Les pauvres dans la ville deviennent invisibles tellement ils font parti du paysage et l’anonymat urbain se trouve à tous les niveaux

Publié le par Michel Durand

Les pauvres dans la ville deviennent invisibles tellement ils font parti du paysage et l’anonymat urbain se trouve à tous les niveaux

 

Après avoir préparé l’homélie que je dois prononcé demain au sein de la Biennale d’art sacré actuel; édition 2019 : VISAGE DE L’INVISIBLE, je publie cette page de Jean-Marie Delthil qui m’ouvre sur la journée mondiale des pauvres pour lutter contre l’exclusion.

 

Délestage

 

Il m'a été donné, hier, de faire une expérience singulière, particulière.

Non désirée.

Je m'étais rendu à Étape Auto, à Cosne-sur-Loire, pour qu'ils effectuent la vidange de ma voiture.

- « Vous voulez que je revienne dans combien de temps ? »

- « Dans une bonne heure, si vous pouvez. »

Alors je suis allé acheter quelques vis et rondelles chez Bricomarché, à deux pas de là – et comme cela ne m'avait pas pris cette bonne heure annoncée, je suis allé m'installer le long du grand parking qui jouxte le magasin réparateur automobile.

Je ne sais pas ce qui m'est passé par la tête, mais je me mettais à observer les personnes qui venaient à marcher à ma proximité – comme j'ai d'ailleurs souvent l'habitude de le faire – et je remarquais ceci : elles ne me regardaient pas ; je veux dire par là qu'elles ne me regardaient absolument pas… pas même un coup d’œil rapide, ou bien qui se détourne, fuyant, ou je ne sais trop quoi encore...

 

Rien.

Et pourquoi, d’ailleurs, m'auraient-elles regardé, ces personnes ?!… Aucune raison ne l'aurait particulièrement justifié, j'en conviens – mais j'étais là rendu invisible à leurs yeux.

Oui : les couples passaient, les mamans accompagnées de deux ou trois enfants, les voitures arrivaient, repartaient – et cet homme que j'étais, installé sur un banc, en vêtement plus que quelconque, n'était pour ainsi dire plus visible à leurs yeux…

Je dois vous dire effectivement que je ne m'étais pas changé en venant ici à Cosne…  j'avais gardé sur moi mes vêtements de mécanique : un méchant blouson noir, bien usé, en nylon et un peu trempé d'huile, un jogging gris anthracite à la propreté plus que douteuse, et une paire de sabots de plastique assez crades. Seule une belle et longue écharpe venait donner une touche d'élégance et un semblant de dignité à ce clochard céleste…

 

Bon.

Je n'avais pas prévu pareille affaire – mais il me fallait attendre l'heure… et puis assez rapidement, je me suis senti comme allégé, délesté de je ne sais trop quoi ; dans notre société, c'est un peu la panique lorsqu'il vous semble que vous n'existez plus aux yeux des autres… pas 'suffisamment' aux yeux des autres… hé bien là, je me trouvais relax, parfait spectateur des êtres et des choses.

Que ce que je viens de vous dire, là, ne vienne en rien gommer et nier toute la souffrance que ces personnes de la rue et qui n'ont pas de domicile peuvent vivre et vivent, au jour le jour – à savoir prendre de plein fouet la ravageuse indifférence des passantes et des passants… Non, je voulais juste vous partager ce qu'il m'a été donné de vivre, hier, ne serait-ce qu'un instant.

 

Jean-Marie Delthil. Bonny, le 24 octobre 2019.