STOP
Ce matin, sept heures et dix minutes. Je quitte mon domicile, m’approche le l’arrêt de tram Charles Michels à Fontaine, des rames sont stationnées, immobilisées en pleine voie… une, deux, trois… une autre encore un peu plus loin — aucunes d’entre-elle ne prend de voyageur.
— (moi) « Bonjour, qu’est-ce qui arrive ? Il y a une panne ? »
— (un homme qui attend) « Non, il vient d’y avoir un problème au terminus, à La Poya… il y a une descende de police en ce moment, je viens juste de passer devant… »
La circulation va rester bloquée pas mal de temps à mon avis, je suis loin du centre-ville, alors ni une ni deux, sans me poser de questions :
— « Je vais aller arrêter une voiture, je vais faire du stop »
L’homme me regarde, étonné…
— (moi) « Vous venez avec moi ?! »
— (lui) « Non, non, je vais rentrer chez-moi… »
— « Au revoir »
— « Au revoir »
Un feu est à deux pas, sur l’avenue, et bien qu’étant loin du centre-ville elle peut y mener cette artère… Je presse le bouton pour les piétons… le feu passe à l’orange… au rouge… une petite voiture blanche s’approche, elle freine, elle stoppe, je frappe à la vitre :
— « Bonjour, il n’y a plus de tram, vous allez en centre-ville ? »
— « Euu, oui »
— « Vous pourriez me déposer s’il vous plaît ? »
— « Allez-y… »
Le jeune homme, juste un peu embarrassé sur le coup, me prend avec plaisir, nous nous mettons à parler de ce qui vient de se passer au terminus… la police… nous embrayons au fil de la discussion et rapidement sur la violence, sur les inégalités, sur la pauvreté, sur le chômage, sur le manque de justice sociale dans notre pays qui se fait de plus en plus sentir… L’homme est jeune : 25, — 30 ans tous au plus, il va bosser… on parle travail et on tombe pile d’accord : « Il y a des travaux qu’on nous fait faire qui sont merdiques, mais alors merdiques !... », et soyons bien d’accord, je ne suis pas là — nous n’étions pas là — en train de critiquer le travail en tant que tel bien entendu… mais nous critiquions ouvertement ces jobs et autres travaux à exécuter où rien n’est possible finalement, où les conditions dans lesquels on les exerce sont parfois dures, très dures, insupportables même, tant la concurrence… ou le manque d’amitié, d’entraide, de solidarité, y ont cours… sans bien même que nous n’osions le plus souvent nous l’avouer ouvertement… Là nous nous l’avouons. Nous sommes d’accord, assis dans cette petite voiture. L’homme est de la génération qui me fait suite… il me confie que cela le rassure d’entendre une personne de mon âge avec cet avis-là : oui, nous partageons les mêmes idées… Inutile de vous dire que ça m’a rassuré aussi d’avoir été compris par un homme de cette génération… « Ca va changer, ça va changer !… c’est impossible que ça continue comme ça… ça ne va pas dans le sens de la vie tout ça… », sur les quelques kilomètres que nous avions à parcourir, on a dû répéter au moins trois ou quatre fois « Ca va changer... », lui tout comme moi.
L’entraide. Le dialogue. L’entente. L’espérance. L’amitié… sans tambour ni trompette, au raz des pâquerettes, du pavé… c’est du terrain dont je vous parle, qui ne fait pas de bruit, et qui fermente, qui unifie, qui fédère, qui redonne vie, cohérence, sens, direction, vers de l’humain, du beaucoup plus humain…
— « La Place Victor Hugo ça vous va ?! »
— « Ca peut pas être mieux : c’est justement là où je vais ! »
Concorde... Providence ! Auparavant, il aura fallu un peu d’audace, pour lui, pour moi… un tout petit poil d’audace… et quel risque, en vérité ?!
Notre poignée de main a été franche, solide, très bonne, lorsque nous nous sommes séparés.
Jean-Marie Delthil.
Autostoppeur d’occasion. 5 janvier 2011.