Qui peut croire que nous aurons, un jour, une « solution technique » pour ressusciter les poissons de mer ?

Publié le par Michel Durand

Qui peut croire que nous aurons, un jour, une « solution technique » pour ressusciter les poissons de mer ?Qui peut croire que nous aurons, un jour, une « solution technique » pour ressusciter les poissons de mer ?

source des photos : G. Giraud ; la pêche

Gaël Giraud ne semble pas en position d’imagination apocalyptique. Il n’est pas soupçonnable de délire futuriste catastrophiste. On ne peut pas le mettre dans le camp des écolos dont certains disent qu’ils ne font qu’agiter la peur face à un avenir illuminé par la puissante technocratie.

Gaël Giraud est un scientifique ; un chercheur en science de l’économie. Jésuite, il écrit régulièrement dans la revue Projet. Bref, ce n’est pas un rêveur, ni un activiste conduisant des entreprises sous la pulsion d’une idéologie. Ses recherches sur la  Modélisation et Méthodes Mathématiques en Économie, le place au sein des sciences (dites) dures.

Or, il s’interroge sur un futur qui se présente pas si heureux que cela. C’est pour cela que j’ai trouvé intéressant de donner à lire son article publié dans La Croix le mercredi 11 septembre. Laudato’si et l’obscurantisme contemporain.

"LAUDATO SI' ET L'OBSCURANTISME CONTEMPORAIN"

L'encyclique publiée le 18 juin par le pape François a constitué un séisme au sein de la communauté internationale. En France, le président de la République, le premier ministre, Nicolas Hulot, Pascal Canfin, presque toutes les personnalités politiques de droite comme de gauche – à l'exception notable du Front national –, mais aussi des intellectuels comme Edgar Morin ou Cécile Renouard, ont reconnu que ce texte constituait un « tournant » dans la prise de conscience mondiale des enjeux associés aux dévastations écologiques que provoquent nos modes de vie, en particulier ceux des plus riches.

Pourtant, au sein même des rangs catholiques, des voix font entendre leur refus d'accueillir les « leçons » de l'encyclique. Parmi les arguments invoqués pour esquiver l'interpellation du pape François, on retrouve souvent les deux suivants:

1. Une reprise de la thèse négationniste selon laquelle la responsabilité de l'homme dans le dérèglement climatique serait une hypothèse encore en attente de vérification. Or cette question a été définitivement tranchée par la communauté scientifique internationale. Le dernier rapport du Giec (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat), rendu public en 2013, est formel: la responsabilité anthropique dans le réchauffement de la planète, l'acidification des océans, la destruction des massifs coralliens, l'anéantissement de la biodiversité, etc. est scientifiquement avérée, et ne fait plus discussion aujourd'hui. L'Académie pontificale des sciences l'a reconnu, à son tour, au printemps dernier. Faut-il rappeler qu'aucun autre champ d'investigation scientifique n'a fait l'objet d'autant de tests et d'expérimentation pour en vérifier la réalité que celui du dérèglement climatique ? Que les conclusions du Giec représentent la synthèse de la production scientifique de l'ensemble de la planète, impliquant plusieurs milliers de chercheurs – conclusions qui ont été validées par les 193 pays qui siègent à l'ONU ?

Las, même après que Copernic et Galilée eurent démontré que notre système est héliocentrique, il a dû exister pendant des décennies d'obscurs bastions pour prétendre que non, c'est le Soleil qui tourne autour de nous.

2. Un second type de résistance reconnaît la réalité du diagnostic qui sous-tend l'encyclique mais, au nom d'un rapport magique à la technique, entend s'exonérer des conclusions qu'en tire le pape en faveur d'un changement radical de civilisation. « On trouvera toujours une solution! » sert de prêt-à-penser commode à ceux qui refusent de remettre en cause leur mode de production et de consommation. De quelle solution parlons-nous ? Nos océans sont actuellement vidés de leur faune halieutique par la pêche industrielle en eaux profondes. À ce rythme, nous préviennent les océanologues, les chaînes trophiques ne parviendront plus à se reconstituer, et nos océans pourraient être vides de poissons vers 2040. Voulons-nous vivre sur une planète dont les mers seront peuplées de méduses?

Certes, la technologie et le génie humain ont un rôle décisif à jouer dans la transition écologique qui est devant nous. Inventer de nouvelles formes de prospérité dans une économie décarbonée n'implique nullement de renoncer à l'innovation, bien au contraire! Nous serions bien inspirés, par exemple, de redoubler nos efforts dans la recherche autour du stockage de l'électricité, de la capture du CO2 ou des manières « propres » de produire de l'énergie – autant d'innovations que nous ne pourrons pas industrialiser si nous ne mettons pas fin à l'effondrement actuel des crédits destinés à la recherche. Mais qui peut croire que nous aurons, un jour, une « solution technique » pour ressusciter les poissons de mer ? À travers l'encyclique, la réponse du magistère ecclésial est claire: commençons par cesser de détruire la planète, et inventons un monde respectueux de la création. Les rêves d'une « solution » en termes de géo-ingénierie, dénoncés par François, sont au mieux des alibis pour ne pas agir.

Les mêmes questions se posent pour les abeilles, dont la disparition est programmée par notre usage agricole des néonicotinoïdes. Certains imaginent qu'à défaut d'abeilles, nous polliniserons avec des robots, et estiment que cela fera augmenter le PIB! La vérité est beaucoup plus crue: si nous provoquons, comme c'est à craindre, l'extinction des abeilles sur notre planète, nous serons contraints de polliniser nous-mêmes – sauf à provoquer à très brève échéance la disparition de la vie humaine. Et ce seront des esclaves qui feront ce travail à la main, comme c'est déjà le cas aujourd'hui, notamment en Asie.

Est-ce la société que nous voulons construire ensemble ? Voilà la question que pose l'encyclique. Refuser d'entendre cette interpellation, c'est répondre implicitement « oui » au désastre écologique annoncé et à la violence inouïe que certaines élites n'hésiteront pas à infliger au reste de l'humanité pour garantir les services écologiques dont dépend la survie de tous. Nous entêter à détruire ces services que la création nous offre aujourd'hui gratuitement, parce que nous refusons de modifier notre style de vie, est-ce cela la manière chrétienne de travailler au bien commun ?

 GIRAUD Gaël

 

 

Publié dans Anthropologie

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