Un seul capital à sauvegarder, l’homme
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« Chers frères évêques, pour défendre la vie, nous ne devons pas craindre l'hostilité ou l'impopularité, en refusant tout compromis et toute ambiguïté, qui nous conformeraient à la mentalité de ce monde ». Le jeudi 28 octobre 2010, le pape interpellait ainsi les évêques brésiliens. Cette intransigeance de l’Église en matière de mœurs s’applique-t-elle avec cette exigence absolue au domaine économique ? Vieux débat.
Dans un texte paru cet été dans Le Monde diplomatique* , Serge Latouche nous livre une analyse certes dérangeante, mais néanmoins incontournable de l’encyclique Caritas in veritate publiée voilà un an. Le professeur d’économie s’étonne d’y lire qu’« il existe une convergence entre science économique et évaluation morale ». La logique financière serait-elle celle de l’Homme ? Serge Latouche, un homme ouvertement athée, invite à mettre cette déclaration en regard avec cette phrase de l’Évangile : « Aucun homme ne peut servir deux maîtres. Car toujours il haïra l’un et aimera l’autre. On ne peut servir à la fois Dieu et Mammon » (Matthieu 6, 24).
Un catholique, François de Ravignan, ingénieur agronome spécialiste de la faim dans le monde et auteur de L’économie à l’épreuve de l’Évangile, s’interroge sur le mot « développement » employé 258 fois dans les 127 pages de l’encyclique : « En dépit de cette conception [celle de l’Encyclique], le terme de développement. est pourtant considéré en pratique, de façon très générale, et ce depuis sa première décennie onusienne (1950-60), comme synonyme d’une croissance économique associée à la mondialisation des échanges commerciaux, dont l’arme principale est la concurrence, désignée aussi sous le nom de guerre économique. Cette guerre-là, comme toute guerre, fait des morts et des blessés ; ce qui est difficilement compatible avec l’affirmation selon laquelle “l’homme est le premier capital à sauvegarder”. Il convient ici de rappeler que le développement, croyance occidentale s’il en est, correspond dans sa pratique à la mise en œuvre des deux aspirations que Jésus a le plus clairement condamnées dans son Évangile à savoir la richesse et la puissance. »
L’idéologie du développement et son avatar le développement durable sont aujourd’hui remis en cause par ceux-là mêmes qui les avaient portés au plus niveau institutionnel. Dominique Bourg est présenté régulièrement comme le « pape » du développement durable en France. Dans la revue jésuite Études, celui qui fut un des principaux négociateurs du Grenelle de l’environnement écrit cet été : « Nous parlons de développement durable depuis plus d’une vingtaine d’années. C’était une tentative pour dissocier la croissance du PIB de la consommation d’énergies et de ressources naturelles. Nous savons maintenant que c’est impossible. Deuxième diagnostic sévère sur le développement durable : ce devait être une démarche de prévention, d’anticipation à l’échelle des problèmes globaux, tant en matière d’environnement que de répartition de la richesse. Or, force est de constater que le développement durable est à cet égard un échec, même s’il a inspiré maintes actions intéressantes à une échelle locale, et également pour les entreprises. (…) Repensons à ce que disaient les grands textes fondateurs de la réflexion écologique des années 1970, ceux d’Illich, des époux Meadows, les auteurs du rapport au Club de Rome, de Georgescu-Roegen, Goldsmith ou Gorz. Tous n’envisageaient d’autre possibilité qu’une décroissance des économies. Or, nous sommes désormais contraints de considérer à nouveau cette perspective. (…) Il convient donc de refermer la parenthèse du développement durable. »**
Si les partisans de la décroissance se sont réjouis de ce récent retournement de Dominique Bourg, ils font néanmoins remarquer au philosophe que, depuis sa création, des écologistes dénonçaient ce concept. Ainsi, le père de la bioéconomie, Nicholas Georgescu-Roegen, définissait le développement durable comme un «concept toxique ». En 2001, le sénateur centriste Marcel Deneux analysait bien toute l’ambigüité et la duplicité auquel se prêtait ce terme. Dans un rapport remis au Sénat, il observait : « L'équivoque de l'expression “développement durable” garantit son succès, y compris, voire surtout, dans les négociations internationales d'autant que, puisque le DÉVELOPPEMENT est proclamé durable, donc implicitement sans effets négatifs, il est consacré comme le modèle absolu à généraliser sur l'ensemble de la planète. »***
Les questions que soulèvent l’objection de croissance et la décroissance sont sérieuses. Coupons court aux caricatures habituelles : il ne s’agit pas de faire un déni de l’économie, de la consommation, ou de la science ; il s’agit de refuser leur absolutisation et le refoulement des limites de la planète et de l’homme. La décroissance n’est pas, bien sûr, une simple décroissance quantitative mais un projet de société portant les valeurs de partage, de ralentissement ou de gratuité. L’étonnement provient surtout de ce que les chrétiens ne s’engagent pas davantage dans cette voie tant elle semble évidente au regard de la morale chrétienne. Un seul exemple : en 1973, le philosophe chrétien André Amar évoquait ce sujet dans une revue intitulée « Les objecteurs de croissance ». Des hommes politiques de premier plan y apportaient leur signature comme Jean-Pierre Chevènement, Michel Rocard ou Lionel Stoléru. André Amar écrivait : « Si la décroissance, au moins sous certaines formes, apparaît aujourd'hui comme nécessaire, on ne peut, en revanche, traiter superficiellement les problèmes économiques ou politiques qu'elle suscite. Notre intention est plus particulière : essayer de montrer comment et jusqu'où le phénomène de la croissance est enraciné dans l'esprit même de la civilisation occidentale moderne ; qu'il procède d'une inversion de nos valeurs morales ; enfin que toute forme de maîtrise de la croissance suppose une mutation profonde de notre pensée.****
Début 2009 s’est déroulé à Lyon un colloque dans cette perspective.***** Son succès et l’actualité de cette réflexion ont encouragé ses initiateurs à organiser une suite. Une deuxième édition intitulée : « Objection de croissance et christianisme, quelles convergences ? quelles divergences ? » aura lieu du 18 au 20 novembre 2011. Cet événement est précédé par tout un travail recherche . L’Église ne doit pas passer à côté de ce débat qui, selon le député Yves Cochet présent au côté de Philippe Barbarin au premier colloque, « sera l’objet central de la décennie ».
du groupe Chrétiens et pic de pétrole
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[*] (8-2010)
[**] L’éco-scepticisme et le refus des limites, juillet 2010.
[***] L'évaluation de l'ampleur des changements climatiques, de leurs causes et de leur impact prévisible sur la géographie de la France à l'horizon 2025, 2050 et 2100.
[****] La croissance et le problème moral, Les cahiers de la Nef .
[*****] Voir : www.chretiens-et-pic-de-pétrole.org et le livre tiré du colloque Quelles ressources spirituelles pour faire face à l’épuisement des ressources naturelles ?, éditions Parangon, 2009.