Une calorie alimentaire arrivée dans notre assiette a nécessité la consommation de treize calories de pétrole ou autre énergie fossile

Publié le par Michel Durand

Jean Aubin est l'auteur de « Croissance : l'impossible nécessaire » paru en 2003 et réédité en mars 2011

Jean Aubin est l'auteur de « Croissance : l'impossible nécessaire » paru en 2003 et réédité en mars 2011

Source de la photo ; à lire l'article.

Cette page, je la place dans la ligne du dernier laboratoire de Chrétiens et pic de pétrole dont j’ai déjà parlé. Voir le fichier joint. 

plan de travail pour le laboratoire CPP du 6 février 2016

J’engage les participants à cette matinée à prendre le temps de lire. Certes, c’est long. Mais cela en vaut la peine. Jean Aubin, en me parlant de ses ouvrages m’a signifié que nos idées se ressemblaient. Après lecture, je confirme. C’est pour cela que j’informe et invite les lecteurs à ouvrir ce livre : Jean Aubin, Sobriété et solidarité. Le bel avenir du message évangélique. Une étude que j’évoquerais certainement au mardi du Prado, 1er mars : à quoi sert de gagner le monde entier. Vie simple, vie sobre, la pauvreté selon l’Évangile.

 

Se nourrir de pétrole

Le système agroalimentaire occidental, et, de plus en plus, mondial, est extrêmement dépendant de l'énergie fossile. La chaîne qui va « de la fourche à la fourchette » est d'une longueur impressionnante, depuis la fabrication et la mise en action des tracteurs et autres machines agricoles jusqu'au transport, souvent depuis les autres continents, en passant par la production d'engrais et de pesticides, l'irrigation, la mise en boîte ou la surgélation, l'emballage et la publicité. La conséquence de la complexité de cette chaîne, c'est qu'une calorie alimentaire arrivée dans notre assiette a nécessité la consommation de treize calories de pétrole (ou plus largement, d'énergie fossile). Ce bilan désastreux du modèle agroalimentaire dominant est à comparer avec celui qui persiste dans les campagnes des pays du Sud et à celui qui régnait encore en Europe au milieu du siècle dernier, dans laquelle la consommation d'énergie fossile pour la production d'énergie alimentaire était proche de zéro. Certes, la transformation de ce système de production a permis de nourrir une population mondiale considérablement accrue. Mais on voit aussi la fragilité d'un tel système qui s'appuie sur des ressources comme si elles étaient illimitées. La production agricole se fait désormais en Occident presque sans producteurs : les agriculteurs n'y représentent plus que 2 à 4 % de la population. La consommation alimentaire occidentale actuelle possède quatre particularités : elle ignore les saisons, elle ignore les frontières, elle donne une part énorme aux produits d'origine animale et sa sophistication est sans fin. On peut même ajouter une cinquième caractéristique, le gaspillage alimentaire : le pourcentage de nourriture tout bonnement jetée, chez les particuliers aussi bien que dans le système de restauration collective, tournerait en Occident autour de 40 %. Dès son arrivée au Texas en 1979, le danseur étoile Li Cunxin, issu d'une famille de paysans chinois pauvres, est le témoin effaré à la fois de ce gaspillage et du déséquilibre alimentaire occidental :

« À la fin de la soirée, il restait tellement de nourriture que je demandais à Ben si nous pouvions l'emporter à la maison. Je n'aurais pas supporté de la voir gâchée, surtout quand je pensais à toute cette famine en Chine. Encore qu'ici chacun s'extasiât sur notre minceur. Je ne comprenais pas pourquoi, car chez nous c'était une marque de pauvreté, tandis que l'embonpoint signifiait qu'on avait de quoi s'offrir une alimentation coûteuse. Par la suite, je découvris que beaucoup de gens en Amérique dépensaient de l'argent dans des cliniques exorbitantes pour perdre du poids. Il leur suffirait pourtant de se rendre en Chine et de se nourrir quelque temps de patates douces séchées…» (Li Cunxin, Le dernier danseur de Mao, Éditions First, 2008).

