L’Europe voit dans la migration une crise alors qu’elle est une donnée constante de l’humanité résultant des inégalités criantes et guerres
Des familles dorment dans la rue. Tous les jours les médias parlent des étrangers qui ne trouvent pas d’accueil en Europe. Et le problème du manque d’accueil augmente sans cesse.
Que faisons-nous ? Que pouvons-nous faire ? Qu’est-ce que je fais ?
En fait, pratiquement rien.On parle beaucoup. Mais ce n’est pas cela qui donne un logement à qui dort sur un trottoir.
Des institutions religieuses ont des locaux vides ou sous occupés. Un minimum d’organisation permettrait d’ouvrir des portes. Mais, on répond qu’il ne suffit pas de donner un toit, qu’il faut aussi accompagner. ; régler les problèmes administratifs, prendre du temps pour parler avec les migrants afin de les familiariser avec la langue française… Or, pour cela, indique-t-on, on n’en a ni les moyens, ni les compétences. « Regarder notre âge ! »
J’ai également entendu des responsables d’Institution religieuse dire que les appartements vides qu’ils pourraient ouvrir ne sont pas assez dignes. « Il est impossible de les chauffer correctement. » Je réponds qu’effectivement, sur une place Carnot, la question d’un chauffage correcte ne se pose même pas. On me dit également qu’en tant qu’institution, il n’est pas possible d’héberger des « sans papiers ». Face à certaines situations, la désobéissance ne relève-t-elle pas d’un devoir de conscience ?
Oui, j’écrivais ce 2 septembre que nous devrions mettre en place de nouvelles œuvres pour suppléer aux carences de l’État. Mais, aujourd’hui, je me pose la question : comment faire dans la durée ?
Une certitude demeure. Ce n’est que dans l’action que nous sortirons de la culpabilisation.
Je lis alors cet article de Dominique Quinio de La Croix, 2 septembre 2019 :
Migration, l’éternel retour
Une photo est un instantané, un moment arraché à une histoire, à un passé, à un avenir. D’où venait-il et qu’est-il devenu, le jeune homme emmitouflé dans sa légère couverture à pois qui regarde la mer, depuis le bastingage d’un navire humanitaire qui l’a recueilli. Qu’a-t-il en tête ? Il ne défie pas le monde, en fixant l’horizon. Front baissé, il contemple les flots gris. Il se souvient peut-être de son enfance, d’un père, d’une mère laissés au loin ; il imagine la vie possible, quelque part sur le continent européen qui ne veut pas de lui. A-t-il peur ? Prie-t-il ?
La scène se passe il y a plus d’un an. Il en a coulé de l’eau sous les ponts ! Et la Méditerranée continue d’être cette mer-tombeau pour migrants cherchant à joindre les côtes européennes ou cette barrière infranchissable, ramenant comme une marée impitoyable les candidats, au mieux à leur point de départ, au pire entre les mains de trafiquants – ou d’États – prêts à les exploiter.
L’Europe continue à se barricader
En un an, tout a changé pour le jeune homme au châle vert et rien ne change. Rien ne change quand certains responsables politiques continuent à jouer leur partition politicienne, en Italie, en Grande-Bretagne, sans regarder au-delà de leurs intérêts immédiats, de leur image, de leur ambition personnelle. Et l’Europe continue à se barricader. Elle continue à regarder le phénomène des migrations comme une crise, une situation transitoire, alors qu’il est une donnée constante de l’humanité et que le mouvement vers nos pays s’explique par les pauvretés, les inégalités criantes, les turbulences des guerres et du dérèglement climatique. Ce mouvement ne se tarira donc pas.
Il serait plus efficace de l’admettre et de chercher des moyens d’une meilleure régulation, d’une meilleure solidarité entre Européens, d’un meilleur accueil des étrangers pour leur profit, mais aussi pour le profit des territoires qui les reçoivent, d’un soutien réel et généreux aux pays de départ…
La question démographique est une question européenne. Un dossier de La Croix l’évoquait le 20 août dernier en mettant en lumière les migrations internes au continent, qui voient les jeunes de certains pays de l’Est partir vers les nations plus prospères de l’Ouest, au risque de priver leur pays de leurs compétences, de leur vitalité. Comment ne pas y reconnaître les mêmes rêves, les mêmes besoins, que ceux qui ont poussé naguère des Italiens, des Irlandais, des Portugais, des Polonais à quitter leur terre natale pour se construire un avenir meilleur ? Et comment ne pas comprendre, du coup, ce qui anime les candidats à la migration, venus d’Afrique ou d’ailleurs ?
L’Europe vieillit et se dépeuple. Serait-ce tragique ? Ce qui serait dommageable, c’est que se dévitalise l’espace culturel et civilisationnel qu’elle a construit et qui reste unique, partageant un certain nombre de principes : le respect de la dignité des personnes, le respect des libertés, y compris des libertés de croire ou de ne pas croire, de l’égalité entre les hommes et les femmes, le refus de la peine de mort, les valeurs démocratiques, etc. C’est ce modèle, imparfait, dénaturé par ceux-là mêmes qui devraient le promouvoir, qu’il importe de faire vivre. Or les moyens utilisés pour se protéger d’une « invasion » vont précisément à l’encontre de ce que l’Europe prétend incarner.