MUSIQUE

Publié le par Michel Durand

la musique ici s’élève mieux, elle vibre contre l’écorce, contre le bois élevé vers le ciel, tout près de nous…

 

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Les trams de Grenoble sont étonnants, certes – mais les bus le sont aussi… hier autour de quatorze heures, ligne 3, celle qui dessert entre autre le CHS de Saint-Égrève – l’Hôpital psychiatrique, pour les connaisseurs… deux copains se rencontrent, ils blaguent, ils rigolent, une toute petite vielle dame est là assise à côté d’eux, elle souhaiterait disparaître en dessous de son siège, je pense à la coquille de l’escargot ; bref, dans la jubilation des retrouvailles, l’un des deux compères sort de son sac une flûte, et le voilà qui pousse à tue-tête une Marseillaise éraillée, déjantée et vaguement monocorde, un hymne en l’occurrence, joyeusement massacré, dont même Monsieur Sarkozy souhaiterait se détourner, je pense… c’est l’éclate dans le bus, tout du moins la bonne humeur et la surprise… nous filons toujours vers le nord… ‘Pont de Vence’…, ‘Saint-Égrève Mairie’ : les deux acolytes descendent…, ‘La Pinéa’, c’est moi qui descends : je vais aller rendre visite à un ami qui se trouve pour une semaine en séquentiel à l’Hôpital de Saint-Égrève… je passe le porche un peu pompeux…, le bassin et sa grenouille est là qui crache son eau chuintante et glougloutante ; devant-moi, au loin : un groupe de trois personnes, deux hommes, une femme, de la musique aussi, je reconnais un saxophone, un saxophone ténor – j’en ai un , je sais de quoi je parle… ce groupe marche lentement, l’un des deux hommes joue de son instrument, c’est beau, c’est bon, c’est grave et c’est soyeux… je les rattrape sans aucune difficulté – « Bonjour, c’est beau… », le musicien : – « Bonjour ; merci… », puis nous parlons un peu technique, l’instrument que cet homme a entre les mains se trouve être un Selmer, c'est-à-dire pas n’importe quoi… un Selmer assez ancien, une production d’avant les Super Action II, etc. de plus, il est équipé d’un bec métal, ce qui n’enlève rien à l’affaire… l’homme tout en marchant lâche un chapelet de notes colorées, on entend le souffle vibrant, tremblant en fin de parcours, ce son puissant inonde une bonne part du parc de l’Hôpital – and it’s so good, of course… c’est si bon… La femme qui est avec nous se trouve être une infirmière, elle sourit, elle est heureuse d’être là, elle avoue ne pas y connaître grand choses à ce genre d’instrument, mais, oui, elle est bien, ici ; en voyant ces soignants – des soignantes, en l’occurrence, pour la plupart des cas – je pense toujours, ou bien souvent, à de petites âmes gracieuses, gardiennes et bien intentionnées de personnes en souffrance, en manque de repères… – et c’est très beau, léger et lumineux … des silhouettes blanches… un peu de bleu jeté sur leurs épaules… c’est merveilleux… ; bref, l’homme cherche un endroit tranquille, et ce n’est pas ce qui manque dans ce grand et beau jardin du CHR de Saint-Égrève… ils prennent sur la gauche, je les laisse – « Au revoir… », – « Au revoir… », et me voilà parti vers le fond du parc pour aller rencontrer mon ami, il se trouve dans un pavillon fermé, à l’accès réglementé. Un infirmier se tient à la porte d’entrée, je lui demande l’autorisation de rencontrer mon copain… il vérifie le protocole qui le concerne : il peut sortir, pas de problème, mais pas de l’enceinte de l’hôpital – ok , le musicien n’en sort pas non plus, il joue toujours, nous le rejoignons… la musique monte telle une colonne, torsadée, fragile et bien construite, agencée, l’homme est beau, calme et tranquille – serein ; au bout d’un moment, l’infirmière se retire