Il est aisé de comprendre l'impact de la consommation d'une alimentation sans saison et sans frontières. Un kilo de raisin arrivant en mars du Chili par avion consomme cinq litres de carburant. Le bilan est à peu près le même pour les haricots verts sénégalais, la perche du Nil du lac Victoria ou, même si on sort du domaine alimentaire, pour le bouquet de fleurs coupées kenyanes. Les magnifiques et insipides tomates d'hiver, les melons en avril ou mai ne font guère mieux, qu'ils proviennent des serres européennes chauffées au gaz ou d'un continent plus lointain. Pour les crevettes surgelées des Philippines, il faut ajouter au coût énergétique du transport celui de la production et de la congélation...

Il est probablement moins immédiat de penser à l'impact négatif sur les équilibres généraux de la consommation excessive de produits animaux, viande, poisson, œufs, produits laitiers. Pourtant, ces produits sont très gourmands en ressources : pour produire une denrée d'origine animale, il faut mettre en œuvre sept fois plus de ressources (terres, énergie, eau...) que pour produire la nourriture végétale (céréales, légumineuses...) de même valeur alimentaire. Ce facteur sept est une moyenne : il est d'environ quatre pour le poulet, le porc ou le poisson d'élevage mais atteint onze pour le bœuf et vingt et un pour le veau.

Pour être correctement nourri, un être humain doit disposer annuellement de 200 kilos d'équivalent-céréales (c'est une notion qui intègre les véritables céréales, mais aussi les formes de nourriture humaine d'origine végétale, notamment les autres grains comme les haricots, les lentilles, le soja...). C'est le régime d'un Indien, non pas un Indien famélique, ni un Indien obèse des nouvelles classes riches, mais un Indien bien alimenté. Un Italien consomme en moyenne le double, 400 kilos d'équivalent-céréales ; un Français, 600 ; un Américain, 800 kilos. Cela ne veut pas dire que l'Américain mange réellement quatre fois plus que nécessaire : ce n'est pas lui qui avale directement les 800 kilos de maïs ou de soja, ce sont les bœufs et les vaches qui produisent la viande et le fromage de ses hamburgers.

 

Nourrir l'humanité

Claude Bourguignon, microbiologiste des sols, exprime d'une autre manière la nécessité de changer le système agroalimentaire : « On se garde bien de dire aux Français qu'avec notre système alimentaire il faut un hectare (10 000 m2) de terre cultivée pour manger dans les pays riches. Tandis qu'il ne reste que 2 600 m2 de terres cultivées par habitant. Alors ? Si nous consommons un hectare, c'est qu'il y a des êtres humains qui mangent pas. C'est une simple mathématique, mais elle est vraie » (Interview dans Passerelle éco :  http://www.passerelleco.info, 23 juin 2003). En effet : aujourd'hui, la planète peine à nourrir sept milliards d'habitants. Un milliard souffre de sous-nutrition chronique, et deux milliards de malnutrition (alimentation théoriquement suffisante en quantité, mais déficiente en certaines protéines, vitamines et sels minéraux). Les progrès fantastiques accomplis depuis des décennies dans le domaine de production de nourriture marquent aujourd'hui le pas. En effet, les nouvelles terres qui pourraient être mises en culture sans nuire à l'ensemble de l'équilibre planétaire sont fort rares : on ne peut poursuivre sans dommage la déforestation, dont les ravages sont déjà considérables, en Amazonie, en Indonésie ou ailleurs. Ces nouvelles terres sont en tout cas bien incapables de compenser celles qui sont perdues pour la production alimentaire. La perte peut être le résultat du bétonnage pur est simple, qui porte sur de superficies considérables (en France, la surface agricole d'un département disparaît ainsi tous les sept ans). Elle peut être due à la désertification, elle-même acclérée par le réchauffement climatique, ou tout au moins à perte de fertilité causée par des modes de culture inadaptées. La production d'engrais de synthèse, qui a permis depuis quelques décennies de doper les rendements, est très énergivores, et va donc devenir problématique avec la raréfaction des ressources énergétiques. L'irrigation, qui sur le court terme accroît la production mais qui sur le long terme peut rendre les terres infertiles, se heurte de toutes manières, en de nombreux points du globe, à l'épuisement des nappes phréatiques ou à la baisse du niveau des fleuves.

