Qu’il en soit ainsi : face aux injustices « ceux qui font profession d'appartenir au Christ se font reconnaître à leur manière de vivre »
source des photos 1 ; 2 = Bosnie
1940. On savait. On se doutait.
2021. On ne peut que savoir. Et l’on agit. Mais ce n’est pas assez pour que les droits humains fondamentaux soient respectés. Sommes-nous coupables d’actions trop faibles ?
De fait, je ne sais pas répondre à cette question. Alors, je la glisse dans le débat que j’entretiens en ces pages. Des amis me trouvent trop pessimiste. Je ne sais. Je me dis que si, en plus d’actions d’aide dans l’urgence, nous avions un poids politique, l’avenir serait meilleur. Seulement, quel est le poids de la « politique des « si » ?
À l’Office des lectures, ce jour, j’ai lu : « Ayez soin de vous réunir plus fréquemment pour rendre grâce à Dieu et célébrer ses louanges. Car si vous vous rassemblez souvent, les forces de Satan sont terrassées et son œuvre de mort est détruite par la concorde de votre foi. » Rendre grâce ! C’est ne pas sombrer dans la morosité. C‘est toujours espéré ; ne pas être pessimiste. « Ceux qui font profession d'appartenir au Christ se font reconnaître à leur manière de vivre ».
Jeune et grève de la faim : « Le combat est gagné pour Stéphane Ravaclay : après dix jours de grève de la faim, il a obtenu la régularisation de la situation de son jeune apprenti boulanger, Laye Fodé Traoré.
J’ai pensé à cet évènement en lisant dans l’évangile de ce jour : « Pourquoi, alors que les disciples de Jean et les disciples des pharisiens jeûnent, tes disciples ne jeûnent-ils pas ? »
Méditons en ayant sans cesse confiance en la présence active de l’Esprit de Dieu parmi nous, tout en sachant que de nombreuses situations d’inhumanité peuvent nous rendre pessimistes. Ainsi le commentaire de Marie-Dominique : « Je lis attentivement chaque jour ton blog… c’est vrai que ce n’est pas facile de garder le moral chaque jour quand nous voyons toutes ces souffrances dans le monde et surtout à notre porte ! Les temps sont vraiment difficiles avec le Covid et le couvre-feu, surtout pour les jeunes étudiants ou jeunes travailleurs. Ce midi je déjeunais avec deux jeunes arrivés en France à 16 ans. Que de difficultés pour obtenir un rendez-vous à la Préfecture ou avoir tout simplement un récépissé pour ne pas se faire arrêter !
Je te trouve bien souvent pessimiste dans tes écrits ces derniers temps. Malgré toutes ces difficultés, j’essaie de faire confiance au Seigneur, je garde espoir pour un monde meilleur, plus de partage et de justice surtout !
Avec les nombreux refus le soir lorsque nous distribuons les tracts au cercle de silence !… je crois en la force de la prière et de l’Esprit saint , malgré tout. Je reste optimiste en voyant tout ce qui se fait de bien autour de nous, les nombreux bénévoles, des jeunes surtout qui donnent de leur temps pour les autres qui sont seuls ou en difficultés.
Je te propose d’écouter le discours d’ Emmanuel Faber, directeur général de Danone aux diplômes de HEC. Sur YouTube : YouTube.be/ Jx-X8teJAFA. C’est édifiant et encourageant qu’un patron ose parler de ses convictions…
La lecture et l’écoute d’Amin Maalouf alimentent bien aussi la méditation. J’espère que ce repli priant ouvre à l’action. « Ceux qui font profession d'appartenir au Christ se font reconnaître à leur manière de vivre ».
Amin Maalouf revisite son livre « Nos frères inattendus » à l’aune des vertiges de notre époque.
Dans La Croix : propos recueilli par Fanny Cheyrou, le 15/01/2021
Avez-vous le souvenir dans votre vie d’un « frère inattendu », selon votre expression ?
