Prendre conscience de sa finitude, c’est donc prendre conscience d’une Bonne Nouvelle annoncée, celle de la rencontre finale avec Dieu

Publié le par Michel Durand

Pointe de la Torche, Bretagne. MAL LANGSDON/REUTERS

Pointe de la Torche, Bretagne. MAL LANGSDON/REUTERS

 

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Jean Bertrand, Michel Bourron, Christian Oddoux… des collègues, un ami, une connaissance, tous plus jeunes que moi ne sont plus sur cette terre. Je pense avoir souvent exprimé que, chrétiens, nous sommes invités à ne pas avoir peur de la mort. Seulement, voyant des départs vers « l’autre monde » de personnes que je connais bien me fait aborder cette question avec plus de réalisme. Les questions essentielles, existentielles se posent avec grande acuité. Comment, effectivement, personnellement je me situe devant la mort. Il n’est plus question d’en parler mais de vivre ce moment. Avec quelle foi j’envisage ce passage ?

J’envisage même cette question, en tenant compte de l’actualité dramatique de la guerre (Ukraine), des cataclysmes (Afghanistan) où le temps qui permet de penser à sa propre mort n’est pas donné. Ce ne fut pas le cas pour Christian qui a eu l’audace, le courage d’en parler longuement avec ses proches. Ma conversation avec lui par téléphone ne peut me laisser indifférent à la réalité de la mort, ma porte vers « l’autre monde ».

En ce sens, je désire vous partager cet article du quotidien La Croix (septembre 2016) :

 

Penser sa mort, pour donner du sens à la vie

Quand la mort fait irruption dans l’actualité, elle renvoie aussi chacun à sa propre fin. Cette condition mortelle, si on l’accepte, peut être porteuse de sens.

 

La Croix, Isabelle Demangeat et Gauthier Vaillant, le 09/09/2016

 

La mort n’est pas à chaque coin de rue. Pourtant, à plusieurs reprises ces derniers mois, elle s’est imposée à nous d’une manière brutale, et surtout avec une proximité que beaucoup auraient pensée impossible. La violence aveugle des attentats, outre la détresse extrême et l’impuissance qu’elle provoque chez les proches des victimes, renvoie aussi chacun, même moins directement concerné, à la perspective de sa propre fin.

Un questionnement souvent vertigineux, dans une société qui a bien des difficultés à évoquer la mort, parce que marquée par l’individualisme et la culture du progrès technique et scientifique, dans laquelle certains veulent même voir la promesse de l’immortalité. Le P. Laurent Stalla-Bourdillon, curé de la paroisse Sainte-Clotilde à Paris, ose même le mot de « tabou ». « La Bible nous enseigne la récurrence de l’illusion, chez l’homme, de dominer ou de posséder la vie, alors qu’elle est toujours reçue », explique le prêtre, qui débutera en octobre un cycle de conférences sur la mort au Collège des Bernardins. « Comme cette illusion est détruite par la mort, alors on refuse de la voir. » Il est d’ailleurs frappé par « le décalage entre la réalité de la mort et la manière dont on l’annonce, froidement, comme un fait d’actualité, sans que cela suscite la moindre réflexion ».

 

Accepter ses faiblesses

Quand la mort survient violemment, « le simple fait d’exister apparaît alors comme une sorte de miracle », relève la philosophe Françoise Dastur, auteur de La Mort, essai sur la finitude. Et c’est alors « le caractère éminemment temporaire de notre être ici et maintenant qui devrait nous frapper. Lequel seul donne sens à notre existence, une existence portée par et vouée à la mort », ajoute-t-elle en invitant à accueillir en soi l’idée de sa mort comme ce « qui peut réveiller, dans nos mentalités d’Européens repus, le sens véritable d’une existence qui ne peut être vécue que sub specie mortis, sous le regard de la mort. » Prendre conscience de sa finitude, en d’autres termes. Et l’accepter.

Cette acceptation n’est pas facile, car elle demande d’abord d’accepter ses faiblesses – dont cette limite indépassable de la mortalité – et force aussi à regarder, en filigrane, le terme de sa propre vie. Elle apparaît pourtant indispensable, parce qu’elle est la seule certitude commune à tous concernant la condition humaine. Et qu’elle est le moyen, pour le chrétien, de reconnaître que la vie n’est pas un acquis, mais uniquement « don gratuit de Dieu », comme le rappelle la théologienne Marie-Jo Thiel.

