Le royaume sera là quand nous aimerons dans la vérité et vivrons avec toutes personnes sans considération des origines
En fin d’année liturgique, les textes bibliques parlent régulièrement de fin des temps, fin du monde, arrivée du Royaume. La vie éternelle se dessine à l’horizon des propositions de prières et méditations contemplatives.
Ce regard vers un lointain transcendant notre monde comporte inévitablement la question du sens du Royaume. Quel est, selon les disciples du Christ, ce Royaume à venir ? Est-il la récompense de notre bonne conduite sur terre ? La compensation de nos souffrances d’ici-bas ? Absolument pas ! Et je partage résolument l’opinion de Marx qui dit qu’une vision consolatrice de nos misères actuelles ne peut être portée que par une religion opium du peuple. Celui qui dit que les injustices du temps présent n’ont aucun poids, car dans le monde éternel, il y aura le bonheur de la gloire divine entretient le mensonge dans le seul but de préserver les privilèges de sa position économique et sociale.
Où est le Royaume ? Que signifie ce mot Royaume ?
Il suffit certes d’ouvrir les Évangiles pour avoir réponse à ces questions. Mais, à mon sens, les interrogations demeurent, car nous chargeons trop le mot royaume du sens de mode de gouvernance par les rois, les princes de la terre qui ont le pouvoir même dans l’injustice.
L’Évangile dit que « La venue du règne de Dieu n’est pas observable. On ne dira pas : “Voilà, il est ici !” ou bien : “Il est là !” » (Luc 17, 20-21). « On vous dira : “Voilà, il est là-bas !” ou bien : “Voici, il est ici !” N’y allez pas, n’y courez pas » (Luc 17, 23), car ce n’est pas ainsi que se développe le Royaume. Retenons bien ce que dit l’Évangile. Jean le Baptiste, dans sa prison, veut une confirmation sur la personne de Jésus. Est-il vraiment celui qui doit venir ? « Jésus leur répondit : “Allez annoncer à Jean ce que vous entendez et voyez : Les aveugles retrouvent la vue, et les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, et les sourds entendent, les morts ressuscitent, et les pauvres reçoivent la Bonne Nouvelle” » (Matthieu 11, 5). Que la maladie, et les maux de la terre disparaissent, voilà les signes qui prouvent que Jésus est bien celui qui doit venir. C’est lui qu’il fallait attendre et que maintenant l’on doit recevoir même si les princes de la terre le refusent et le condamnent à mort.
Le Royaume de Dieu n’est pas magistralement visible comme le serait un roi qui s’exhibe sur un immense trône d’or. Il est tout simplement présent au milieu de l’humanité quand celle-ci, écartant les séductions des Mammons du capital, réussit à donner à tous ce qui est juste, vrai, fraternel. Le buen vivir pour tous. « Voici que le règne de Dieu est au milieu de vous » (Luc 17, 21). Le Royaume est là, avec nous, quand est mise en place une réelle fraternité ; quand la justice est appliquée ; quand le vrai est reconnu et l’erreur écartée ; quand l’amour est universellement vécu. « En effet, le royaume de Dieu ne consiste pas en des questions de nourriture ou de boisson ; il est justice, paix et joie dans l’Esprit Saint » (Romains 13, 17).
Le Royaume est là quand les migrants sont accueillis pour toujours
Toutes ces semaines, les médias ont largement parlé de l’accueil des migrants ayant dû quitter le bidonville de Calais. Depuis Sangatte, le problème est posé. Nous pouvons nous réjouir qu’enfin un toit digne de ce nom leur soit proposé et que les habitants des quartiers où se trouvent les centres d’accueil soient présents pour accueillir chaleureusement les personnes déplacées. Il est heureux que l’État prenne enfin les moyens pour ouvrir des immeubles vides de longs mois dans l’année. Et alors, nous pouvons dire que le Royaume développe parmi nous ses bienfaits. Pourtant, je ne peux me réjouir totalement. Bénéficiant des élans propres aux périodes électorales, ces actions ne seront complètes que si l’accueil dure dans le temps et que les migrants ne se voient pas, après études de leur dossier, reconduits à la frontière de l’Europe sous prétexte que leur pays d’origine est un pays sûr. L’OQTF n’est pas le signe du Royaume. Le Royaume sera vraiment parmi nous quand les privilèges historiques des Européens seront reconsidérés à la lumière des laissés pour compte des pays appauvris par les pratiques libérales des puissants. Le royaume sera là quand l’amour sera vécu y compris l’amour des ennemis : « si vous aimez ceux qui vous aiment, quel gré vous en saura-t-on ? Car même les pécheurs aiment ceux qui les aiment. Et si vous faites du bien à ceux qui vous en font, quel gré vous en saura-t-on ? Même les pécheurs en font autant. Et si vous prêtez à ceux dont vous espérez recevoir, quel gré vous en saura-t-on? Même des pécheurs prêtent à des pécheurs afin de recevoir l'équivalent. Au contraire, aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien attendre en retour. Votre récompense alors sera grande, et vous serez les fils du Très-Haut, car il est bon, Lui, pour les ingrats et les méchants » (Luc 6, 31ss).