable : condescendance, position de la pseudo-modération doublée d'un renvoi à l'extrémisme et si cela ne suffit pas posture outrée.
« Il serait temps que l'Eglise fasse un effort pour se désolidariser de ces gens qui se servent d'elle tout en la compromettant. Un seul moyen : ne plus craindre de prêcher, du haut des chaires catholiques, la doctrine traditionnelle du christianisme à l'égard de la propriété, retrouver les accents de fière indépendance de Saint Jean Chrysostome ou de Saint Amboise, penser selon l'Evangile et s'efforcer d'agir de même. On distinguerait vite, alors, les disciples du Christ des profiteurs de l'Eglise ! Et cette clarté serait salutaire pour tant d'âmes que la situation présente scandalise... Et l'Eglise se purifierait.
Dans une pauvreté nouvelle, conséquence de la déception bourgeoise ?
Peut-être.
Il est des souffrances nécessaires parce que rédemptrices. Et il faut avoir le courage de les accepter.
Mon Dieu, donnez ce courage à vos évêques, à vos prêtres, à votre Eglise ! »,
Maurice Landrain, L'apostasie de la classe bourgeoise, Terre nouvelle, organe des chrétiens révolutionnaires, juin 1935.
Et, pour terminer, une réflexion inspirée par Bruno Hongre :
« Quel prétention de Mgr Crepaldi, tout archevêque qu'il est, de connaître et monopoliser « la » réalité et à l'imposer ensuite comme « la vérité ». On est bien loin de l'humilité de Jésus...»