sur la pointe des pieds, elle raccompagne le monsieur qui était avec elle ; un autre pensionnaire se joint maintenant à nous, il a le sourire aux lèvres… nous admirons, le plaisir des yeux et des oreilles… – « C’est un peu comme de la musique indienne, je travaille sur un gamme, j’improvise ; la technique en elle-même ne m’intéresse pas tellement… », et il improvise bien, notre musicien, souplement, plutôt dans le registre des graves – moi qui était venu, entres autres ici, pour rencontrer et écouter mon ami admis pour une semaine, nous voilà finalement là qui écoutons un autre, un autre homme, une autre personne, qui joue de la musique… ; au bout d’un moment, je demande au musicien, par avance un peu inquiet de sa réponse – « Excusez-moi, je ne pourrais pas faire une photo, là, de votre instrument ?... », – « Oui, si vous voulez ; comme çà ? »,  – « … Avec-vous dessus ?! ça ne vous dérange pas ?... », – « Non, pas du tout… » – « Oh oui alors : parfait !… », – « Attendez ; le grillage du cours de tennis, derrière, ce n’est pas terrible…, là-bas, il y a des arbres : ce sera mieux, je pense… », nous y allons…, et quels arbres ! des immenses cèdres, des pattes d’éléphants… notre musicien reprend tout naturellement la dépose des notes, je déclenche avec bonheur, une fois, deux fois, trois fois… ; la musique ici s’élève mieux, elle vibre contre l’écorce, contre le bois élevé vers le ciel, tout près de nous… Une flûte dans un bus ou un sax au pied d’un arbre : c’est encore et finalement la même chose, la même histoire, quand c’est joué avec bonheur et cœur, et quand c’est entendu aussi, écouté par des âmes sensibles… Puis l’heure vient de rentrer, pour lui, pour notre musicien… l’heure de regagner son pavillon… il a droit à une heure, nous parlons encore musique et saxophone… je lui fais part de mon souvenir de Vienne, d’un concert de Jazz à Vienne qui doit bien remonter à 16 ou 17 ans, je pense… Sonny Rollins,  Sonny Rollins au pied des gradins, immense silhouette, colosse aux pieds d’argile, et pourtant la puissance du son : un genre de monument, en vérité ! et beaucoup de finesse aussi, de doigté – un émerveillement pour moi, comme un éclair, une petite illumination… la force de la vie qui ignore les années… qui les passent comme au-dessus d’une barrière ; ce n’est pas rien, ça, c’est une chose qu’on n’oublie pas… enfin, je lui parle de ça, de ce souvenir, à ce musicien providentiel des grands arbres rugueux tout lancés vers le ciel… – « Au revoir, à bientôt ; bon courage pour vos soins… », – « Au revoir, Merci ; merci de m’avoir écouté... » ; tout le plaisir a été pour nous…, puis nous nous séparons. Je me retrouve maintenant seul avec l’ami pour lequel j’avais fait le voyage, le déplacement : un musicien, lui aussi ; et nous ne restons pas longtemps seuls d’ailleurs, nous passons en effet au foyer pour aller boire un pot, un copain de l’ami est là ; je ne le connais pas, il me salue – « Bonjour ! Vous, vous avez la tête d’un musicien, vous savez… », – « Oui, c’est vrai, j’en sui un… » ; décidemment, on n’en sort pas, on n’en sort pas de la musique, de cette musique…, – « Et vous aussi, vous êtes musicien ? », – « Oui, je suis guitariste ; je joue de la guitare électrique », ohhhw… quelle journée ! rien que de la musique, encore de la musique, toujours de la musique… ; nous avalons nos jus ; enfin, l’heure est venue de nous séparer les uns les autres, et la musique de nos vies reste encore à écrire, plus ou moins – et plutôt plus que moins, d’ailleurs, ici, ailleurs ; isn’t it ?...

 

 

Jean-Marie Delthil. 11 avril 2010.    

Publié dans J. M. Delthil

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