Chrétien, nous pensons que la communion au Ressuscité donne le souffle nécessaire pour que l’humanité rejoigne sa vocation au bonheur

Publié le par Michel Durand

Le chercheur Aurélien Barrau porte son double regard d’astrophysicien et de militant écologiste sur le vaisseau Terre : un monde fragile à préserver, car c’est le seul dont nous disposons.

Le chercheur Aurélien Barrau porte son double regard d’astrophysicien et de militant écologiste sur le vaisseau Terre : un monde fragile à préserver, car c’est le seul dont nous disposons.

Nicolas Ridoux vient d’envoyer à ses contacts une vidéo de la conférence d’Aurélien Barrau : face à la catastrophe écologique, ne pas être radical a-t-il encore du sens ?

source de la photo

« Ceux d'entre vous, écrit-il, que le sujet interpelle pourront relire mon petit livre, qui abordait déjà tous ces sujets, il y a 15 ans. » Il est question de La décroissance pour tous, Parangon , 2006.

Voir ici.

 

En 2009, le groupe Chrétiens et pic de pétrole tenait à Lyon un colloque intitulé : Quelles ressources spirituelles pour faire face à l’épuisement des ressources naturelles.

Nicolas Ridoux était chargé de le conclure en synthétisant, les propos des intervenants. J’avoue avoir relu ces pages avec émotion. Synthèse, un constat très concret. Depuis plus de 20 ans, nous disons et redisons la même chose et il faut encore le redire, comme le prouve Aurélien Barrau, pour que changent nos modes de vie.

Je recopie ci-dessous une partie de l’intervention de Nicolas Ridoux au colloque de 2009.

Et dans notre propre tradition religieuse ?

 

Patrice de Plunkett partage (…) cet avis qu'« aujourd'hui, il faut prélever avec précaution pour partager avec un nombre de plus en plus grand d'humains sur une planète qui, elle, ne peut pas grandir. C'est un phénomène qui change tout, qui peut nous obliger à réinventer l'économie ». La Bible, en particulier les Évangiles, met en marche ceux qui les lisent. Les Écritures comme l'écologie proposent un art de vivre plus sobre. Les chrétiens ont dès lors une double responsabilité : être conséquent avec leur tradition et prendre acte de leur nombre sur la planète : 2 milliards de personnes qui peuvent « changer le modèle global, selon la formule de Benoît XVI ».

Robert Beauvery réfléchit aux notions de mesure et démesure, dans la pratique actuelle des entreprises -croissance infinie, accélérée, recherche du profit avant toute autre considération (environnementale, sociale, etc.) - et dans les Écritures. Ces dernières nous donnent « l'homme » comme mesure : une mesure propre à chacun. La démesure est critiquée, par exemple, dans Gn 11 : la tour de Babel illustre la volonté de puissance infinie, écrasant le droit et devenant meurtrière. Une croissance économique initiale peut être bénéfique, mais ériger celle-ci en principe infini conduit à l'absolutiser, à en faire une idole qui nie la mesure de chaque être humain, ne permettant plus une croissance de chacun en humanité, dans le respect de sa vérité propre.

Les Écritures sont le fondement de la parole de l'Église. Bernard Laurent et Pierre de Charentenay ont, chacun de leur côté, confronté la Doctrine sociale de l'Église à la croissance économique. L'Église constate l'ambivalence du phénomène de croissance économique. Elle reconnaît ses bénéfices initiaux pour lutter contre la pauvreté, mais porte un jugement sévère sur « l'économisme » qui fait de l'économie une fin en soi. Elle réaffirme fortement les principes fondateurs de sa morale sociale, tout particulièrement la dignité de la personne. De ce point de vue, l'économisme et le matérialisme ne permettent plus le développement intégral de l'homme dans toutes ses dimensions (relationnelle, spirituelle, contemplative, religieuse, culturelle, philosophique, politique, etc.). Le système de production comme l'économie tout entière devraient avoir l'homme comme sujet, finalité, et non comme objet, comme moyen. L'Église martèle régulièrement les principes essentiels de son enseignement social : la solidarité, la subsidiarité qui laissent la prise de décision au niveau le plus bas possible et ne font remonter au niveau supérieur que ce qui est vraiment nécessaire pour le bien commun, la destination universelle des biens et le bien commun. C'est une exigence de justice (et donc de partage) qui doit guider les chrétiens dans leur choix pour la simplicité, vers « de nouveaux modes de vie, empreints de tempérance, pour que nos choix économiques privilégient la justice, la solidarité et l'environnement plutôt que la course au profit, l'accumulation de biens matériels et l'exploitation de la nature ». Mais l'Église ne peut avoir qu'une parole prophétique, qui ouvre à la liberté et à la responsabilité de chaque personne. Il revient à chacun d'agir en conscience sans tout attendre de l'institution.

