Pardon Pardonner, pardon réciproque
J’ai lu avec beaucoup de plaisir et d’émotion « Ce que le jour doit à la nuit » de Yasmina Khadra. On y retrace l’histoire de l’Algérie du Nord région d’Oran, depuis les années 30. Les intrigues amoureuses de jeunes sortant de l’enfance puis de l’adolescence guident avec suspens le récit et nous permettent de circuler au travers des diverses composantes de la Société. On y retrouve la pauvreté des douars algériens telle qu’Albert Camus les a décrits pour la Kabylie, les multiples milieux sociaux des Français et la société algérienne qui, dès 1945, pense à son indépendance. Une population bien mal menée qui ne cache pas sa joie de vivre jusqu’à aujourd’hui où la paix, la prospérité, la liberté de penser n’est pas encore totalement acquise.
Le livre de Yashmina Khadra m’offrit l’occasion de méditer sur le pardon. Quelles sont les conditions du pardon ? On ne pardonne bien qu’à celui qui reconnaît ses fautes, ses torts.
Un Algérien de l’Est, que j’ai rencontré il y a quelques années dans sa ville natale, m’expliqua qu’il ne lui était pas possible d’accepter la demande de réconciliation que lui imposait son gouvernement. « Des membres du GIA, me dit-il, sont venus dans mon quartier pour tuer des parents, des voisins. Ils ont été emprisonnés et sont maintenant relâchés. En plus de la liberté, malgré leurs crimes, on leur a donné une voiture et de l’argent. Avec cela, ils ont retapé leur maison ».
Je n’ai pu vérifier l’exactitude de ce récit. Sa réalité existe au moins dans la mémoire de celui qui m’a parlé. « Ces gens, nos voisins, qui nous ont fait un tord irréparable vivent maintenant mieux qu’avant et on nous demande d’oublier, de passer l’éponge ! C’est une injustice ! C’et comme si on acceptait qu’ils avaient eu raison de tuer les nôtres. Si on reconnaît qu’ils ne puissent pas être en prison toute leur vie, il faudrait quand même ne pas les favoriser ».
Je traduis cette indignation en affirmant de nouveau que le pardon n’est possible qu’envers ceux qui reconnaissent leur tort. Le pardon à long terme est, certes, nécessaire ; mais pas à n’importe quelle condition. L’histoire mouvementée d’Algérie a aujourd’hui encore besoin d’un pardon enraciné dans une profonde recherche de vérité.
Tout le roman de Yasmina Khadra invite à ce discernement ouvert au pardon, un pardon sans cesse difficile. Un pardon qui apporte la paix, celle qui permet de mourir l’esprit tranquille. Je résume la pensée de l’auteur dans la « lettre d’Émilie à Younes (Jonas).
Cher Younes,
Je t’ai attendu le lendemain de notre rencontre à Marseille. Au même endroit. Je t’ai attendu le jour après, et les jours qui ont suivis. Tu n’es pas revenu. Le mektoub comme on dit chez nous. Un rien suffit à tout, à ce qui est bon et à ce qui ne l’est pas. Il faut savoir accepter. Avec le temps, on s’assagit. Je regrette tous les reproches que je t’ai faits. C’est peut-être pour ça que je n’ai pas osé ouvrir tes lettres. Il est des silences qu’il ne faut pas déranger. Pareils à l’eau dormante, ils apaisent notre âme.
Pardonne-moi comme je t’ai pardonné. De là où je suis maintenant, auprès de Simon (son époux) et de mes chers disparus, j’aurais une pensée pour toi ».
Le pardon authentique et réciproque est, universellement, la base de toutes relations sociales. Faire à autrui ce que l’on aimerait que l’on nous fasse.
Pardon qui peut s’exprimer à l’extrême dernier moment. Ainsi Jean-Christophe qui ne voulait plus rencontrer Younes :
- M’a-t-on pardonné ?.
- Et toi est-ce que tu m’as pardonné ?
…
- Tabqa ala Khir, Jonas. Va en paix.
Il me prend dans ses bras. Je sens son corps frémir dans mon étreinte. Notre accolade dure une éternité.