S’ajoute encore depuis quelques années la concurrence des agrocarburants. Il en est de deux sortes : l'alcool (éthanol, ou bioéthanol, produit à partir de blé, de maïs, de canne à sucre, de betterave) que l'on mélange à l'essence ; l'huile (diester ou biodiesel), produite par exemple à partir du colza ou de l'huile de palme. L'approvisionnement en pétrole devenant de plus en plus incertain, et demandant l'entretien de forces militaires très coûteuses dans des régions instables comme le Moyen-Orient, l'obsession d'Obama, après celle de Bush, est de se dégager un peu de cette dépendance au pétrole étranger en le remplaçant partiellement par un « pétrole vert » produit sur place. D'où le programme américain d'agrocarburant. Les agrocarburants n'ont aucun intérêt économique : ils ne sont pas rentables et doivent être massivement subventionnés. Ils ne sont guère avantageux énergétiquement, car ils consomment pour leur production des quantités de pétrole proches de l'énergie fournie en bout de chaîne. Leur bilan écologique est désastreux (destruction de la forêt, en Amazonie, en Indonésie...), de même que leur bilan social (les petits paysans brésiliens, indiens, indonésiens, chassés de leur terre au profit des vastes entreprises de canne à sucre ou de palmiers à huile, sont alors réduits à la vie misérable des coupeurs de canne saisonniers, dans un semi-esclavage). Comble de l'ironie, avec toute cette terre soustraite aux cultures vivrières, le Brésil parvient de moins en moins à nourrir sa population et, pour payer la nourriture importée, il doit encore et encore défricher la forêt amazonienne afin d'y faire pousser davantage de canne. Les conséquences sur le réchauffement climatique sont désastreuses. Cependant, la filière est juteuse pour les gros producteurs qui savent sur quels boutons appuyer pour obtenir les subventions. Le seul intérêt, stratégique (approvisionnement sécurisé en énergie), est lui-même bien mince, étant donné le faible rendement net de la filière. Mais le résultat est là : en 2011, près de 40 % de la récolte de maïs américain a été brûlée dans les moteurs, et cette proportion continue d'augmenter. L'Europe s'est elle aussi lancée, sous la pression de lobbys céréaliers et betteraviers, dans cette course absurde aux agrocarburants. Auparavant, les États-Unis comme l'Europe ont subventionné pendant des décennies leurs exportations agricoles, ruinant par là même l'agriculture du Sud; celle-ci est devenue en de nombreuses régions incapable de nourrir la population. Aujourd'hui, États-Unis et Europe brûlent cette précieuse nourriture dans les moteurs et la faim augmente d'autant. Jean Ziegler rappelle qu'un plein de 50 litres demande 350 kilos de maïs, quantité qui permettrait de nourrir correctement un enfant zambien ou mexicain pendant une année, mais que l'agriculture mexicaine, ruinée, ne sait plus produire. Lorsque les estomacs africains sont mis en concurrence avec les réservoirs de voiture, les intérêts économiques ont vite fait de choisir. Jean Ziegler rappelle le slogan d'Amnesty International : « Agrocarburants = réservoirs pleins et ventres vides ». En 2007, il déclarait devant l'Assemblée générale des Nations Unies : « Produire des agrocarburants avec des aliments est criminel. » Il insistait en 2011 : « Je n'ai pas changé d'avis. Sur une planète où toutes les cinq secondes un enfant de moins de 10 ans meurt de faim, détourner des terres vivrières et brûler de la nourriture en guise de carburant constitue un crime contre l'humanité. » (Jean Ziegler, Destruction massive. Géopolitique de la faim, Seuil, 2011)

Un élément supplémentaire à ce dossier déjà si lourd : la production d'agrocarburants est une incitation à la ruée sur les terres des pays pauvres à laquelle se livrent depuis quelques années les pays qui en ont les moyens, comme la Chine ou les pays du Golfe, ainsi que des multinationales comme la firme coréenne Daewoo. Dans des contrées où sévit parfois la faim, en Afrique, à Madagascar, en Asie du Sud, en Amérique latine, là où les titres de propriété foncière sont inexistants ou soumis à l'arbitraire du pouvoir, les paysans sont chassés de leurs terres et des surfaces considérables sont louées à ces États ou entreprises pour un tarif dérisoire. Il n'est guère besoin d'insister sur l'ampleur de la misère provoquée par ce phénomène d'accaparement des terres, une colonisation d'un genre nouveau.