Amin Maalouf : Aujourd’hui encore, à près de 72 ans, il m’arrive parfois de rencontrer une personne dont je me sens soudain étonnamment proche, et dont je me dis : « C’est une sœur, ou c’est un frère. » Souvent à la suite d’une conversation qui révèle une parenté entre nos visions du monde. L’idée de fraternité est très présente chez moi. Lorsque je veux dire mon affection profonde pour un homme ou une femme, c’est le terme que j’emploie. Ce n’est pas du tout lié aux origines de la personne, mais uniquement aux valeurs qui l’animent et à sa perception des événements du monde. Il s’agit donc d’une fraternité intellectuelle et éthique plutôt que familiale ou ethnique.
Vous avez été fils de journaliste, et vous-même journaliste pendant près de quinze ans. L’événement, dans l’idée de ce qui advient, vous fascine. Il est d’ailleurs au centre de votre dernier livre, Nos frères inattendus (1). En quoi l’événement relie-t-il les hommes ?
A. M. : J’ai grandi à l’ombre d’un père journaliste, et j’ai été passionné, depuis l’enfance, par les événements du monde. Et à l’heure où je vous parle, je suis tout aussi fasciné qu’autrefois. J’ai toujours suivi de près tout ce qui se passait autour de moi. Dans les pays où j’ai vécu, c’est-à-dire le Liban puis la France, mais aussi dans le reste du monde. Nous vivons sur une planète où se trouvent des centaines de pays, des milliers de peuples, de langues, de tribus, de communautés. Observer le déroulement de l’aventure humaine, sous toutes ses formes et dans tous les domaines – les découvertes, les conflits, les nouvelles idées, les bouleversements attendus ou inattendus… Voilà le plus ample et le plus palpitant des romans qu’on puisse imaginer. Tant que je pourrai regarder, écouter, lire, réfléchir, et écrire, je ne me lasserai pas de ce spectacle. Quelquefois, je suis attristé, indigné ou horrifié, et quelquefois enthousiasmé ou émerveillé. Mais jamais je n’éprouve de l’ennui en observant les transformations du monde.
Votre roman a vu le jour dans la même période que le texte du pape François, Fratelli tutti. Cette encyclique nous interroge, comme votre livre, sur la direction que prend notre monde…
A. M. : C’est avec beaucoup d’intérêt, et beaucoup d’attente que je contemple le pape François. Il a une forme d’humilité qui est, à mes yeux, l’essence même de ce que doit être la religion. Surtout de nos jours. J’ai bien plus d’estime pour ceux qui cherchent la vérité que pour ceux qui se vantent de la posséder et d’être les seuls à la détenir. Il arrive parfois au pape de dire : « Qui suis-je pour affirmer ceci, ou cela ? » et on ne peut s’empêcher de murmurer à son intention : « Bien, vous êtes le pape ! » (Rires). Mais dans une période aussi complexe que celle que nous traversons, nous avons besoin de gens qui hésitent, qui doutent, plutôt que de gens qui affirment de façon péremptoire. De ce fait, il me semble que le pape, par sa fragilité apparente, joue son rôle de boussole spirituelle et morale. Je suppose que cela ne plaît pas à tout le monde, mais pour ma part, cela me réjouit et me rassure.
Pour avoir vécu au Proche-Orient, je ne peux m’empêcher de constater que les religions sont trop souvent détournées de leur rôle, et instrumentalisées. La chose est peut-être normale, et humaine, mais cela ne m’empêche pas de la trouver inquiétante. Quand les religions s’accommodent des souffrances qu’elles peuvent causer et des crimes qu’on commet en leur nom, elles perdent forcément un peu de leur légitimité morale et de leur raison d’être. On pourrait même se demander, en contemplant le monde d’aujourd’hui, si les religions ne sont pas en train de trahir la mission qu’elles sont supposées accomplir au service des hommes. Ce qui explique en bonne partie la détresse de nos contemporains, et leur égarement moral.
