Sentir la présence de Dieu en nous quand nous aidons quelqu'un à reprendre figure humaine, ou à rentrer dans les voies de l'humanité
Il y a de nombreuses pages de Joseph Moingt que j’aimerai déposé en ce lieu. Des pages qui parlent de l’engagement, dans la ligne de l’Évangile, des chrétiens à humaniser les humains.
« Travailler dans le monde à faire pénétrer l’esprit de charité du Christ dans les réalités sociales pour soulager les outrances à notre portée… » (p. 206)
Tous frères !
<< Tel est bien le projet divin dévoilé par Paul parlant de la croix de Jésus : « Le monde ancien est passé, voici qu'une réalité nouvelle est là » (2 Cor 5,17), ou encore : « Il a voulu ainsi, à partir du juif et du païen, créer en lui un seul homme nouveau, en établissant la paix » (Éph 2,15). Telle est la fondation des vrais « Temps modernes », toujours à venir dans la réconciliation des frères ennemis, dans la « concitoyenneté des saints », des hommes qui se respectent les uns les autres et se rassemblent en « famille de Dieu » (Éph 2,19). Ce qui est propre à révéler l'homme à l'homme, c'est bien de voir en chacun le reflet d'un regard de Dieu, et c'est en même temps que Dieu se révèle comme la source de la vérité de l'homme. Le « mystère » caché auparavant à toutes les générations humaines dont Paul affirme avoir reçu la révélation directement de Dieu par le dévoilement du sens de la croix, ce n'est pas la somme des mystères de la divinité énoncés dans les dogmes chrétiens, c'est que Dieu est amour, qu'il s'est dépouillé des privilèges de la divinité pour nous apprendre à nous aimer les uns les autres et ainsi nous introduire dans sa béatitude éternelle. Il veut « communiquer » avec nous comme il communique en lui-même, en se constituant dans l'unité de son altérité trinitaire, nous apprenant ainsi à constituer notre personnalité dans la relation à l'autre, dans l'ouverture et non dans la fermeture, dans la perte de soi plutôt que dans le profit aux dépens des autres.
C'est dans un tel humanisme « crucifié » que la foi nous invite à contempler ce règne de Dieu que Jésus attendait et dont il parlait cependant plus volontiers au présent qu'au futur : « Le royaume de Dieu est au milieu de vous, disait-il, il est déjà là, en vous » (Luc 17,21). Dans ce royaume que Dieu rassemble en tous lieux par la grâce de la création, celle de la liberté et de l'amour, c'est là-dedans que Dieu a établi sa demeure, par l'Esprit-Saint qui nous a été donné le jour de la Pentecôte, l'Esprit-Saint qui est une émanation directe de la résurrection de Jésus. Cela devrait nous éviter de parler de Dieu en termes ésotériques ; il n'habite pas les hauteurs du ciel, il habite le cœur de l'homme, au cœur de cette humanité dont nous avons à tisser nous-mêmes les liens, en nous abaissant les uns au-dessous des autres comme Dieu nous en a donné l'exemple en Jésus.
Voilà en quoi devrait consister la méditation de l'Évangile que nous avons besoin de faire pour retrouver la foi en Dieu, l'intelligence de cet être que nous nommons Dieu. Sentir sa présence en nous, autour de nous, dans le groupe que nous faisons, dans notre Église, mais aussi quand nous aidons quelqu'un à reprendre figure humaine, ou à rentrer dans les voies de l'humanité, à croire en l'humanité. L'Évangile ne nous dit pas : « Enseignez-lui Dieu » ; non, ce n'est pas ça qui sauvera l'humanité, mais de retrouver et d'aider les autres à retrouver le sens de Dieu dans un nouveau sens de l'homme et de la relation humaine. Tout se tient, et c'est pourquoi nous ne nous lamentons pas seulement parce que Dieu disparaît de notre civilisation, mais tout autant parce que l'homme disparaît, se dévalue. L'homme qui ne mûrit plus au contact de Dieu, qui ne se heurte jamais à Dieu, cet homme-là perd sa valeur humaine et ses capacités d'aider les autres à grandir en humanité, à rénover la société. La réflexion que nous avons à faire en regardant la croix de Jésus ne se réduit pas à peser la gravité de nos fautes qui ont désolé le cœur de Dieu, mais à observer à quoi s'abaisse l'humanité quand elle perd le contact de Dieu, et surtout quand nous, chrétiens, nous cessons d'aller à Dieu par les voies de l’Évangile.
Joseph Moingt, L’Évangile sauvera l’Église, Salvator, 2013, pp. 255-257.