 

Un autre point de vue sur l'agriculture

Le tableau est donc assez sombre. Pourtant, des avancées sont possibles pour contrer la dégradation des terres, augmenter la productivité agricole des pays du Sud et la maintenir sur le long terme dans les pays du Nord, où l'intensification agricole basée sur l'usage du pétrole atteint souvent ses limites, quand elles ne sont pas largement dépassées. Une révolution à la fois culturelle et culturale est nécessaire : il s'agit de modifier radicalement non seulement les techniques agricoles mais aussi l'approche intellectuelle qui les sous-tend.

Les techniques d'intensification qui ont modelé en profondeur l'agriculture des pays industrialisés, avant de se répandre en d'autres régions du monde, sont largement issues des deux guerres mondiales. Côté engrais d'abord : les nitrates de synthèse aujourd'hui massivement épandus sur les champs ont dans un premier temps été employés dans la fabrication d'explosifs, et leur usage agricole a été une bénédiction pour les industries chimiques en mal de reconversion à l'issue des deux conflits mondiaux. Côté pesticides : les gaz de combats employés dans la guerre de tranchées ont d'abord été testés sur des insectes, contre lesquels ils ont montré une redoutable efficacité, ce qui a conduit tout naturellement à élargir la recherche afin de produire de quoi éradiquer les insectes indésirables ; plus tard, les herbicides ont trouvé dans les guerres un vaste terrain d'expérimentation, comme l'agent orange, ce défoliant déversé par millions de tonnes sur le Vietnam en guerre.

L'origine guerrière des engrais chimiques et des pesticides n'est sans doute pas étrangère à la mentalité particulière qui a prévalu pendant des décennies en agronomie officielle : on organise les cultures en bataillons carrés de plantes de race pure et on tire sur tout ce qui ne porte pas l'uniforme : insectes, champignons porteurs de maladie, plantes non cultivées.

Il suffit d'observer l'explosion des rendements de l'agriculture occidentale dans la seconde moitié du XXe siècle pour admettre l'efficacité de telles méthodes, même si l'accroissement des rendements a débuté bien avant l'introduction de la chimie en agriculture. On ne peut nier davantage le succès foudroyant de la révolution verte, qui a notamment fait reculer de manière spectaculaire la famine en Inde. Cependant, ces victoires ressemblent un peu trop aux victoires militaires sans lendemains. Alexandre, Napoléon, Hitler, se sont taillés des empires gigantesques... et éphémères. Aujourd'hui, les succès de cette agriculture guerrière ne parviennent plus à masquer ses aspects inquiétants, dégradation des terres, pollutions, dépendance au pétrole, précarisation d'une grande partie de la paysannerie mondiale.

C'est pourquoi la science commence à revenir de cette vision mécaniste de la vie. Elle parvient de mieux en mieux à expliquer pourquoi la terre n'est pas seulement une éponge à eau et à engrais, pourquoi la culture de plantes judicieusement associées est beaucoup plus productive que la culture de plantes pures, pourquoi les bactéries et les champignons du sol, loin d'être réductibles à une menace, participent largement à l'alimentation des plantes et sont tout aussi nécessaires à l'équilibre global que la flore intestinale l'est à la santé des animaux et des hommes. Au lieu de recourir à l'empoisonnement systématique de l'ennemi, on commence à découvrir des méthodes efficaces dans la stimulation des défenses naturelles des plantes cultivées. C'est une révolution de pensée : « L'émergence des stimulations des défenses naturelles (SDN) dans le monde des phytosanitaires suppose une nouvelle manière de penser et d'agir qui va à l'encontre d'habitudes bien ancrées. Il faudra du temps pour intégrer les SDN à la culture... de l'agriculture. » (Jean-Marie Pelt, Cessons de tuer la terre pour nourrir l'homme l, Fayard, 2012). Mais d'ores et déjà, des expériences d'agroécologie se multiplient sur tous les continents, menées par des paysans précurseurs appuyés par les recherches d'agronomes novateurs. Sans engrais de synthèse coûteux, sans pesticides inquiétants, sans semences ruineuses à renouveler chaque année, mais grâce à de nouvelles méthodes culturales, et notamment des associations judicieuses de plantes, les sols retrouvent une fertilité insoupçonnée, les rendements sont maintenus dans les pays du Nord ; ils sont doublés, triplés, décuplés parfois au Sud, où les paysans qui découvrent une certaine prospérité acquièrent les moyens de nourrir la population. C'est ce qui rend confiant l'agronome Marc Dufumier :

