Je crois en la force de la Beauté, qui touche et convertit ; en un art de célébrer ; en une liturgie juste et belle ; en la noble simplicité
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En effet, c’est à la suite de sa lecture que Philippe Robert m’a envoyé ce courriel :
« Cher Père, je voudrais vous remercier pour les deux articles que vous avez publiés concernant la Musique rythmée dans la liturgie, apparue fin des années 1960. Vous faites mention de l'ouvrage d'Émile Granger, que je possède et que j'ai lu. La question qu'il pose concernant l'incarnation est importante. On parlerait aussi aujourd'hui d'inculturation. Dans un des deux articles, vous faites allusion à l'abondance des chants de louange actuels. Effectivement, une réflexion devrait être menée sur ce nouveau répertoire en comparaison avec ce qui s'est passé autour de 1970. Bien cordialement. »
Philippe Robert est compositeur et théoricien de la musique.
Suite à la page du 27 février 2020 d’En manque d’Église voilà ce qu’il m’écrit :
« Cher Père,
C'est en préparant mon cours pour le Certificat de Musique Liturgique à l'Institut Supérieur de Liturgie (ISL) à Paris que je suis tombé sur votre blog. En effet, j'y donne cours d'histoire du chant liturgique en français après 1945. J'y aborde la question du chant rythmé dans les années 1967 et suivante. Il s'agit de porter un regard analytique sur ce qui s'est passé à ce moment-là et de comprendre l'apparition de ce chant rythmé dans le contexte socioculturel de l'époque. À ma demande pour un Colloque à Strasbourg en 2013, mon ami, Jo Akepsimas, en a fait d'ailleurs fait une bonne présentation parue dans les actes du Colloque.
Il y a quelques années, j'ai lu l'ouvrage d'Émile Granger dont j'ai une photocopie grâce à Michel Wackenheim. Ce livre est très difficile à trouver. Avec Le rythme, un intrus dans l'Église, il fait cependant partie des deux ouvrages qui ont traité de l'introduction de la musique rythmée dans la liturgie à cette époque. Il y a aussi les numéros de la revue Église qui chante de cette époque. Ce qui m'avait frappé à la lecture de cet ouvrage, c'est la question de l'Incarnation, qui d'une certaine manière justifie l'usage des musiques et des instruments populaires dans la liturgie. Vous citez d'ailleurs très judicieusement ce passage :
En schématisant on peut dire que si l'environnement historique de la musique issue du jazz nous parle surtout du mystère pascal, sa texture intime souligne le mystère de l'incarnation ; Dieu pour se communiquer en vérité s'est fait homme et l'homme, sans cesser d'être au monde devient Dieu. Dans la mesure même où la musique rythmée, dans son style propre, nous dit cela, il n'est pas indifférent de lui faire sa place en liturgie, elle sera l'une des voies qui, pour les hommes d'aujourd'hui, assure l'accès au mystère de l'incarnation rédemptrice.
Cette question de la musique rythmée, bien qu'elle soit liée à un contexte socioculturel bien précis, celui de la fin des années 60 dans l'environnement de mai 68, pose le problème de "l'inculturation" de la liturgie tout en en gardant sa dimension symbolique, voire poétique. Cette musique voulait "parler" aux jeunes de l'époque, et elle l'a fait d'une certaine manière, mais, à long terme, elle n'a pas ramené les jeunes, du moins certains jeunes, à l'Église. Je dis certains jeunes, car aujourd'hui, nous assistons à un retour d'une certaine musique rythmée, pauvre sur le plan musical et sur le plan du texte (relation très duelle "toi-moi", oublieux de la dimension ecclésiale de la liturgie) dans les répertoires des Communautés Nouvelles, et notamment dans les chants de l'Emmanuel. Ces chants, axés principalement sur la louange, sont généralement très pieux et dévotionnels. Mais ce répertoire qui accompagne une liturgie très ritualisée, pour ne pas dire très ritualiste, s'adresse à un certain type de jeunesse qui n'est pas celle des banlieues, par exemple. Tout cela demanderait une analyse plus fine et plus détaillée que je ne puis faire dans ce mail.
Ce qui m'a d'ailleurs invité à vous écrire, c'est ce passage où vous mentionnez aussi la question des chants de "louanges" :
Pour autant, ne reste-t-il pas la question de la qualité des musiques produites ? Il y a aujourd’hui beaucoup de « louanges ». En quoi, et comment, l’incarnation du Verbe divin est-elle communiquée à la foule des jeunes ? Des messes vivantes ; oui. Dans quel concret de l’existence des masses ?
Vous posez aussi la question de la qualité des musiques produites ! La suite est très interpellante : En quoi, et comment, l'incarnation du Verbe divin est-elle communiquée à la foule des jeunes ? Et vous parlez d'un lieu, le Prado, où la question se pose en d'autres termes que dans un milieu BCBG parisien ou versaillais !
La question du chant dans la liturgie est très complexe, car elle dépend de ce que l'on met sous le terme "liturgie" (j'aime bien votre titre "Liturgie et culture de masse : un problème théologique", car c'est bien de cela qu'il s'agit et je dirai même "liturgico-théologique). Oui, il faut qu'elle soit "proche" des gens, mais aussi qu'elle dise le mystère pascal ! Peut-elle le dire en dehors d'une ritualité, d'un langage symbolique, et je parlais ci-dessus d'un langage poétique, le seul capable de dire l'au-delà des choses et de faire pressentir le Mystère (pascal). Personnellement, je pense que nous avons besoin avant tout d'un chant rituel, c'est-à-dire qui s'inscrive dans la ritualité de la liturgie, qui l'exprime par la poésie de ses textes, par sa cohésion avec le rite qu'il accompagne - à d'autres moments, il est le rite lui-même - et qui permette une participation de l'assemblée. Oui, une musique rythmée peut jouer ce rôle de musique servante de la liturgie à condition qu'elle soit de qualité, que les textes qu'elle sert le soient aussi, et qu'on ait les moyens musicaux pour une mise en oeuvre de qualité.
Personnellement, je trouve que les chants D. Rimaud/J. Akepsimas permettent ce que je viens de dire ci-dessus dans des milieux de périphérie. Je parle d'expérience, car, durant trois ans, j'ai joué la messe à la prison de Liège tous les quinze jours en puisant abondamment dans ce répertoire. Je me suis aperçu que les détenus savaient apprécier une poésie de qualité - comme celle de Didier Rimaud - et étaient très réceptifs à la musique - aussi de qualité - d'Akespimas. Et nous avons toujours respecté le Missel ! Ces chants, d'une grande qualité mélodique, sont tout à fait à la portée de n'importe quelle assemblée ; celle-ci en respecte la justesse musicale à condition qu'elle soit "accompagnée" par un musicien professionnel. Je ne peux pas en dire autant du répertoire "rythmé" des Communautés Nouvelles sur le plan du respect rythmique de la partition ! Je crois en la force de la Beauté, qui touche et convertit ; en un art de célébrer ; en une liturgie "juste et belle" ; en la "noble simplicité" de la liturgie souhaitée par Vatican II.
Toujours en faisant mes recherches pour approfondir la question, je suis tombé sur un ouvrage de Guy de Fatto, que je viens d'ailleurs de commander, dans lequel il raconte sa vie. J'ai vu qu'on en faisait aussi mention dans un ouvrage récent publié par le diocèse de Lyon consacré aux artistes - prêtres de ce diocèse.
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