Une parole prophétique, c'est ce que nous propose François de Ravignan, avec son titre provocateur : « L'économie contre l'Évangile ? » II pointe l'incohérence entre la recherche perpétuelle de richesse et de puissance (de la part des États, des entreprises et jusqu'aux ménages) et le message des Évangiles : « Malheur aux riches. [...] Heureux, vous les pauvres » (Le 6,20-24). En grand connaisseur du sujet*, il prend l'exemple de la faim dans le monde pour montrer en quoi le développement économique n'est pas une réponse juste à ce problème, mais l'accentue voire le crée. Plus généralement, la quantité va souvent contre l'équité, augmentant l'injustice et l'exclusion. « Alors que, si on recherche l'équité, on aura la quantité... C'est là que nous rejoignons l'Évangile et la conclusion du Discours sur la montagne : “Cherchez d'abord le royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera donné par surcroît” (Mt 6,33). »

Nous avons vu plus haut que chacun peut et doit agir à son niveau, en conscience. Nos trois derniers auteurs nous proposent tous un témoignage sur la façon dont ils vivent leurs convictions. Michel Durand considère que « le message du Christ est un appel impératif de partage et de sobriété ». Il nous rappelle cette phrase paradoxale de saint Paul : « Pour vous, de riche qu'il était [le Christ] s'est fait pauvre, pour vous enrichir de sa pauvreté » (II Co 8, 9). Le Christ est né pauvre et a vécu parmi les pauvres. Le Verbe divin a choisi une incarnation dans la faiblesse - ce qui doit nous interroger sur le prestige qu'entoure spontanément (à tort ?) la notion de « puissance » - et nous a invités à partager cette condition: « Ainsi donc, ajouta Jésus, aucun de vous ne peut être mon disciple s'il ne renonce pas à tout ce qu'il possède » (Le 14, 33). Cette pauvreté, cette simplicité, n'est pas une privation mortifère, mais bien la condition d'une pleine liberté de l'homme, une condition de sa joie profonde. Or, la pauvreté n'est pas qu'économique, elle touche tout homme qui ne peut jouir de ses droits et pleinement s'épanouir. Michel Durand se demande alors : « Comment annoncer le Christ aux pauvres, sans être pauvre soi-même, sans vivre avec eux, au milieu d'eux, voire même, tout simplement, au milieu des hommes et des femmes de ce temps ? » et convient que ce choix est plus mystique que rationnel, mais sans doute est-il plus juste.

Jacques Muller, sénateur-maire, nous rappelle que « notre mode vie est largement déterminé par le cadre tracé par les décisions politiques ». Il propose des mesures concrètes en investissement public, fiscalité et réglementation pour remettre l'homme au centre, abandonner un système productiviste qui détruit non seulement la nature, mais aussi les conditions d'une relation équilibrée entre les personnes. Pour restaurer ces « liens humains ». Jacques Muller propose une réduction du temps de travail marchand : « Travailler tous, travailler moins pour vivre mieux est le seul moyen de construire une société solidaire, écologique... et plus heureuse ! [...] permettre aux individus de développer pleinement leurs dons et potentialités humaines [...]: avoir du temps pour soi et pour les autres, pour donner, recevoir, se former et se cultiver, partager ses compétences, créer, s'engager, militer, pour les croyants prier... Tout simplement ÊTRE, dans la gratuité, avec soi, les autres. »

Bernard Ginisty montre enfin comment nous avons caricaturé Mt 6,33 pour lui faire dire, au XXe siècle, à l'Est comme à l'Ouest : « Cherchez premièrement le royaume de l'économique et du financier, et tout le reste vous sera donné par surcroît. » Ce faisant nous avons nié la fraternité et le don comme principes premiers, fondateurs de la société et juste mesure des activités humaines. Cette fraternité ne se décrète pas d’en haut, mais est le fruit de la « dimension spirituelle de la personne », « la radicalité ontologique de l'être humain », « la fraternité des fils d'un même Père ». On retrouve l'idée d'un nécessaire travail sur soi : « La justice qui s'exerce sans la prise de conscience par les sujets de leur fraternité fondamentale se transforme en une mathématique bureaucratique. » Nous pouvons alors considérer vraiment l'autre comme un « sujet porteur de sens avant d'en faire un objet de nos savoirs et un client de nos œuvres ». À nouveau, cet effort vers les plus pauvres n'est pas une contrainte subie, mais bien une condition, choisie, d'un progrès sur le chemin d’humanisation : « C'est en intégrant ce qu'il refoule au plan psychologique, c'est en faisant place à l'exclu dans la société que l'homme progresse en humanité. »

Nicolas Ridoux au colloque organisé par Chrétiens et pic de pétrole en 2009.

 

* François de Ravignan, La Faim, pourquoi ? La Découverte, 2003.

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