« Je suis formel : nourrir neuf milliards d'humains avec une agriculture sans pesticides, c'est possible. Mais il s'agit d'une agriculture savante, une agriculture qui évitera la monoculture, qui associera dans le même champ plusieurs espèces végétales tolérantes à différentes catégories d'insectes et agents pathogènes. Il faut donc une véritable révolution agricole, dans tous les sens du terme. Une révolution technique : passer de processus industriels et de produits standards à une agriculture plus respectueuse de l'environnement et plus artisanale. Une révolution culturelle, pour les agriculteurs : comprendre que ce qu'on leur a dit "moderne" n'est finalement pas si moderne. L'agriculture moderne de demain, c'est celle qui respecte les abeilles, les coccinelles et les scarabées... Que les agriculteurs ne se découragent pas, pour une agriculture au service de l'intérêt général » (Film documentaire Les Moissons du Futur, de Marie-Monique Robin).

Seulement, la technique ne fait pas tout ; l'agriculture demande tout autant des progrès politiques et sociaux. La paysannerie a trop souvent été considérée comme le rebut de la société. La société, qui ne pourrait vivre sans elle, doit lui reconnaître la noblesse de son rôle irremplaçable. Au Nord, l'agriculture paysanne doit retrouver droit de cité, face au gigantisme d'une agriculture industrialisée, héritière de l'ère du pétrole inépuisable. Le Sud doit miser sur son agriculture familiale pour augmenter sa production alimentaire. Car, contrairement à ce qui est si souvent répété comme une évidence, l'industrialisation forcenée de l'agriculture, avec concentration des terres, avec force tracteurs et moissonneuses-batteuses, n'améliore en rien les rendements agricoles : un tracteur ne produit pas plus que le groupe de paysans qu'il remplace, il n'est qu'un agent de l'exode rural. L'agriculture familiale vietnamienne, sur de petits lopins cultivés comme des jardins, se situe parmi les plus productives du monde. L'Histoire montre de manière claire que lorsque les paysans jouissent, d'abord, d'une terre à cultiver, ensuite, d'une certaine prospérité et d'une certaine assurance de pouvoir vendre correctement leur production, ils ont les moyens de faire évoluer leurs techniques et ainsi d'améliorer leur productivité. C'est l'évolution vécue par l'agriculture européenne au début du Marché commun. Trop brutale, elle a mené aux excès que l'on sait. Mais on vient d'évoquer les riches promesses d'une évolution plus douce, appuyée sur les recherches les plus novatrices en agronomie et respectueuse des savoirs paysans et des équilibres environnementaux. Cette évolution est cependant incompatible avec l'emprise mortelle du libre-échange agricole mondial, qui permet à la concurrence du Nord d'écraser impitoyablement l'agriculture du Sud. Par ailleurs, les gouvernements du Sud, qui ont depuis des décennies largement délaissé leur agriculture ou réservé le reste de leur considération aux cultures d'exportation, doivent revoir leur position et miser sur leurs paysans, garants de la souveraineté alimentaire sans laquelle il n'y a pas de souveraineté du tout. Avec les crises alimentaires récentes, des frémissements se font jour ; ils demandent confirmation.

En optimisant les promesses d'ouverture agronomique, en révisant les politiques agricoles, des progrès notables dans la production alimentaire mondiale sont donc possibles. Le défi est cependant considérable : il s'agit de nourrir correctement neuf milliards de bouches au milieu du siècle, tout en parant aux menaces évoquées plus haut (dégradation ou disparition de terres agricoles, problèmes d'énergie, d'eau ou d'engrais, etc.). C'est pourquoi ces progrès se révéleront insuffisants si la seconde face de l'équation agroalimentaire reste oubliée, celle de la consommation.

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M
Merci pour ce très bon et très beau texte. Pourquoi un tel texte n'est-il pas donné à lire dans les écoles ? A bientôt pour le prochain colloque du CCP. Danielle
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