D’où vient notre besoin de rupture, d’un monde d’après ?
A. M. : J’ai grandi dans un pays, le Liban, qui est aujourd’hui au bord de l’effondrement, et dans une région du monde qui était extrêmement prometteuse, mais qui est devenue, hélas, calamiteuse. La première phrase de mon essai Le Naufrage des civilisations était : « Je suis né en bonne santé dans les bras d’une civilisation mourante. » Pour moi, il est clair que le monde d’aujourd’hui est au bord d’une crise majeure, et qu’il a besoin d’un sauvetage. Aujourd’hui nous voyons le dérèglement sanitaire, et nous prenons conscience du dérèglement climatique. Mais il y a aussi un très grave dérèglement dans les rapports entre les différentes composantes de l’humanité. C’est vrai au niveau global, où l’on va tout droit vers un affrontement entre les puissances installées comme les États-Unis, et les puissances émergentes, comme la Chine. Et c’est vrai aussi au niveau de chacune de nos sociétés humaines, qui ne parviennent pas à gérer leur diversité. D’où ce sentiment que quelque chose de grave va se produire, et aussi ce souhait que l’on puisse, d’une manière ou d’une autre, éviter le désastre. Dans Nos frères inattendus, j’ai voulu imaginer ce qui arriverait si, au lieu de rencontrer un avenir qui ressemble à nos cauchemars, nous rencontrions un avenir qui ressemble à nos rêves.
Cette attente d’un sauveur renvoie au point culminant de la culture judéo-chrétienne, non ?
A. M. : Il y a cet aspect. Mais je commencerais par parler d’un autre point qui me semble significatif : la question du mal. On s’est souvent demandé, notamment lors des tragédies les plus douloureuses pour l’humanité, comment Dieu avait pu laisser de telles abominations se produire. Mon sentiment, c’est qu’il nous revient à nous, les humains, et à nous seuls, d’assumer la responsabilité de notre histoire. Souhaiter que Dieu intervienne, c’est se résigner à l’abolition de l’aventure humaine.
Il vous arrive de prier ?
A. M. : J’ai besoin, dans ma vie, d’une dimension spirituelle. Je ne me comporte pas comme si le Ciel était vide et que cette vie devait forcément déboucher sur le néant. Mais je prie avec mes propres mots, et ma relation avec les religions n’est jamais exempte d’une certaine circonspection. Je suis, par conviction comme par tempérament, un homme qui doute. Et j’en suis arrivé à considérer que le doute était chez moi une forme de croyance. Je me dis même que si Dieu existe, il doit avoir de la tendresse pour ceux qui doutent. Je n’imagine pas qu’Il puisse préférer les arrogants et les donneurs de leçons.
Le pape écrit : « Personne ne se sauve seul. » Est-ce votre conviction ?
A. M. : Je vais répondre par un détour, si vous me le permettez. À toutes les époques passées, lorsque l’humanité rencontrait des problèmes, elle ne pouvait pas les résoudre parce qu’elle n’avait ni le savoir ni les moyens nécessaires. Nous sommes, dans l’histoire du monde, la première génération à posséder le savoir, la technologie et les moyens économiques qui nous permettraient de résoudre à peu près tous les problèmes qui se posent à nous. Ce qui nous manque, c’est la lucidité, la volonté, et le sentiment d’appartenir tous ensemble à la même aventure humaine. Le problème auquel l’humanité d’aujourd’hui doit faire face se situe d’abord au plan moral. Si nous nous montrons capables d’envisager le monde comme une vaste nation plurielle, et de le gouverner avec sagesse et équité, nous pouvons encore éviter le pire. C’est en nous que nous devons trouver la capacité de repenser le monde, de le réinventer, et de le réparer.
Recueilli par Fanny Cheyrou (La Croix - 15 janvier 2021.
(1) Nos frères inattendus, Amin Maalouf, Grasset, 336 p., 22 €.