« On redécouvre ainsi que la vie ne nous appartient pas, explicite la professeur à la faculté de théologie de Strasbourg et directrice du Centre européen d’enseignement et de recherche en éthique (CEERE) de la même université. Que l’on est à la fois tout et à la fois rien. Que la vie est un souffle qui peut s’éteindre à tout moment. » Et à partir du moment où l’on prend conscience que la vie est un don, et non un dû, elle reprend toute sa valeur. « C’est parce que la vie a un terme qu’elle a un prix ! », fait ainsi remarquer Marie-Jo Thiel en précisant que cette finitude intrinsèque à l’homme lui permet de prendre conscience de la responsabilité qui lui est confiée et de la nécessité et l’urgence de faire fructifier sa vie « et donc de suivre l’enseignement du Christ ». « Si j’étais immortelle, je ne répondrais de rien », assure-t-elle.

C’est ainsi que le P. Pierre-Jean Labarrière, jésuite, en vient à dire que « la qualité d’une vie se mesure à la capacité que l’on a de penser à la mort et, plus radicalement, de penser la mort, de l’apprivoiser en somme ». Il interroge ainsi : « Comment penser, en dehors de cela, la légitimité de ces actes d’héroïsme que l’on met au crédit d’une humanité achevée – le sacrifice éventuel de l’individualité pour une cause qui la dépasse en même temps qu’il la constitue ? »

 

Prendre conscience d’une Bonne Nouvelle annoncée

Au-delà du prix qu’elle donne à l’existence, la mort porte aussi et surtout, pour les chrétiens, la promesse de la résurrection. « Il n’y a pas de résurrection sans croix », rappelle le pasteur suisse et théologien Denis Muller. La mort est le seul moyen d’accéder à la vie éternelle et à la rencontre avec Dieu. « Si Jésus n’a pas fait l’économie de sa Passion, assumant nos souffrances et notre mort, avant le triomphe du matin de Pâques, et nous invite à le suivre, c’est que, désormais, c’est le seul chemin possible de notre libération », explique le P. Michel Hubaut, dans son ouvrage Du corps mortel au corps de lumière. Et d’ajouter : « Le récit de la transfiguration nous invite à ne jamais séparer la théologie de la croix et la théologie de la gloire. »

Prendre conscience de sa finitude, c’est donc prendre conscience d’une Bonne Nouvelle annoncée, celle de la rencontre finale avec Dieu. Mais comment se préparer à cette rencontre ? Comment se préparer à la fin de son existence ? Et comment le faire sans tomber dans le travers de l’hédonisme, ou au contraire celui de l’apathie ou de la tétanie ? « En étant chrétien, répond tout simplement Anne-Marie Pelletier, bibliste. En acceptant, dans le quotidien de sa vie, ces expériences qui ont déjà une saveur de la mort, ces déceptions, ces échecs ; en acceptant ainsi que toutes ces morts ne sont pas définitives, qu’elles ne sont pas le fin mot de l’histoire. » Insistant sur le fait que ce n’est pas « en anticipant sa mort qu’on se prépare à mourir », la bibliste invite alors à entrer « dans cette confiance que toutes les expériences de mort que nous pouvons vivre au quotidien sont” sauvables” parce que déjà sauvées dans le Christ ». Et à faire ainsi l’expérience de sa résurrection finale par ces « petites » résurrections terrestres.

« Chacun de nos actes, chacune de nos options, de nos décisions est un mystère de mort à soi-même et de résurrection, renchérit le P. Michel Hubaut. C’est chaque jour que nous ressuscitons un peu plus, que nous devenons des vivants », ajoute-t-il en précisant que « tout amour vécu est une promesse d’immortalité (…) Notre transfiguration commence dans ce dynamisme de l’amour vécu qui humanise notre moi biologique, charnel, nous fait “passer” – c’est cela vivre sa Pâque – du moi possessif, égoïste, au don de soi. » Aimer serait donc la meilleure préparation à sa résurrection ; et vivre, la meilleure préparation à la mort.

Isabelle Demangeat et Gauthier Vaillant (La Croix)

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